8 semaines de confinement touchent à leur fin. Demain, lundi 11 mai, cela sera le début d’une nouvelle phase, d’une nouvelle ère. On débute en effet dans toute la France un processus de déconfinement relativement uniforme sur le territoire national. En Alsace, l’annonce du gouvernement jeudi 7 mai dernier a provoqué une réaction alarmée de la part de Frédéric Bierry, président du Bas-Rhin. Si on ajoute à celle-ci des réactions plus prudentes – et bien moins médiatiques – d’élus, d’autres inquiètes de la part de syndicats d’enseignant et le fait que l’Alsace reste encore très touchée par l’épidémie, on peut légitimement se poser la question : est-ce un danger de déconfiner l’Alsace dès le 11 mai ?
Des élus inquiets
Revenons d’abord sur ce qui nous a fait nous poser la question d’un déconfinement général qui serait trop prématuré – sachant qu’on évoquera le cas des écoles plus loin dans l’article : les inquiétudes des élus. Une heure après la fin de la conférence de presse d’Édouard Philippe pour préciser les dernières modalités du déconfinement, on retrouve une tribune de la part de Frédérick Bierry, président du Bas-Rhin, dans les DNA, fustigeant ce plan, qu’il appelle une « pure folie ». Deux termes qui accrochent l’oreille et qui ont pour vocation d’être repris.
Ce qui a été le cas, dépassant très largement le cadre local. De Médiapart au Huffington Post, en passant par Franceinfo, l’Obs, BFM TV et même Sud Ouest, c’est quasiment tous les médias possibles et inimaginables qui ont repris ses dires, avec les deux mots bien accrocheurs en en-tête. Frédéric Bierry a réussi son coup en termes de communication politique, rien à redire là-dessus.
Néanmoins, malgré le petit côté médiatico-politique de cette tribune, qui ne doit en aucun cas effacer les questions pertinentes qu’elle pose, elle n’est que la voix la plus médiatique des inquiétudes de certains élus alsaciens, qui appellent à de la prudence dans ces moments complexes, car totalement nouveaux, de déconfinement. Jean Rottner, président de la région Grand Est, déclarait sur Twitter vendredi 8 mai qu’il n’y avait pas deux France, une rouge et une verte. « Respectons les gestes barrières, portons le masque, testons, isolons, protégeons nous les uns et les autres » intime-t-il.
De son côté, Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg et candidate aux municipales de Strasbourg 2020, est également prudente. Lors du Conseil municipal du lundi 4 mai, elle déclarait que « le 11 mai, ce n’est pas une date qui va décider de notre vie, mais c’est la vie qui va reprendre qui questionne la date.” Elle dégageait en effet les risques d’une deuxième vague, mais également la question de la reprise scolaire, qui agite la France depuis l’intervention d’Emmanuel Macron fixant cette réouverture des classes.
Les raisons de l’inquiétude
Si les élus sont aussi inquiets et prudents en cette dernière semaine du confinement, c’est bien qu’il y a des raisons objectives qui demandent d’être analysées, au niveau alsacien. Cette démarche n’est en aucun cas pour créer un sentiment de psychose supplémentaire dans une population déjà éprouvée par huit semaines de confinement. C’est en revanche une opportunité de revenir sur la situation de l’Alsace, territoire du Grand Est le plus touché.
- La tension alsacienne au sujet des lits en réanimation
La « différence entre zones rouges et vertes [qui est] aussi épaisse qu’une feuille de papier à cigarettes », pour reprendre les termes de Frédéric Bierry, ne peut pas s’appliquer de la même façon en Bretagne qu’en Alsace. Premièrement, le plus grand indicateur sur les cartes – franchement pas très utiles – présentées par le gouvernement était ainsi la tension du système hospitalier, et notamment en termes de lits de réanimation.
Si les capacités ont fortement augmenté depuis janvier 2020, en 2018, date du dernier comptage, la capacité en lits de réanimation en Alsace n’aurait pas permis d’encaisser la vague. En effet, le Bas-Rhin disposait de 122 lits de réanimation, tandis que le Haut-Rhin en avait seulement 70. Les données, par département, sont trouvables ici.
Avec l’épidémie de coronavirus, les capacités ont fortement augmenté, allant jusqu’à 262 lits dans le Bas-Rhin, soit une augmentation de près de 115%, et 146 dans le Haut-Rhin, soit une augmentation de 108%. Ce n’était pas sans intérêt puisque, au plus fort de l’épidémie, au 3 avril, les services de réanimation ont été saturés, avec respectivement 283 personnes en réanimation dans le Bas-Rhin et 163 dans le Haut-Rhin. Seulement pour le coronavirus ! Heureusement, avec la coopération transfrontalière et la solidarité nationale, nos services en réanimation alsaciens ont tenu. Mais tout cela a un coût. Humain et psychologique.
Un mois plus tard, au samedi 9 mai, heureusement la situation s’est améliorée. En effet, dans les deux départements alsaciens, on est repassé sous la capacité initiale de lit en réanimation : 68 pour le Haut-Rhin et 101 pour le Bas-Rhin, soit respectivement 97% et 83%. Bien évidemment, la situation reste très tendue et le Covid-19 seul monopolise la quasi entièreté des lits en réanimation alsaciens.
Alors que l’objectif du gouvernement est de retourner à la capacité initiale en termes de lits de réanimation – une politique, encore une fois, très peu compréhensible – la situation de l’Alsace est encore tendue. Bien que la pression baisse, elle le fait très progressivement et le déconfinement fait ressortir la peur de la deuxième vague.
