Ce dimanche 7 juillet, plus de 700 personnes se sont réunies au centre de Strasbourg pour célébrer la victoire du Nouveau front populaire aux élections législatives anticipées, face au Rassemblement National. Une veillée festive et joyeuse qui ne fait pas oublier les scores records du parti d’extrême droite.
« Maintenant, on a le droit d’emmener des drapeaux français en manif de gauche. C’est à nous ! » Au pied du général Kléber, un fanion tricolore danse avec la foule sur un titre de Diam’s. Les paroles de Marine sont reprises en chœur par un petit groupe arborant un large sourire. Il n’est pas encore 21h30, mais la foule se densifie rapidement au centre de Strasbourg.
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Un appel au rassemblement contre l’extrême droite et les politiques anti-sociales tournait sur les réseaux sociaux depuis la fin de matinée : la victoire surprise de la gauche l’a finalement transformé en fête populaire. Sur l’esplanade, des amis se retrouvent et s’étreignent. « On a gagné ! Je n’y croyais tellement pas. »
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« On profite du moment présent »
À côté de la sono, Djamel, 23 ans, plaisante avec sa voisine et sourit aux trois femmes qui dansent en se tenant par les épaules. « J’étais en train de courir quand j’ai appris qu’on avait gagné, se réjouit le jeune homme, encore en tenu de sport. Du moment que ce n’est pas le Rassemblement national, ça me va ! »
Ce soir, le sympathisant de gauche a une pensée « pour les anciens qui ont fait leur vie ici et qui aurait été obligé de partir » si l’extrême-droite était arrivée au pouvoir. Abandonnant leurs retraites et leurs projets après des décennies passées en France. Pour l’heure : « C’est une victoire, on profite du moment présent. »
« La lutte continue »
Dans les enceintes, Diam’s laisse soudain place à la Marseillaise puis aux Bérurier noir tandis que de nouveaux groupes affluent joyeusement. Plus de 700 personnes se pressent désormais au pied de la statue du général. Son vélo à la main, Léa, 42 ans, regarde la scène avec des fossettes plein les pommettes.
Pour cette travailleuse du social, la victoire de la gauche constitue « un gros soulagement » : « Je travaille dans une association qui accompagne des réfugiés et intervient en milieu scolaire pour sensibiliser à la lutte contre les discriminations. Depuis les élections européennes, il y avait une grosse inquiétude. On a entendu un cadre du RN dire que des associations comme la nôtre ne pourraient plus faire ce type d’intervention. Nous avons célébré nos 50 ans cette année en se disant que ce serait peut-être notre dernier anniversaire. »
La quadragénaire conserve toutefois « des inquiétudes pour la suite » :« Ce n’est pas une victoire intégrale, car le Rassemblement national a doublé son nombre de sièges à l’Assemblée nationale. Mais nous avons peut-être une chance de faire bouger les choses désormais. La lutte continue ! On espère que l’absence de majorité absolue n’empêchera pas la gauche de mener des politiques qui mettent l’humain au centre des priorités. »
« La lutte ne change pas, mais elle peut continuer »
Il est presque 22h lorsque les prises de paroles commencent, au centre de la foule. « Aujourd’hui, on a fait barrage au RN, aux fachos, aux antisémites et aux racistes et aux homophobes », scande Inès, sous les vivats de l’assemblée. Suivent des discours sur les luttes décoloniales en Palestine et en Kanaky, ainsi que des appels à rester unies pour rappeler la gauche à ses engagements dans les semaines à venir.
« On sait qu’il va y avoir des arrangements électoraux, juge Géode, militant dans une organisation écologiste, qui avoue avoir un peu peur pour le futur gouvernement ». « On nous parle d’une grande coalition de la gauche, du centre et de la droite, on voit le retour de François Hollande qui nous a trahi après avoir clamé que son ennemi était la finance… On va voir ce que ça donne », juge le jeune homme, circonspect.
Reste le soulagement de ne pas voir le Rassemblement national accéder au pouvoir. « La lutte ne change pas, mais au moins, elle peut continuer. Si l’extrême droite était passée, ça aurait été plus compliqué. »
« Il n’y a jamais eu autant de gens à participer à une élection au Neuhof »
Les prises de paroles terminées, la sono reprend sa playlist. Jul, Lorenzo et les Bérurier noir font bouger la foule dans une ambiance de bal populaire. « Vous savez qui se charge de la musique ? Il faudrait mettre l’Internationale là ! » réagit une jeune femme en sautant dans la foule.
Au centre de la place, Jamila Haddoum continue à faire onduler son drapeau tricolore avec un large sourire. Coordinatrice du service jeunesse au Centre socioculturel du Neuhof, la jeune femme a organisé un barbecue le matin même avant d’accompagner un groupe d’habitant(e) aux urnes. « Au CSC, nous avions annoncé vouloir faire barrage au Rassemblement national, mais nous n’avions pas donné de consignes de vote. »
« Je suis satisfaite que l’extrême-droite ne passe pas, se réjouit la jeune femme. Ces résultats permettent de prouver aux habitants du quartier que leur voix comptent, alors qu’ils pensaient au départ que tout était joué. » Au final, « il n’y a jamais eu autant de gens à participer à une élection » au Neuhof, selon elle.
« On marque l’Histoire, c’est important d’être là »
Une large partie des jeunes qui se sont déplacés ensemble pour aller voter l’ont accompagnée ce soir place Kleber. « Je leur ai dit “on marque l’Histoire, c’est important d’être là”. C’est le début de quelque chose. Maintenant, il va falloir continuer le travail. Ne pas lâcher. Car on a frôlé la catastrophe avec un parti qui divise les gens et ne s’en cache pas. Tout cela va demander beaucoup d’énergie. »
À titre personnel, c’est toutefois le soulagement qui l’emporte, ce soir, pour Jamila Haddoum. « Le soir du premier tour, on a fait croire au monde que la France était un pays raciste. Pour moi, ce n’était pas possible. » Venir avec le drapeau français s’est imposé comme pour elle comme une évidence. « Il n’appartient pas à l’extrême droite. »
23h. Après un tir de feu d’artifice et une chenille autour de la statue, la place se vide doucement. Quelques petits groupes poursuivent leurs discussions. Les sourires s’accrochent encore et toujours aux oreilles. L’allégresse se fait contagieuse. « Tu as déjà vu ça à Strasbourg ? », demande un photographe dans la trentaine à sa collègue. « Non, jamais. »