Le Théâtre national de Strasbourg (TNS) propose une programmation alléchante à l’année, mais c’est aussi une école pluridisciplinaire qui enseigne les métiers liés aux planches. Chaque promotion, pour signer le bout des trois années de cursus, est invitée à construire des projets de toutes pièces, menés par des élèves metteurs/ses en scène. Pour voir de plus près tout le travail qui se cache derrière une représentation, mais aussi les petites mains de l’ombre qu’on a tendance à oublier, on s’est faufilé dans les coulisses du Groupe 48 (48ème promotion) avant deux de leurs représentations. On vous montre.
Quand on parle d’aller voir une pièce de théâtre au TNS, on pense au frémissement du public, aux acteurs/rices sous le feu des projecteurs, à la scène qui se transforme en un univers éphémère, ou encore aux applaudissements déchaînés. Mais pour donner une représentation, il faut compter des semaines de travail, puis des heures de préparations le jour J.
Pour y voir plus clair, on a suivi le groupe 48 durant tout un après-midi, pour papoter avec les élèves de la création des projets, voir la magie des maquillages, costumes et décors, assister aux réglages sons et lumières, aux derniers essais et à l’adrénaline qui précède le clap d’ouverture.
On a suivi les préparatifs pour deux créations collectives qui se jouaient le même après-midi à l’espace Grüber : L’Ellipse puis Time is out of joint, respectivement mises en scène par Elsa Revcolevschi et Sarah Cohen. Et on a adoré ces moments bouillonnants.
L’Ellipse : au départ, un texte
Du 20 au 25 juin, ce sont deux spectacles qui ont été joués à tour de rôle dans les deux salles de l’espace Grüber, chacun mis en scène par des étudiantes du TNS. Car ce Théâtre national dispose d’une école en son sein, qui permet aux étudiant(e)s d’apprendre les métiers du milieu en conditions réelles.
Pour les deux représentations, la promotion du groupe 48 a été divisée en deux. On s’est d’abord faufilé aux côtés de l’équipe qui travaille sur L’Ellipse, d’Elsa Revcolevschi. Le point de départ de la pièce est le magazine Match, publié entre 1938 et 1940.
« J’ai voulu voir comment le fascisme se diffusait par la presse people. Dans Match, des extraits de Mein Kampf ont été publiés aux côtés d’articles sur le port du corset ou les cabarets. Comme si de rien n’était. »
Pour concrétiser son ambition, Elsa a écrit un texte après avoir travaillé avec le groupe lors de moments de travail en laboratoire en octobre 2023. « J’ai vu comment les acteurs/rices jouaient, parlaient, s’exprimaient. Et j’ai écrit le texte sur mesure. » Et c’est d’ici que tout part.
Transformer l’écrit en objet vivant
Ce texte, travaillé avec l’équipe, est déclamé dans les décors minutieusement conçus par Noa Gimenez, qui a prêté attention aux moindres détails. Pendant qu’Elsa fait le point avec l’équipe, et lit ses notes concernant les représentations précédentes, on se balade sur la scène, mise aux couleurs des années 40. Et on se laisse porter par l’ambiance.
On découvre une myriade d’objets, d’époque ou non, qui dialoguent ensemble comme un puzzle géant. Machine à écrire, cabine téléphonique, vieux exemplaires du magazine Match, affiches et cartes postales, le tout avec un objectif : créer un univers qui oscille entre le cabaret et des bureaux de presse.
Pendant qu’on déambule au milieu du décor encore inanimé, Macha initie ses séquences lumières, et Corentin vérifie une dernière fois le défilement des sons. Perchés au sommet de la salle, ils/elles testent les ambiances lumineuses, lancent les musiques de cabarets ou les bruits de bombardement. On se délecte des bribes de spectacle, pendant que l’actrice Blanche s’échauffe sur le bord de la scène.
Maquillage et papotage : la force des projets en groupe
On fait un petit détour par les loges, où on retrouve Nina en train de coiffer Aurélie. On profite de cet instant brushing rétro pour papoter avec elles. Aurélie nous explique qu’elle a voulu entrer en TNS en raison de la pluridisciplinarité de l’école.