C’est pour cela qu’il faudra absolument limiter les contacts avec les personnes les plus fragiles. Ce sont principalement elles en effet qui « risquent » de faire repartir la saturation des hôpitaux. Et alors que le personnel soignant a longtemps été notre incroyable point fort depuis le début de cette épidémie, en cas de deuxième vague, il lui sera très difficile de supporter une nouvelle arrivée en masse de personnes en réanimation.
- La question des masques
Dès lors, pour protéger notre personnel soignant, et pour que les applaudissements ne soient pas uniquement suivis de vaines paroles, il est nécessaire de se protéger et de protéger son environnement. Pour cela, et longtemps après un imbroglio politique de grande ampleur, les masques incarnent une solution efficace pour contrecarrer l’épidémie, s’ils sont bien sûr suivis des gestes barrières. On vous en parle ici.
Les élus strasbourgeois militent pour un port du masque dans l’espace public, et certains critiquent même le déconfinement du 11 mai en l’absence de masques. En effet, ces derniers, même « juste » en tissu, lavables et réutilisables, sont reconnus comme une solution efficace pour lutter contre la propagation de l’épidémie. Sauf que, au 11 mai, ni le département du Bas-Rhin, ni la ville de Strasbourg n’aura réussi à nous fournir ces masques à temps. Un retard critiquable, surtout lorsque la communication s’est faite aussi importante.
Si des petites communes ont fait le choix de les déposer directement dans la boîte aux lettres, équipant leurs habitants de masques avant le 11 mai, les grandes communes de l’Eurométropole commenceront à être équipées le 13 et le 14 mai. Sachant que 50% des communes le recevront autour du 18 mai, probablement le 20 et le 21, on a donc, dans la meilleure des situations, deux jours entiers où il aura fallu suivre un tuto masque ou alors en acheter en grandes surfaces ou en pharmacie. Sachant bien que quelques jours sans masque peuvent entièrement relancer l’épidémie, surtout envers les personnes les plus vulnérables.
- La question des tests
Troisième inquiétude, la question sur notre capacité a tester rapidement et massivement. On ne parlera pas de la carte tellement verte qu’on dirait un paysage dessiné sur Skribbl. Néanmoins, cette question des tests se doit d’être posée, parce qu’elle permettra de casser d’éventuelles chaînes de transmission et donc éviter que le virus recommence à se propager massivement. Et qu’on ne puisse alors plus le contrôler.
À ce sujet, dans son dossier de presse publié vendredi 8 mai, la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier dévoile que 73 laboratoires de biologie privés organisés pour réaliser ces tests, sur site, en drive ou en équipes mobiles, mais également qu’un centre de prélèvement implanté au Parlement européen, chargé de prendre en charge les personnes sans symptômes grâce à la collaboration des quatre groupes de laboratoires privés du département. 21 boxs sont déjà installés, qui pourront accueillir 2 000 personnes par jour ; et cette capacité peut évoluer en adéquation aux besoins de l’épidémie. Enfin, le laboratoire vétérinaire du Conseil départemental du Bas-Rhin vient renforcer la capacité d’analyse des prélèvements réalisés en Ehpad.
On arriverait ainsi à un total journalier de 8174 tests. Est-ce que ce sera suffisant ? Seul l’avenir nous le dira. En tous les cas, les tests, quelle que soit leur modalité de réalisation, sont remboursés à 100% par l’Assurance Maladie dès lors qu’ils sont prescrits dans le cadre de ces dispositifs. Enfin, une carte interactive des différents lieux de prélèvement sera disponible la semaine prochaine.
- La question des écoles
Enfin, la dernière inquiétude concerne plus globalement la reprise des cours. Alors qu’on prône le respect des gestes barrières, comment les faire respecter par les enfants ? Surtout que leur faire porter un masque semble contre-productif, puisque dans les transports en commun, où ils seront obligatoires, ils le seront uniquement pour les personnes de plus de 11 ans.
En Alsace déjà, le fait d’être un territoire marqué rouge montre enfin une différence : les collèges ne rouvriront pas le 18 mai, comme cela peut être le cas dans les territoires verts. Comme indiqué au sein du dossier de presse de la préfète du Bas-Rhin, dans notre département, les premiers à rentrer en classe seront les CM2, à la date du 14 mai ou le 18 mai, selon les écoles et seulement sur la base du volontariat. Si tout se passe bien, ce sont ensuite les CP et CE1 qui devraient rentrer, en plus des grandes sections maternelles, à partir du 25 mai. La question des collèges et les lycées sera étudiée fin mai ou début juin.
Si ce dossier de presse contient certaines mesures et réponses, en basant son protocole sur 5 fondamentaux , c’est bien qu’il y a eu des inquiétudes du côté des enseignants dès l’annonce d’Emmanuel Macron. Des professeurs des écoles qui eux sont obligés de revenir. Plusieurs syndicats, de la SGEN-CFDT au SE-UNSA en passant par le SNUipp-FSU67, ont interpellé la rectrice de Strasbourg pour obtenir des clarifications et des assurances pour des professeurs des écoles qui auraient peur de revenir. Si tout était sécurisé, ces inquiétudes n’auraient pas eu lieu d’être.
Ce que l’on sait aujourd’hui néanmoins, c’est que les professeurs des écoles les plus vulnérables, selon les critères retenus par le Haut Conseil de la santé publique, seront exempts de revenir en présentiel, que ceux qui ne pourront pas faire garder leurs enfants ne seront pas obligés de revenir et que, enfin, ils pourront également exercer leur droit de retrait.
Les inquiétudes à l’aube du déconfinement existent donc bel et bien. L’Alsace est à part dans la crise du coronavirus et si l’on se déconfine à l’échelle nationale, nos spécificités se doivent d’être gardées en tête dans la manière dont on aborde cette nouvelle étape. On vous tiendra au courant de tout ce qu’il va se passer ces prochaines semaines. Et en attendant, prenez soin de vous <3