À l’occasion de ce 1er mai, journée internationale des travailleurs, à laquelle se greffe la forte contestation contre la réforme des retraites, on est allé discuter avec SekuOuane. À la fois artiste-graffeur strasbourgeois, mais surtout doctorant-chercheur, il nous a donné quelques éclaircissements sur l’histoire des différentes formes de contestations populaires, leurs évolutions mais aussi leur pertinence dans le paysage politique français d’aujourd’hui.
Depuis le début de la contestation contre la réforme des retraites, on assiste aux plus grandes manifestations depuis 40 ans à Strasbourg. Celle du 7 mars a même établi le record de mobilisation depuis 40 ans, avec 1 280 000 manifestant(e)s selon la police.
Pourtant, malgré une contestation toujours plus forte, le gouvernement n’a rien voulu entendre : le 16 mars dernier, il utilisait le 49-3 pour faire passer sa réforme, sans passer par un vote, incertain, au Parlement. Le 14 avril, le Conseil Constitutionnel validait de son côté le passage de l’âge légal de la retraite à 64 ans.
Certaines questions planent alors : les manifestations sont-elles, encore aujourd’hui, un moyen efficace de contester ? Y-en a-t-il d’autres ? On a posé la question à Sekouane, doctorant-chercheur en arts visuels, en pleine préparation d’une thèse intitulée « imageries et gestualités des mouvements sociaux ; quelles formes et quelles limites ? »
Manifester provoque des changements
Selon SekuOuane, il faut d’abord replacer les manifestations dans leur contexte : « Il faut repenser les manifestations de manière large ; une manifestation c’est quelque chose qui cherche à interpeller le législateur ».
Un street-artist tape l’affiche aux politiques dans les rues de Strasbourg
Parfois, cela fonctionne : en 1995, Alain Juppé, Premier ministre sous Jacques Chirac, doit retirer sa réforme des régimes spéciaux dans le cadre d’une refonte de la Sécurité sociale face aux contestations les plus fortes depuis mai 68. Onze ans plus tard, Dominique de Villepin, Premier ministre une nouvelle fois sous Chirac, doit retirer sa loi instaurant le contrat premier embauche, deux mois après son adoption.
Utiliser la colère pour décrédibiliser le peuple
Néanmoins, pour le moment, même les plus grosses manifestations depuis 40 ans ne font pas bouger le gouvernement. Selon SekuOuane, c’est parce que le gouvernement est « complètement sourd » au dialogue social qu’il prétend réaliser. Le doctorant-chercheur complète : « La stratégie est de bloquer 11 fois le débat par le 49-3 et le 47-1, de ne pas s’entretenir avec les syndicats mais de parler avec le magazine pour enfants Pif Gadget et maintenant de parler de 100 jours d’apaisement ».
Renvoyer les gens à la colère, à une émotion non maîtrisée, c’est fait pour les décrédibiliser
Logiquement, ces choix provoquent de la colère chez les opposants à la réforme. Une stratégie qui, selon SekuOuane, repose sur un principe simple : utiliser la colère du peuple pour le décrédibiliser. Il détaille : « Lorsque le gouvernement parle de foule, il parle d’une foule bestiale, apolitique et toujours en minorité ».
Et il l’oppose à la notion de « peuple ». Un des derniers exemples en date ? La petite phrase d’Emmanuel Macron, la veille de sa prise de parole au JT de 13h le 22 mars dernier : « La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus ».
La question importante de la violence
Dans ces stratégies, mettre l’accent sur la colère est donc fondamental. Son corollaire, la violence, l’est tout autant. Sur ce sujet, les médias ont leur responsabilité selon SekuOuane : « Ces stratégies de décrédibiliser les manifestant(e)s ont toujours plus ou moins existé. Mais aujourd’hui, il y a une propagande médiatique indéniable sur ces questions-là, matraquant et exagérant les infos jusqu’à ce qu’on les croit ». Il cite l’exemple de l’Hôpital Necker en 2016, affaire symbolique du traitement de la violence dans les médias.
Néanmoins, la violence en marge des manifestations a toujours plus ou moins existé. Au-delà de mai 68, les années 70 sont marquées par une recrudescence de la violence suivant la promulgation de la loi « anti-casseurs » par le gouvernement Chaban-Delmas. SekuOuane cite l’exemple de Creys-Malville, le 31 juillet 1977, où un rassemblement anti-nucléaire donne lieu à un affrontement « d’une intensité rare » entre les manifestant(e)s et les forces de l’ordre, faisant même un mort, Vital Michalon.
Le futur de la politique en France, c’est plus un constat : on se retrouve face à des températures avoisinant les 46°C en été, il faut faire quelques chose. Et devant le désespoir, la fatalité et l’inaction de l’État, ça peut se radicaliser.
Les années 90 seront « plus douces », François Mitterrand faisant sauter la première loi anti-casseurs. Selon SekuOuane, « on n’est pas sur une logique de violence régulière dans les manifestations traditionnelles ». Néanmoins, selon le doctorant-chercheur, les années 2000, à la suite du contre-sommet de l’OMC à Seattle, marqueront le retour des violences, avec notamment le sommet de l’OTAN en 2009 à Strasbourg.
