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Aux fourneaux : rencontre avec Liana, cheffe géorgienne qui mixe les traditions à Strasbourg

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Originaire de Géorgie, Liana est arrivée en France il y a 5 ans. Installée à Strasbourg, elle savoure le mélange des cultures et le transmet à ses enfants. Amoureuse de cuisine et cheffe talentueuse, elle incarne au quotidien cette mixité culturelle. Accompagnée aujourd’hui par l’équipe de l’association locale Stamtish dans son parcours professionnel, vous avez peut-être eu la chance de déguster sa pizza kachapuri chez Pecora Negra lors du Refugee Food Festival. Portrait.

Peux-tu te présenter ?

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Je m’appelle Liana, je suis géorgienne. Je suis arrivée en France en 2018 avec mes enfants.

Je suis née à Kobuleti, dans la région d’Adjara, près de la mer. C’est une belle ville, très touristique… Mais pour moi c’était différent, je ne pouvais plus y vivre alors j’ai perdu tout intérêt pour cet endroit et ces personnes.

En France, j’ai pu trouver du travail après 4 mois de recherches, à l’hôtel le Couvent du Franciscain. J’ai commencé à prendre des cours de français, c’est obligatoire. Puis je me suis lancée dans des formations de cuisine, de couture… J’ai tout fait. C’était très important car je ne voulais pas rester à la maison. Lorsque je suis chez moi, je pense trop à ma vie d’avant.

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© Julia Wencker

Qu’est ce qui t’a amené à te diriger vers la cuisine ?

Quand j’étais petite, mes parents étaient très durs, je ne pouvais jamais cuisiner. Par exemple, si je voulais faire un gâteau, ils refusaient. Si je demandais à faire une salade, ils me répondaient “non tu vas te faire mal”. J’ai toujours pensé que je ferai ce que je veux une fois adulte.

Plus tard, lors du mariage d’un de mes voisins, le chef m’a demandé de l’aide. Je me suis dit pourquoi pas. Il m’a dit que j’étais très douée et que je pourrai ouvrir un restaurant un jour. Mais il ne connaissait pas ma situation…  Je me suis mise à aider les gens en cuisine mais mon mari s’y opposait, il voulait que je reste à la maison.

Mon rêve serait d’ouvrir un restaurant ici, mais j’ai un peu peur car c’est très difficile. Il faut beaucoup d’argent. J’adore les mathématiques, compter etc. Cependant, au restaurant tout est très précis, que ce soit pour les quantités, tout doit être au milligramme près, ou financièrement.

Un restaurant demande beaucoup de rigueur et peut faire faillite à tout moment. L’idéal serait de commencer avec quelqu’un, pour faire un peu de cuisine géorgienne et un peu de cuisine française, ou italienne… J’aime découvrir les autres cultures, pour moi c’est très important !

Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?

Je suis issue d’une grande famille, j’ai 5 sœurs et 1 frère. Quand j’étais petite ma mère est tombée très malade, elle ne pouvait plus marcher et est restée 45 jours alitée. Mes frères travaillaient et étaient souvent loin de la maison et ma grande sœur s’est mariée. Il ne restait plus que ma petite sœur (trop jeune) et moi pour s’occuper de ma mère.

Un jour j’ai réfléchi à ce que je pourrais cuisiner et j’ai fait une sorte de salade d’orties. J’ai goûté et je me suis demandé ce que je pouvais rajouter (parce que les orties ça n’a pas énormément de goût). J’y ai mis des pommes de terre, des oignons, de l’huile de tournesol, des tomates longues, de l’ail, de la coriandre et du persil. Après avoir goûté, j’ai dit : « je ne suis pas morte, alors vous ne mourrez pas non plus, vous pouvez manger ! »

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© Julia Wencker

C’est comme ça que j’ai commencé ! Et petit à petit j’ai tout appris parce que j’étais seule à la maison. Je devais me lever à 5h, aider ma mère, aller à l’école avec ma sœur et quand je rentrais j’aidais ma mère à prendre sa douche et ses médicaments, je faisais à manger et ensuite j’allais travailler dans les champs de thé.

Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?

Je ne parle pas au nom de tous les Géorgiens, mais je dirais l’oignon, la tomate, la coriandre, l’ail, le persil et les poivrons rouges. Avec ça, je peux tout faire, c’est obligatoire pour le goût et le visuel.

Je n’aime pas trop la viande. Ce qui m’a frappée en arrivant ici, c’est la manière dont on communique avec les animaux, les chiens. C’est très différent de ma vie d’avant. Quand j’étais en Géorgie je vivais dans une grande ferme avec plein de vaches. Je les voyais petites, les voyais grandir et soudainement on leur coupait la tête !

Ça me laissait sans voix. En arrivant ici, j’ai été marquée par une vidéo sur un refuge pour les animaux, en Espagne je crois. Un lieu comme pour demander l’asile… Mais pour les animaux !

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© Julia Wencker

Il y a un plat français que tu aimes ?

