Alors que le Racing Club de Strasbourg a clôturé à la 13e place sa 7e saison consécutive en Ligue 1, tout n’a pas été de tout repos. Tentative d’analyse à tête reposée d’une année éprouvante, entre rachat, déception, perte d’identité et motifs d’espoir pour la suite.
Le 4 mai dernier, le Racing Club de Strasbourg obtenait son maintien sur la pelouse du Havre, après une défaite catastrophique 3-1. Une semaine plus tard, les Bleus et Blancs faisaient chavirer la Meinau au bout du temps additionnel en battant Metz 2-1. Le 19 mai, Strasbourg tombait devant Lyon 2-1, après une défaite plus que frustrante. Trois derniers matchs qui résument finalement bien l’année strasbourgeoise.
Si au niveau comptable, la 13e place augure d’un maintien tranquille, celui-ci est un peu en trompe-l’oeil d’une saison où s’est trop souvent alterné jeu médiocre et frustration. Les grosses montées d’émotions à la Meinau, qui ont fait exploser les décibels et les cordes vocales des supporters/rices, sauvent un peu le tableau d’une année que l’on va essayer d’analyser.
Les points positifs
Un Racing qui a « passé la première année »
Pour ne pas être taxé d’être chafouin, commençons par les points positifs. S’il y en assez peu, le principal est important : l’an prochain, le Racing sera en Ligue 1 pour la 8e saison consécutive. Une satisfaction au vu de l’année compliquée, mais qui tranche avec l’envie initiale de « permettre d’avoir des ambitions plus fortes au classement sans faire n’importe quoi », selon Marc Keller dans une interview pour l’Équipe – au moment du rachat du club le 22 juin dernier.
Environ 5 mois plus tard, alors que le Racing n’était pas loin de perdre pied, le président avait quelque peu retropédalé la grandeur des ambitions, déclarant aux lecteurs/rices des DNA [et uniquement à leurs abonné(e)s, ndlr] : « Le projet consiste à passer cette première année, puis à monter en puissance et, dans les deux ans, à lutter pour les places européennes. Le projet ne se mesure pas sur une dizaine de matches, mais au bout de deux ou trois ans. On est en train de construire le Racing de demain. »
Là-dessus, rien à redire, le Racing a finalement tenu sa promesse : il verra la Ligue 1 l’an prochain. On peut tirer le chapeau à Patrick Vieira sur ce point-là : quand cela a tangué très fort, et que les critiques s’abattaient sur lui et l’équipe, il a su maintenir la barre. Maintenant, les attentes sont fortes pour une deuxième saison, qui sera jugée encore plus sévèrement, au vu des promesses réalisées.
Un Racing plus fort financièrement
Lors du mercato d’été 2023, le Racing a fait casser le PEL : environ 56 millions d’euros dépensés, un record. Les esprits chagrins diront qu’avec les ventes de Bellegarde et de Diallo, « seulement » 23 millions net ont été investis, mais financièrement, le Racing a clairement passé un cap. Cela lui a également permis de garder Diarra et Doukouré, deux des jeunes joueurs les plus prisés. Sans BlueCo, ils seraient sans aucun doute partis.
Dans le même temps, cette meilleure santé financière permet d’investir autour du simple club fanion. Les travaux du stade de la Meinau suivent bien leur cours, et la meilleure assise financière permet de pallier à des augmentations de coûts imprévues. Là encore, sans BlueCo, il aurait sans doute fallu bidouiller et le Racing aurait été fragilisé financièrement.
Dans la période économique très sombre du foot français, toujours sans diffuseur pour la prochaine saison [et donc sans sa principale source de revenus, ndlr], avoir des fonds annoncés comme presque illimités permet de voir venir.
Enfin, le club insiste sur le fait que BlueCo investit dans l’équipe féminine, qui a clôturé sa remarquable saison à la 1e place de la D2, montant en Arkema Première Ligue la saison prochaine. Pour être compétitive et aux normes la saison prochaine [au niveau du stade, des joueuses et des infrastructures, ndlr], la section féminine va devoir passer un énorme palier financier, et BlueCo devra suive le mouvement.
Des jeunes joueurs qui progressent
Sur l’équipe du Racing en elle-même, les Kids United recrutés à prix d’or l’été dernier ont tous plus ou moins montré des signes de progression. La plus grosse satisfaction reste Dilane Bakwa, meilleur joueur de la saison du Racing : provocateur, dribbleur et bon passeur, il a su se rendre indispensable dans une équipe qui manque cruellement de créativité. Il reste de gros axes de progression, mais pour une première saison en Ligue 1, c’est une réussite. À voir pour les suivantes ?
Mais la vraie question, c’est est-ce qu’il restera au Racing la saison prochaine ? Selon Marc Keller en novembre dernier : « On n’a pas investi cet été sur des joueurs pour les revendre en juin prochain. La position est extrêmement claire. » Le temps sera juge de paix sur cette question, au vu des promesses parfois contradictoires énoncées cette saison.
