Ce jeudi 15 février, Strasbourg, Grenoble, Rennes, Bordeaux et Lyon ont annoncé poursuivre l’État en justice sur l’hébergement des sans-abris. L’objectif ? « Prouver les carences du système actuel et instaurer une véritable politique de mise à l’abri. » Pour Strasbourg, le recours a été déposé le 12 février.
On attendait cette déclaration depuis un moment maintenant : le 5 décembre 2022, Jeanne Barseghian annonçait qu’elle allait intenter une action en justice contre l’État, pour inaction et carence en matière de mise à l’abri des personnes.
Une décision prise après des mois de ping-pong entre la Ville et la préfecture concernant la situation du camp de l’Étoile.
Depuis, plus rien, à tel point qu’on pouvait légitimement se demander si cette annonce allait être suivie de fait. Un recours gracieux a été réalisé envers la préfecture du Bas-Rhin en octobre 2023, à Strasbourg comme dans les quatre autres villes.
Au vu de l’absence de réponses dans le délai de deux mois, toutes les cinq ont décidé de passer à la vitesse supérieure : une poursuite de l’État en justice, annoncée ce 15 février.
Combattre un « système indigne et à bout de souffle »
Dans une conférence de presse à cinq voix (Nathalie Appéré, maire PS de Rennes, Grégory Doucet, maire EELV de Lyon, Éric Piolle, EELV maire de Grenoble, et Pierre Hurmic, maire EELV de Bordeaux), c’est Jeanne Barseghian qui prend la parole la première.
Elle rappelle le contexte de cette action : « Depuis des mois et des années, on pose des constats extrêmement clairs des collectivités, de la communauté éducative, médico-sociale et des associations sur un système qui est aujourd’hui inadapté, insuffisant, inefficace et surtout indigne. »
Jeanne Barseghian explique donc que la conjoncture actuelle empire, alors que les communes vont au-delà de leurs prérogatives sur le sujet du sans-abrisme [la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg ont notamment construit 500 places d’hébergement d’urgence, ndlr]. Le tout, alors que la précarité touche un public toujours plus vulnérable, comme l’explique Jeanne Barseghian : « Ce ne sont pas que des hommes isolés à la rue, mais désormais des familles, femmes et enfants. Ou alors des personnes gravement malades. »
Elle rappelle également les derniers chiffres de la fondation Abbé Pierre sur la pauvreté en France, 70 ans après le célèbre appel de l’Abbé Pierre : 330.000 personnes sans domicile, dont 3.000 enfants, 9 millions de pauvres, et près de 12 millions de mal-logé(e)s. Selon Nathalie Appéré, maire de Rennes : « Nous nous heurtons à la limite de ce que nous pouvons faire. Seul nous ne pouvons plus assumer une crise systémique et structurelles. »
La maire de Strasbourg fustige alors l’inaction de l’État : « Cela fait deux ans qu’on multiplie les actions collectives et les appels auprès du gouvernement et du président de la République pour réformer. Nous n’avons reçu aucune réponse satisfaisante des trois ministres du Logement qui se sont succédés, il n’y a que remise à la rue et gestion au thermomètre. »
Réformer l'hébergement d'urgence
Face à « cette situation qui continue de se dégrader et qui est sans perspective », Jeanne Barseghian annonce que Strasbourg, Rennes, Lyon, Grenoble et Borderaux poursuivent l’État en justice. Les cinq villes demandent ainsi la « fin du système d’hébergement d’urgence » et « sa réforme profonde » par l’État, notamment sur les critères d’accès à l’hébergement d’urgence.
Ce véritable « cri d’alerte qu’on ne cessera de porter malgré le silence assourdissant du chef de l’État et du gouvernement », selon la maire de Strasbourg, prend donc la forme d’un recours contentieux, déposé par chaque ville devant son tribunal administratif.
Son fondement est sensiblement le même que celui des recours gracieux : les cinq villes demandent des indemnisations en forme de remboursements, « qui traduisent les dépenses et moyens que nos collectivités ont dû déployer pour faire face aux besoins sociaux qui explosent et au nombre de personnes à la rue », selon Jeanne Barseghian.
Néanmoins, les demandes ne sont pas que financières selon Nathalie Appéré : « On n’est pas que sur un plaidoyer séduisant mais irréaliste ; on a eu la preuve pendant le Covid qu’une organisation nationale en coopération était possible et que ça marchait. » Une logique de main tendue avec l’État, que tous les maires présents ce 15 février rappellent.
Grégory Doucet, maire de Lyon, parle lui d’une « démarche d’élus de la République qui ont a coeur de faire vivre ses principes, notamment la fraternité ». Il est rejoint par Éric Piolle, maire de Grenoble, insistant sur le fait que « une hiérarchisation de la misère est insupportable ».
Avec cette action forcément fracassante médiatiquement, les cinq maires, et la dizaine d’autres signataires d’une lettre au président de la République, ne veulent qu’une chose, résumée par Jeanne Barseghian : « Il est temps que le gouvernement nous apporte des réponses satisfaisantes et des conditions de vie dignes. »
Affaire à suivre.