« Il y a plein de sections différentes : jeu, dramaturgie, régie, mise en scène, ou encore costume-scénographie… Tous les métiers du théâtre y sont représentés. »
Et celle qui a choisi la section jeu développe : « À la base, je suis musicienne. Mais j’aime aussi jouer. Avec le théâtre, j’ai pu trouver un compromis pour mêler toutes ces envies sur scène. Au TNS, on a même pu profiter de cours de piano ou de ukulélé, pour nous perfectionner. On peut concrétiser toutes nos envies, et le tout à travers des projets collectifs. »
C’est le même point que souligne Nina, en section costume-scénographie : « La diversité des parcours permet de créer des projets en groupe, avec les forces de chacun. On est jamais seuls, on est en dialogue constant. »
Costumes : de la magie et une bonne dose de savoir-faire
Nina poursuit en parlant de son expérience de costumière : « Par exemple, pour l’Ellipse, j’ai du faire des recherches sur les codes vestimentaires des années 30-40. J’ai travaillé avec le budget et les moyens du TNS, et notamment l’énorme stock de costumes. Mais au-delà de ça, il faut composer avec le confort des acteurs/rices, voir si les vêtements collent au décor, et surtout, au travail de la lumière et du son. On est jamais seul. »
Et pour les galères, Camille, habilleuse, est là pour soutenir les élèves. « On discute des envies, et je les aide à les réaliser, je réponds aux questions techniques, apporte mon savoir-faire. Je leur file un coup de pouce pour les retouches, l’entretien, les changements de tenue… On crée les automatismes du métier ! »
« Time is out of joint », derniers préparatifs
Changement de décor : on passe une tête pour voir les préparatifs de Time is out of joint. Le spectacle commence dans une heure : tout le petit monde s’agite, mais on arrive à papoter un peu avec Sarah Cohen, la metteuse en scène, et Louison Ryser, la dramaturge. On s’est d’ailleurs demandé quelles étaient les missions exactes de ces métiers, qu’on connaît mal et que les deux jeunes femmes apprennent à l’école du TNS.
Sarah nous en dit plus : « Le plateau de théâtre, ce n’est pas l’endroit où je me reconnaissais le plus. J’aimais tout ce qui venait en amont : la mise en espace, la lumière, la direction d’acteurs/rices, les textes… Bref, l’idée de créer un objet aux multiples facettes. Et c’est ça la mise en scène. »
« Quant à la dramaturge, on peut dire que c’est la gardienne du sens », renchérit Louison. « On suit le projet, on dialogue avec la mise en scène… Notre rôle principal, c’est d’accompagner le passage de la matière texte au plateau, sur tous les plans. Et vérifier que le tout reste cohérent. »
Créer, ensemble et toujours
Concrètement, pour Time is out of joint, le spectacle mêle trois sources : Hamlet de Shakespeare, des textes philosophiques de Derrida, et la parole des sept acteurs/rices. Le tout pour parler de la jeunesse et ses combats dans ce monde qui va vite, trop vite et dans tous les sens. Un projet ambitieux, avec des nombreuses facettes.
C’est cette même jeunesse qui a œuvré collectivement pour mettre sur pied la première pièce de Sarah. « On a construit le projet de A à Z. Ce que défend l’école, finalement, c’est notre liberté de créer. On est pas là juste pour exécuter, mais pour faire passer un peu (beaucoup) de nous. Et c’est un privilège. »
Louison poursuit : « La beauté du projet, c’est que tout le monde a pu y mettre sa patte. Dramaturgie, lumières, sons, décors, textes… On a travaillé avec les idées de chacun(e) pour en faire un objet profondément collectif. »
« Lever de rideau dans 20 minutes ! »
Toute l’équipe du spectacle s’affaire aux derniers préparatifs. Mathis teste une dernière fois les lumières, et nous éclaire la scène pour qu’on puisse profiter du bouillonnement.
Chacun(e) se met en condition à sa façon, au milieu d’un défilé de vocalises, de pas déterminés et d’étirements. Certain(e)s arpentent nerveusement la scène avec leurs écouteurs, d’autres se lancent dans des petites gymnastiques. On travaille sa démarche avec les chaussures à talons, on répète ses lignes en marmonnant, on échauffe sa voix en chantant.
Au milieu de ces allers et venues frénétiques, on fait les dernières retouches pour le maquillages, les derniers ajustements des micros. Et tandis que les acteurs/rices arpentent nerveusement le décor, Sarah les rassemble pour le traditionnel mot.
« On va faire encore mieux. On va TOUT DONNER ! » Dernières embrassades, dernières accolades nerveuses. Le public rentrent, les lumières s’éteignent. Et la magie opère.