Côté recrues les plus chères, ça a été plus un poil plus compliqué : malgré tout ce qu’il a pu se prendre (injustement) dans la figure, Emanuel Emegha a réalisé une bonne première saison pour un jeune attaquant débarquant d’Autriche. Au compteur : 9 buts toutes compétitions confondues, on a vu pire. Abakar Sylla [recrue la plus chère du Racing à 20 millions, ndlr] a lui fait preuve d’inconstance chronique, qu’il faudra résoudre pour la suite, malgré quelques buts très importants.
Marvin Senaya a également réalisé une très belle première saison en Ligue 1, tandis que d’autres jeunes du cru comme Jeremy Sebas et Rabby Nzingoula ont montré de belles promesses. Enfin, la meilleure surprise est celle que l’on n’attendait pas : Andrey Santos, milieu de terrain brésilien prêté par Chelsea à la va-vite à la toute fin du mercato d’hiver. Il s’est imposé par son calme et sa technique dans le milieu strasbourgeois, et nul doute que beaucoup de supporters/rices espèrent qu’il sera reprêté l’an prochain. Sera-t-il là ? Pas sûr.
Les points négatifs
Une équipe qui n’a pas progressé dans le jeu
Passons désormais aux points négatifs, et il y en a, tant cette saison a été éprouvante. D’abord, si des jeunes joueurs ont certes progressé, l’équipe en elle-même n’a montré que trop peu de signes d’amélioration dans le jeu collectif. Trop souvent elle s’est reposée sur des exploits individuels plutôt que par une vraie alchimie collective et des circuits de jeu bien définis.
Au niveau des raisons, il y a d’abord le style de jeu du Racing. Plutôt que de bâtir un football sur la conservation de balle, Patrick Vieira a fait le choix (contraint ?) de pratiquer le contre. Peu d’attaques placées ou de circuits de passe, mais un Racing compact et près à exploser à la récupération du ballon. Dans ce système, Bakwa a particulièrement explosé.
Ensuite, créer une nouvelle identité de jeu pour le Racing a été rendu difficile par les tâtonnements tactiques et la gestion parfois opaque des joueurs. Sur le sujet, le management de Patrick Vieira n’a pas permis d’y voir très clair : niveau système de jeu, le Racing en a vu de toutes les couleurs : 352, 343, 433, 442, 424, 4231 modulable ou encore le bordel qu’était la compo du match face à Nantes [encore un mystère de l’humanité, ndlr].
De la même manière, la gestion de certains joueurs a interrogé au plus haut point. Le cas Saïdou Sow est emblématique : pas utilisé de toute la première partie de saison alors que recruté plus de 3 millions d’euros, il est d’un coup rentré dans le 11, a fait de très bonnes performances avant d’en ressortir totalement après une bourde face à Lille.
Gameiro et Sissoko ont longtemps fait banquette alors que Patrick Vieira ne cessait de louer leurs performances aux entraînements, Mwanga a complètement disparu après un bon passage et Sylla a fait le yo-yo.
Il est sans doute compliqué de gérer un groupe aussi jeune et inexpérimenté en Ligue 1, et l’on n’a pas accès à tout ce qu’il se passe dans un groupe. Néanmoins, certains choix ont tout de même pu interroger. La saison prochaine sera alors scrutée avec d’autant plus d’attention : car avec des joueurs ayant une saison dans les jambes, plus vraiment d’excuses pour ne pas proposer mieux.
Un effectif trop bancal
Là où Patrick Vieira n’y peut en revanche pas grand chose, c’est sur la composition de l’effectif. Et sur cette saison, c’était un chaos absolu. Seulement deux ailiers de recrutés, alors que le jeu préférentiel de Vieira dépend de ces postes. Et lorsque Ângelo s’est blessé, le coach a dû constamment bricoler.
De la même manière, durant toute la saison, les blessures des uns et des autres ont démontré à quel point l’équipe du Racing était cette saison mal construite : trop de défenseurs, pas assez de milieux et seulement un vrai attaquant de pointe, laissant Emegha trop souvent exposé, dans le jeu comme dans les jugements des supporters/rices. Sans même parler du poste de gardien après le départ controversé de Matz Sels, où le maintien a pris des allures de miracle divin.
Il ne faut pas se leurrer : si le Racing a fini 13e à 10 points du 1er relégable, il le doit notamment à quelques victoires miraculeuses [Lyon, Le Havre et Metz à la maison, Metz à l’extérieur, ndlr] et à la faiblesse de la Ligue 1 cette saison. Rendez-vous compte : le club a enchaîné deux périodes de 8 matchs sans victoire, soit quasiment la moitié des matchs ! En revanche, c’est rassurant : même sous pavillon américain, le Racing garde son côté irrationnel.
On peut donc voir cette année comme une transition entre l’ancien Racing et le nouveau. Ainsi, le mercato d’été sera primordial pour prouver les nouvelles intentions du club. Premières réponses à partir du 1er juillet 2024.