Enfin, depuis juillet 2016 et le maintient de l’état d’urgence après les attentats de Paris, il y a eu un « renouveau de ces stratégies radicales en milieu de manifestation », en réponse au « renforcement du dispositif policier et des méthodes de gestion de l’ordre ».
Une doctrine qui est même arrivée à Strasbourg : « Dans la théorie, on est la ville la plus pacifique, mais depuis 2016 et la loi Travail, le gaz lacrymo est utilisé quasi systématiquement contre les manifestant(e)s ». Comme récemment près de l’école Sainte-Madeleine.
De nouvelles formes de contestation apparaissent
Si, selon le doctorant-chercheur, « les groupes de casse sont de plus en plus structurés et arrivent à être reconnus par des syndicats et des manifestant(e)s au niveau national », les nouvelles formes de contestation militantes se portent selon lui davantage du côté de l’art.
Il mentionne par exemple les jets de peinture, comme sur le ministère de l’Écologie, ou encore les performances devant les Hôtels de Ville avec l’arrivée des casseroles, ou dispositifs sonores portatifs comme elles sont désormais appelées.
Ainsi, selon lui, contestation et création s’associent pour reconquérir l’espace public, dans une « réinvention et ré-appropriation des murs ».
Il détaille les différentes formes artistiques : « On peut créer des pièces artistiques comme le char de la HEAR qui est absolument incroyable, mais il y a aussi les banderoles et pancartes avec des jeux de mot de la culture populaire, les détournements, les fanzines, les sculptures déposées ou modifiées dans l’espace public, les chants, les slogans ou encore les logiques de communication… ».
Quels moyens de contestation pour faire plier un gouvernement ?
Ces formes de contestation artistiques ont le mérite de faire parler des sujets qu’elles défendent, encore plus avec internet qui permet le relais et la coordination instantanée. Pour SekuOuane, la façon la plus efficace de contraindre le gouvernement à agir est de « taper au portefeuille » par le « blocage de l’économie » : « Occupation de site de production, sabotage, grèves dans les raffineries… c’est une des manières de s’y prendre ».
Cela peut être difficile de faire converger certaines luttes qui paraissent éloignées au premier abord.
Autrement, c’est surtout un travail collectif qu’il faut mener selon le doctorant-chercheur strasbourgeois. En orientant les réflexions par secteurs et en définissant les besoins à chaque endroit, de nouvelles stratégies sont possibles : « Chaque tactique est à penser avec d’autres tactiques ; la pluralité des tactiques permet d’agir à plusieurs endroits et de taper à différents moments. Au lieu de concentrer toutes les forces de « l’ennemi » à un endroit, l’idée est de le déstabiliser par plusieurs attaques potentiellement coordonnées ».
Puis je me permettre d’être choquée par la suggestion de tactiques employées par DAESH ? Parce que la dispersion des attaques c’est leur façon de faire. Peut-on être choqué par la légitimation des violences extrêmes en fin de manifestations ? Parce que les BB viennent avec l’idée de tout casser et depuis quelques temps les journaux comme le votre mettent en valeur ces comportements.
Petite remise en contexte : les Français partent majoritairement en retraite à 64 ans (ce n’est pas le gouvernement qui le dit mais la caisse des retraites) histoire de grappiller trois francs six sous. Donc pour gagner quasi rien en plus on est en forme jusque 64 ans voire plus. En revanche on devient un vieillard grabataire quand ce n’est plus un choix ?
Il n’y a pas un seul pays en Europe où on part si tôt à la retraite. Tout simplement parce que le rapport actif/retraité change. D’autre part, dans un pays où on préfère vivre au SMIC pour pouvoir s’épanouir plutôt que de bosser plus pour gagner un salaire important …. comment allez vous financer votre retraite unique à 1500 euros ? Ah oui … en baissant toutes les retraites et en tondant le Grand Capital ! Vous pensez vraiment que les deux options seront applicables ?
Plus sérieusement vous n’avez pas envie d’interroger un doctorant qui travaille sur l’évolution du régime des retraites ?
En lisant le début du commentaire, j’ai souhaité répondre sérieusement. Puis j’ai lu cette phrase « dans un pays où on préfère vivre au SMIC pour pouvoir s’épanouir plutôt que de bosser plus pour gagner un salaire important » et j’ai compris que j’avais à faire à une personne totalement déconnectée. Face à de tels propos, la charité la plus élémentaire recommande à l’interlocuteur de ne pas s’étendre…
On est toujours déconnecté dès que l’on n’utilise pas le langage « politiquement correct ». Notre système social est financé en partie par la répartition et les impôts. La répartition est un pourcentage de notre salaire. Si vous préférez penser épanouissement personnel (à savoir flemme aux frais de la princesse) cela entraine deux choses : une baisse des cotisations, ce qui est gênant quand le nombre des cotisés augmentent fortement, une augmentation des dépenses dans d’autres domaines puisque votre « droit à la paresse » nécessite un apport financier. Mes propos sont peut être ultra libéraux, ils sont surtout réalistes. Je suis navrée pour vous mais si cela ne me dérange pas de payer des impots cela me gêne en revanche de les payer pour assumer les fautes des autres. Je suis bien d’accord que ce n’est pas très compatible encore une fois avec la pensée actuelle … mais je n’ai jamais été doué pour penser comme la meute.
