Fleuron de la nouvelle université de Strasbourg fondée par les Allemands en 1872, le Palais universitaire a traversé les décennies, les régimes et les guerres sans beaucoup changer. Pour qui sait observer, sa façade et ses couloirs racontent près de 140 ans d’Histoire strasbourgeoise. Reportage.
Sur le parvis du Palais universitaire, ce matin de semaine, il y a ceux qui lézardent tranquillement sur un banc ou sur les marches. Et ceux qui traversent la place d’un pas pressé avant de s’engouffrer dans le bâtiment, sans un regard pour la façade néo-classique. Habitués, sans doute, aux colonnes et aux statues qui les surplombent. Un tableau presque inchangé depuis la fin du 19ᵉ siècle.
“À l’origine, ici, il n’y avait que des champs à perte de vue”, explique en souriant Matthieu Mensch, conscient de la surprise qu’il provoque. Au pied des marches, le regard rivé sur les détails ornementaux, le responsable du Palais U commence par faire un bond dans le temps.
L’histoire du bâtiment commence en 1870, au lendemain de la défaite française face à la Prusse. L’Alsace-Lorraine devient allemande et forme un nouveau Reichsland auquel il faut une capitale. Ce sera Strasbourg.
Une nouvelle université
“En 1870, la ville n’a quasiment pas bougé depuis des siècles en matière d’urbanisme, poursuit l’historien. Elle se situe essentiellement sur la grande île.” L’empereur Guillaume Iᵉʳ voit cependant dans les cultures qui l’entourent un large espace où construire une nouvelle ville, destinée à devenir la seconde capitale du pays après Berlin. “Une vitrine du génie allemand tout près de la France.” Ainsi commence la construction de la Neustadt.
“Si vous regardez bien, le Palais U se situe en face de l’actuel palais du Rhin, qui était à l’origine le palais de l’empereur. À droite, vous avez l’église Saint-Paul qui représente le pouvoir spirituel et à gauche, il y avait le tribunal. Dans un endroit assez restreint, on trouve un certain nombre de bâtiments de prestige, modernes.”
Rien n’a été laissé au hasard. Pas même les orientations : “Le soleil se lève derrière le Palais U pour illuminer celui de l’empereur. C’est une façon d’appeler le savoir et la science à illuminer les décisions politiques.”
La construction du palais universitaire répond en effet à une volonté politique : doter la deuxième ville du pays d’une université de renom. C’est à l’architecte Otto Warth que revient la lourde tâche de concevoir un bâtiment à la hauteur de cette ambition. Achevé en 1884, le Palais U constitue le cœur d’un nouveau campus ultramoderne, sorti de terre en douze ans.
Des immeubles sont construits pour accueillir des professeurs venus de tout le pays. Luxe suprême pour l’époque : ces nouveaux appartements possèdent tous des sanitaires et une salle de bain.
Un livre de pierre
L’objectif de cette nouvelle université est simple : devenir la meilleure dans tous les domaines. La façade du Palais U est en partie conçue comme un hommage au savoir. Au-dessus de l’inscription en latin dédiant le bâtiment “aux lettres et à la patrie” trône une statue de la déesse Athéna, protectrice des sciences, un flambeau à la main.
À gauche, une vieille femme représente les disciplines anciennes — philosophie, littérature, théologie. À droite, une jeune femme incarne au contraire les disciplines récentes de l’époque, essentiellement scientifiques — physique, chimie, botanique.
Un peu plus bas, deux chiffres romains encadrent la mention “Université de Strasbourg”. 1567, date de création du Gymnase Sturm, première entité universitaire de Strasbourg et 1872, fondation de la nouvelle université. Ils surplombent chacun une statue : Argentina – Strasbourg — et Germania — l’Allemagne. Cette dernière a été restaurée après avoir été décapitée par les étudiants français à la fin de la guerre, en 1919.
Dans les niches situées entre les colonnes, il y avait à l’origine une série de bustes symbolisant chacun une matière étudiée. Ils ont été donnés à la ville par l’université pour soutenir l’effort de guerre en 14-18 et fondus en canons.
Quant à la série de noms couronnant les ailes du bâtiment, il s’agit de 36 savants mondialement connus issus de l’espace germanique. Un panthéon universitaire idéal dont les statues veillent depuis plus d’un siècle sur les étudiants traversant le parvis.