Un Racing en perte d’identité
Néanmoins, le plus gros point négatif à tirer de cette cette première saison est simple : le sentiment de perte d’identité par rapport au Racing que l’on connaissait. Si Marc Keller et Patrick Vieira face aux lecteurs/rices des DNA ont pu jouer la carte du « le changement ça fait peur/les gens n’aiment pas le changement », l’année écoulée a montré la fracture qui se dessine entre certain(e)s supporters/rices et leur club de toujours.
À l’annonce du rachat par BlueCo, les associations de supporters/rices oscillaient entre la vigilance [principalement accordée en raison des années de bon service de Marc Keller, ndlr] et l’opposition tranchée, notamment des UB90. Une situation qui avait tout d’une poudrière, maintenue sous tension après les premiers bons résultats, mais qui a explosé une fois que les mauvais résultats se sont enchaînés. Après la gabegie face à Nantes en octobre, les supporters/rices sont par exemple partis 10 à 15 min avant la fin du match.
Coup de gueule à Strasbourg : maman, ils sont en train de tuer mon Racing
Tout le mois a ensuite été émaillé de lettre de la Fédération des supporters, de communiqués des UB90 et d’affiches disséminées çà et là dans la Meinau. Dans tout cela, certains joueurs sont devenus des défouloirs et des symboles du nouvel actionnaire, comme Emanuel Emegha, honteusement traité par une partie des supporters/rices strasbourgeois(es) quasiment toute la saison.
La série positive de 9 matchs sans défaite au coeur de l’hiver a réussi à donner un peu d’air à un Marc Keller dont la parole n’est plus aussi sacrée qu’avant, malgré ses passages dans la presse pour déminer la situation. Et dès que les résultats basculent à nouveau vers le médiocre, les tensions sont réapparues : une partie du Kop est partie 30 minutes avant la fin de la défaite catastrophique du Racing face à Brest, mettant la question que tout le monde se pose : « Quel est le projet ? »
L’ambiance vire au délétère à la Meinau, avec des « BlueCo casse-toi », des banderoles ciblant pour la première fois Marc Keller et même un défilé organisé dans les rues strasbourgeoises avant la victoire face à Rennes le 31 mars, très mal vécu en interne. Il en ressort un stade fracturé, entre les supporters/rices s’occupant parfois trop de chanter leur mécontentement, et des spectateurs/rices toujours prêt(e)s à critiquer les initiatives des seuls qui portent littéralement la voix du club, mais absolument incapables de chanter ne serait-ce qu’une seconde.
Le Racing a toujours mieux fonctionné uni, et on l’a vu lors du magnifique cortège avant le match face à Metz. Et si le club a fini sa saison en apothéose dans son volcan de la Meinau, tout n’est clairement pas oublié. Là encore, comme beaucoup d’autres points, la saison prochaine sera importantissime.
Et alors que la tribune ouest se refait une beauté cet été, le rôle du Kop dans une Meinau à 17.000 pour causes de travaux sera plus que jamais primordial. Car en cas de conflit continu entre les supporters/rices et l’actionnaire, l’ambiance pourrait vite sonner très creux, ou alors très hostile. Voire pire : complètement indifférent.
Quelle suite ?
En tant que supporter du Racing, cette saison a été éprouvante à bien des aspects. Une équipe qui tâtonne, un nouveau projet (qui nous en)flou(e), de belles promesses pas toutes tenues et des explications en forme de langue de bois d’une direction devenue inaudible. À cela se sont rajoutés des conflits de supporters/rices, entre « pro » et « anti », qu’une belle victoire face à Metz ne sauraient résorber d’un coup de tête d’Andrey Santos.
Finalement, de cette année éprouvante ne restent que plusieurs questions :
- Le Racing va-t-il continuer sa politique de rajeunissement de son effectif, sans jamais rajouter un seul joueur expérimenté ?
- Selon les promesses lors du rachat, dans sa deuxième saison le club vise le Top 10. Chiche ?
- Va-t-on vers une pouponnière de Chelsea, juste bon à faire progresser leurs jeunes ?
- Va-t-on conserver nos pépites sur un cycle de 3 ans, ou va-t-on les vendre à la première grosse offre venue ?
Les premiers échos, entre départs de Gameiro, Sissoko, Mothiba, sans doute Perrin n’incitent pas à l’optimisme. Tout comme le retour annoncé de Santos à Chelsea, alors que des sources internes avaient assuré qu’il resterait.
Néanmoins, l’intersaison est longue, et dans une année où on a appris à ne faire confiance qu’à ce qu’il y a sur le terrain, il n’y a finalement qu’une posture : on verra. On verra bien quelle équipe on aura devant nous à la rentrée, on verra si les promesses sont tenues, ou si on nous enfloue. Et à partir de ce moment-là, les discussions pourront commencer.
Merci pour cet excellent article !
der hantz em schnongeloch, ça continue