Je viens de tomber sur votre premier commentaire, auquel je vais ici me permettre de répondre. A quel moment les tactiques de Daesh ont-elles été citées ? Les tactiques de blocages économiques sont largement ancrées dans les modes d’action (Emile Pouget les évoque, regardez du côte du Low-Candy, tout comme des auteur.rices comme Gramsci) et ne sont pas le fait de ces groupes terrorisants. Toutefois ici, la question étant de savoir comment s’attaquer à un état, en se basant sur les modes d’actions déjà éprouvés par le passé. Le parallèle avec le Black bloc me parait complètement ubuesque, dans la mesure où les tactiques violentes n’ont ici pas été réellement évoquées (on parle de structuration des modes d’actions radicales en marge des cortèges), mais cela traduit largement de votre regard libéral sur les manifestations actuelles où tout le monde se retrouve confondu dans une case utile. Les journaux, contrairement à votre propos, ne sont pas vraiment favorables par ailleurs aux stratégies violentes ; les gros titres qui tournent sur la question ont plutôt tendance à les condamner. Toutefois, cette montée en radicalisation interroge. Comment on est passés d’une utilisation exceptionnelle de la stratégie du bloc à un recours systématique à celui-ci, d’autant dans des villes réputées pacifiques comme peuvent l’être Strasbourg ? Ici, considérer ce type d’actions uniquement sous le prisme du pouvoir ne fera pas avancer la réflexion, la véritable question est de savoir ce qui pousse les gens à se mettre dans une telle colère, virant à l’émeute. Si on ne la regarde que sous le prisme caricatural du discours officiel, les choses empireront ; les gens veulent être écoutés. Et la rhétorique que vous déployez, Madame, est celle des médias de masse et du pouvoir, là où le problème politique et social est plus complexe. Pour ce qui est de l’analyse autour des retraites, vous avez raison ; je ne suis pas spécialiste de ces questions. En revanche, je sais regarder les annuités de cotisation ou les priorités du gouvernement, en fonction de la distribution des budgets ou des dons fiscaux massifs en direction du haut patronat (je ne parles ici pas des PME, mais de l’augmentation massive des profits et d’une précarisation préoccupantes des salariés).
Par ailleurs, je vous rassure, vos impôts payent essentiellement les CRS et les gaz lacrymogènes. Les abribus appartiennent à JC Decaux, qui jouit largement des profits réalisés sur les publicités, les banques et assurances appartiennent aux banques et assurances qui font des marges de profit records depuis quelques années (la violence systémique est donc moins une violence, si j’en crois votre propos – et encore une fois, il ne s’agit pas de minimiser la violence mais de la situer). Toutefois, les éléments de langage que vous employez (droit à la paresse, flemme, etc.) font directement écho aux propos récents de la NUPES. Or, ce n’est pas la NUPES qui dirige un mouvement social, pas plus qu’un syndicat. Au mieux, ça organise quelques actions, au pire, ca regarde de loin (exemple probant des Gilets Jaunes) ; considérer ce groupe politique comme la source de tous les problèmes fera pas avancer le schmilblick. Le propos n’est ici pas militant – bien que ce soit toujours le risque d’être analysé comme tel dès qu’on parle de manifestations ou que l’on mène des recherches sur les contestations sociales. Enfin, considérer les gens qui ne pensent pas comme soi même comme étant une « meute » renvoie largement à Gustave Le Bon, évoqué en début d’article. Son ouvrage est en pdf, assez facilement trouvable. A vous lire, rajoutez-y Foucault. Ca sera utile
Je vous remercie pour vos propositions de lecture (que je connais déjà en partie). Ma comparaison avec DAESH se faisait sur les propos parlant « d’attaques dispersées ». C’était exactement la façon de faire de ces personnes. Après …. au cas où vous n’auriez pas remarqué, les Black Block ne sont pas loin du mouvement terroriste. Je vous rappelle que leurs prédécesseurs s’appelaient les Brigades Rouges et qu’ils n’ont pas laissé un souvenir particulièrement sympathique chez les allemands et les italiens.
Je n’irai pas plus loin, si ce n’est que je trouve vos propos orientés ou du moins dans l’affect. Ce qui me surprend puisqu’en tant qu’historienne on m’avait particulièrement martelé que l’on ne devait pas laissé nos sentiments dominés nos recherches.
Mais peu importe. Pour avoir vu au centre de Strasbourg les BB en action et certains manifestants … les méchants n’étaient pas du coté des FDO. En tout cas quand je vais manifesté je n’ai ni boules de pétanque, ni boulons, ni bouteille d’acide dans mon sac. Je ne me dissimule pas non plus sous une cagoule .
Enfin parfois il y a des réformes impopulaires qui sont nécessaires et ces réformes là plus on attend plus elles font mal.