Des moyens illimités
“La façade n’a quasiment pas bougé depuis l’inauguration du bâtiment, détaille Matthieu Mensch. La seule chose qui a changé, ce sont les portes : elles ont été remplacées par les Nazis.” L’ouverture donne sur un hall agrémenté de coupoles blanches. “À l’origine, toutes étaient décorées de motifs floraux et colorés“, poursuit l’historien.
“Les pigments sont d’excellente qualité et témoignent des moyens illimités dont disposait l’architecte Otto Warth”. Ce luxe de détails a toutefois été entièrement recouvert par les Nazis à leur arrivée. Hors de question, pour eux, de conserver “de l’art dégénéré” dans une université, vitrine du génie allemand.
À gauche du hall, une plaque rend hommage aux étudiants strasbourgeois raflés à Clermont-Ferrand, le 25 novembre 1943. Pendant l’occupation nazie, des professeurs et étudiants alsaciens choisissent en effet de rester dans le centre de la France, où ils se sont réfugiés, plutôt que de revenir à Strasbourg, une fois l’armistice signé.
Secondée par l’armée allemande, la Gestapo arrête et fait déporter une centaine d’étudiants catégorisés juifs, étrangers ou résistants. Une commémoration est encore organisée chaque année dans l’entrée du Palais universitaire, devant la stèle.
Le hall donne sur l’Aula, LA grande salle du Palais U. Centrale et lumineuse, sous sa verrière. “L’originale a été détruite par une pluie de grêle en 1958, retrace Matthieu Mensch. Mais à l’origine, elle était peinte et il faut imaginer qu’elle faisait comme un vitrail sur les dalles de l’Aula.”
Ses tentures pourpres et ses dorures ont servi de décor au tout premier conseil de l’Europe, en 1949. Aujourd’hui, un Ramsès II offert par l’Égypte veille sur cet espace plébiscité par les étudiants.
Dans les étages, un autre espace, fermé au public, témoigne de l’histoire mouvementée de l’université de Strasbourg. En quelques tours de clé, Matthieu Mensch ouvre les portes d’une salle de style totalitaire. Modifiée par les nazis au moment où ils créent la Reichsuniversität Straßburg. Une pièce à l’architecture écrasante pour le visiteur.
Tout en lignes droites et blocs de marbres, massifs. Aucun détail sur lequel accrocher son regard. “À l’époque, il y avait des croix gammées et des drapeaux du IIIe Reich accrochés au mur“, explique l’historien. Même débarrassée de ces éléments, la pièce reste intimidante.
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Un musée au sous-sol
Suite de la visite dans les profondeurs du bâtiment. Au sous-sol, où se trouve la plus grande collection universitaire de moulages en plâtre de France. Plus de 300 pièces exposées dans d’anciens abris anti-aériens, formant aujourd’hui le musée Adolf Michaelis. Du nom du premier titulaire de la chaire d’Archéologie Classique de Strasbourg. Des moulages de pièces antiques et célèbres, telles que la Victoire de Samothrace.
Adolf Michaelis : le musée strasbourgeois méconnu au sous-sol du Palais U
“Initialement, toutes ces pièces étaient exposées dans les salles de cour ou les couloirs, retrace Matthieu Mensch. À l’époque, on ne voyageait pas en Grèce ou en Italie comme aujourd’hui. Ces moulages avaient une visée pédagogique. La collection servait de “laboratoire” aux étudiants en archéologie.” Aujourd’hui, l’association des amis du musée Adolf Michaelis veille sur ce trésor de l’université de Strasbourg et organise les visites.
“Nous sommes actuellement une vingtaine, des étudiants en histoire ou en archéologie, essentiellement, détaille Paul Mury, le président, en faisant visiter les réserves ou de nombreuses pièces attendent encore d’être recensées et cataloguées. Restaurées ou réassemblées, aussi. Un petit laboratoire permet de procéder à de nouveaux moulages pour redonner leur lustre à certaines statues ou décors en plâtre. Et continuer à faire vivre la longue histoire universitaire du Palais.
Très intéressant ces publications et les commentaires sur ce grand lieu rempli d’histoires que j’ai piétiné sans pour autant en connaître son histoire un grand merci