J’aime beaucoup la sauce aux champignons, je peux la manger avec tout : des frites, des patates, des spaghettis, des spätzles, des œufs !

Lors de ma première formation, on nous a appris à cuisiner avec de la semoule. J’aime beaucoup la semoule, mais ici c’est très différent. J’en ai refait à la maison, j’ai rajouté des concombres, de la coriandre, de la ciboulette et du thym et j’ai tout mélangé. Quand j’ai fait gouter à mes enfants ils m’ont dit « maman c’est parfait ! ».

Qu’est-ce que tu ressens quand tu cuisines ?

Quand je cuisine je suis très calme, je réfléchis à beaucoup de choses, je ressens beaucoup de bonheur. Je pense à mon plat, je me demande ce que je vais ajouter et je réfléchis à d’autres plats que je pourrais faire.

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Avec qui préfères-tu cuisiner ?

J’aime bien cuisiner avec mes enfants, parce qu’ils aiment ça. Par exemple, un jour pendant le Covid, je me suis réveillée à 3h et j’ai senti que quelqu’un était en train de cuisiner. Je me suis levée et j’ai trouvé ma fille devant une vidéo YouTube en train de préparer un plat chinois.

Je lui ai demandé pourquoi elle faisait à cette heure là. Elle m’a dit : « Maman c’était trop beau », alors je suis restée et je l’ai regardé cuisiner. Après ça elle s’est mise à cuisiner tous les jours pendant le confinement, et maintenant c’est une très bonne cuisinière, comme tous mes enfants !

C’est pratique de cuisiner tous ensemble, ça va plus vite. Je coupe toujours les oignons, mes enfants n’aiment pas car ça les fait pleurer. Une de mes filles coupe le persil et la coriandre, une autre coupe autre chose, et on peut tout faire d’un coup. Tous mes enfants aiment cuisiner, c’est très important pour une famille !

Pourrais-tu nous parler d’un plat qui t’a déjà fait voyager ?

Les sushis ! Avant je ne pouvais pas en manger. C’était bizarre pour moi. Un jour un ami arménien m’a dit qu’il allait me faire des sushis et qu’on pourrait les manger ensemble. J’ai dit non, je ne veux pas voir comment on coupe la tête du poisson, tout ça… Il m’a dit « mais non, ce n’est pas comme ça! ». Quand je l’ai regardé faire, avec le riz et tous les ingrédients, j’ai voulu essayer. Puis goûter. Et j’ai tout mangé!

Aussi, j’ai découvert les burgers. Il y a beaucoup de burgers en Géorgie mais difficile pour moi d’en manger à cause de la viande et parce que je ne sortais pas de chez moi, ça relevait du cosmos ! Puis un jour en France, ma fille m’a demandé si j’aimais les burgers. J’ai répondu que je n’y connaissais rien. Elle m’a emmené au McDo. Tous mes enfants me regardaient. Quand on m’a apporté le burger, j’ai demandé un couteau et une fourchette. Alors le personnel m’a regardé en me disant « On ne peut pas manger comme ça, il faut manger avec les mains, Madame ! ».

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© Julia Wencker

Selon toi, est ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions ?

Ça fait déjà 5 ans que je suis en France et je n’ai pas beaucoup cuisiné géorgien. Mes enfants apprécient les plats de cultures différentes. Lorsque j’apprends des plats pendant mes formations, je les refais à la maison.

Un jour ma fille m’a demandé si je pouvais mélanger un plat géorgien et la culture française. J’ai dit oui bien sûr. Par exemple en Géorgie on cuisine du poulet avec du riz en mélangeant tout ensemble. Ici on sépare les ingrédients dans l’assiette, il ne faut pas trop mélanger. Pourtant ce sont les mêmes ingrédients. Quand je l’ai fait à ma fille, elle a goûté en premier « à la française », avec les ingrédients séparés dans l’assiette et quand elle a tout mélangé, elle a adoré ! Finalement, ce n’est que la décoration qui change.

Quand je travaillais au restaurant Météor, j’ai cuisiné un plat géorgien pour mes collègues, un imerulli kachapuri. Ils m’ont tous demandé ce que je faisais parce que ça sentait bon. Ils n’avaient jamais goûté ce plat ; on fait tous des choses très différentes.

Le jour où j’aurai un restaurant je ferai un poulet rôti comme en Géorgie, mais on ajoutera la sauce aux champignons française.


Pokaa et l’association Stamtish s’allient pour vous partager notre amour commun de la bouffe et des personnes engagées dans les milieux de la restauration. Dans cette série de portraits intitulée Humans of food, nous vous proposerons de découvrir ces visages qui s’engagent à Strasbourg à travers des interviews axées sur le partage et la bonne bouffe. Parce que s’il y a bien quelque chose dans ce monde qui nous rassemble toutes et tous avec nos différences, c’est bien un bon repas. Et ici on l’a compris depuis longtemps.

>> Découvrir l’association Stamtish <<

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