Depuis le 15 janvier dernier, trois familles sans-abri sont logées dans les locaux du TJP (Théâtre jeune public) situé rue des Balayeurs. Sur place, des enfants de 6 à 18 ans cohabitent, toutes et tous scolarisé(e)s dans des écoles strasbourgeoises. Malgré ces quelques semaines de répit, les familles devront quitter les lieux ce samedi. Au-delà de cette date, tout reste incertain.
C’est un compte à rebours qui défile et occupe les pensées de tout le monde au TJP (Centre Dramatique National de Strasbourg). Ce samedi 15 février, date à laquelle la convention d’occupation temporaire signée entre l’association Les Petites Roues et le TJP prendra fin, les trois familles actuellement logées dans les locaux devront quitter les lieux.
Pour rappel, c’est suite à la mobilisation des enseignant(e)s et des parents d’élèves de l’école Saint-Jean, que le TJP – CDN de Strasbourg a proposé aux familles à la rue de passer leurs nuits dans les chambres individuelles qui servent habituellement à loger les artistes. « J’étais présente à la manifestation. Il y avait des enfants de six ans à l’école Saint-Jean qui dormaient dans les voitures ou dehors dans le froid, ce n’est pas possible. On sentait vraiment cette urgence de faire quelque chose. Et nous, ici, on avait des chambres vides », explique Kaori Ito, directrice du TJP.
Strasbourg : des enseignant(e)s se mobilisent pour loger leurs élèves à la rue

« On veut juste pouvoir assumer notre vie en travaillant, sans avoir à demander de l’aide »
Sur place, chaque famille a accès à deux chambres et tout le monde partage les espaces communs comme la douche, les toilettes et la pièce à vivre principale. « On se sent bien ici, il n’y a pas de problème » assure Hamza, 14 ans, qui traduit nos échanges à ses parents d’origine syrienne, Maher et Lames. Avant d’être accueilli au TJP – CDN de Strasbourg, le couple dormait sous tente au camp de la Montagne Verte avec trois enfants.
Hamza et son frère Wadj sont scolarisés au collège Lezay Marnesia et leur petite sœur de 6 ans, Dahab, est à l’école Saint-Jean. Bien qu’ils aient obtenu le statut de réfugiés, Maher et Lames n’ont pas d’hébergement depuis leur arrivée à Strasbourg. C’est la première fois que la famille peut souffler et s’abriter du froid depuis plusieurs semaines.



Tout comme Rehane* et ses deux enfants Melik* (17 ans) et Aïda* (15 ans), qui n’ont cessé de passer d’une solution précaire à une autre, tentant de se mettre à l’abri par tous les moyens. Parfois dans une voiture, dans un couloir d’immeuble, ou sur un campement.
« J’arrive même plus à mettre de mots sur ce que je ressens. Je me résigne, je perds espoir qu’il y ait un jour une solution. Avant, je m’étais fait une représentation de la France. Je pensais qu’on allait m’aider, que mes droits seraient respectés, mais ce n’est pas du tout le cas », soupire cette mère de famille arménienne arrivée en 2023 à Strasbourg.

Apicultrice de formation, Rehane* ne demande qu’une chose, obtenir son titre de séjour pour pouvoir travailler : « Après, on se débrouillera. On veut juste pouvoir assumer notre vie en travaillant, sans avoir à demander de l’aide. » De son côté, Melik* se forme pour devenir électricien : « J’aimerais ouvrir ma propre entreprise. »
Avec le conflit qui perdure entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il devra rejoindre l’armée pour y faire son service militaire s’il pose à nouveau le pied sur le territoire arménien. Quant à sa petite sœur Aïda*, elle confie avec le sourire vouloir devenir policière.



« Il n’y a plus que mon corps qui me tient »
À côté de la table où le goûter est disposé, une maman à l’attitude discrète n’a pas quitté sa doudoune. Tout en gardant un œil sur sa petite fille qui dispute une partie de Uno contre Dahab, elle accepte finalement de nous livrer son histoire. Maria* est arrivée depuis l’Albanie en FlixBus à Étoile Bourse en 2017 : « Je me souviens que mon fils était tout petit à ce moment-là. Il était malade, mais il a fait tous les efforts, il a pris sur lui jusqu’à ce qu’on soit pris en charge. » À partir de là, le parcours de cette combattante ne faisait que commencer.
Durant près de huit longues années, seule avec ses enfants, Maria* s’est accrochée de toutes ses forces. Le trio est d’abord logé par une association à son arrivée, puis chez des particuliers, mais aussi dans un hôtel via le 115, et par le Foyer Notre Dame, avant de retourner à l’hôtel durant la pandémie de Covid-19, jusqu’en 2022. Ensuite, Maria*, Jani* et Dea* se retrouvent à dormir sous tente, sur le camp de la place de l’Étoile. À cette époque, Dea* souffre de graves problèmes de santé et fait régulièrement des crises d’épilepsie. La situation étant critique, la famille sera une nouvelle fois logée en hôtel, jusqu’à récemment.

Début janvier 2025, Maria* et ses enfants sont prié(e)s de quitter la chambre dans laquelle ils sont hébergés. Ayant, une fois encore, nulle part où aller, elle se résigne à planter sa tente dans le sol durci par le gel, au camp de la Montagne Verte. La fin des vacances de Noël approche et il est bientôt temps pour Jani* et Dea* de retourner à l’école. Mais le jour de la rentrée, après plusieurs nuits passées dans le froid, Maria* ne parvient pas à emmener sa petite fille dans sa classe de CP : « Il faisait tellement froid… J’étais épuisée, je n’ai pas réussi. »
C’est lorsqu’elle se rendra à l’école Saint-Jean pour excuser l’absence de Dea* qu’elle finira par craquer et tout raconter. « Je n’ai jamais osé parler de notre situation, j’avais honte. Mais cette fois-ci, je n’en pouvais plus. J’ai l’habitude de tout garder pour moi, de tout porter seule, mais à un moment, on craque. J’étais tellement fatiguée… » détaille la mère de famille. « J’avais envie de mourir » confie-t-elle, cette fois-ci en chuchotant. Aujourd’hui, l’ancienne institutrice se sent à bout de forces : « Il n’y a plus que mon corps qui me tient. »


Récemment, Jani* a reçu son propre titre de séjour. Une nouvelle qui a particulièrement réjoui sa mère : « Quand je suis partie, mon fils avait 9 ans, aujourd’hui, il en a 18. Il n’a pas vraiment vécu en Albanie, sa vie n’est pas là-bas. Il n’y a pas de retour possible pour lui. » Si aucune solution n’est trouvée pour eux d’ici 15 février, Maria*, Jani* et Dea* s’attendent à devoir replanter leur tente quelque part. Pour l’aîné de la famille qui passe le baccalauréat cette année et qui espère poursuivre des études de commerce, il faudra réussir à réviser, dans un contexte d’extrême précarité.
Face au grand nombre de familles qui dorment dehors cet hiver à Strasbourg, la mairie a récemment lancé un appel aux propriétaires qui seraient prêts à mettre à disposition des logements vacants.
Pour les familles du TJP – CDN de Strasbourg, la date butoir approche. Il ne reste que quatre jours de répit derrière les murs du Centre dramatique national. Quatre jours pour espérer trouver une solution de relogement. Sans quoi, il faudra retourner dehors, dans le froid.
* Les prénoms ont été modifiés
