Il y a de ces métiers qui intriguent : modèle nu, chef d’orchestre, nez… ou encore celui d’artificier, aussi appelé pyrotechnicien. Comment faire exploser des formes colorées dans le ciel ? Comment gérer la pression face aux aléas du direct, devant une foule comme devant des jeunes mariés ? Christian, artificier et commercial de l’entreprise Pyragric Nord Est depuis bientôt trente ans, nous a confié les surprises et les secrets de ce métier haut en couleurs et en adrénaline.
Si le procédé pyrotechnique et la poudre noire ont été inventés en Chine il y a plus d’un millénaire, c’est seulement au XVIIème siècle que le premier feu d’artifice est lancé en France, en 1606 pour être plus exacts. Vous l’aurez compris, le métier de pyrotechnicien ne date pas d’hier.
Mais, depuis l’épidémie du COVID-19 et les récentes annulations des feux de ce 14 juillet pour des raisons de sécheresse à Strasbourg, Nîmes, Perpignan ou encore Arcachon, le métier s’avère de plus en plus compliqué à exercer.
Travaillant dans l’audiovisuel et l’événementiel depuis ses seize ans, Christian commence sa carrière d’artificier dès ses dix-huit ans avec la société Pyragric Nord Est. Lorsqu’il débute, il y a une trentaine d’années donc, plus de 400 artificiers sont formés dans la région. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 150 environ.
De la pratique, encore et toujours
Pour garder sa licence et sa qualification, un artificier doit réaliser un certain nombre de tirs tous les ans : trois au minimum. Mais avant ça, une foule d’étapes est à franchir pour accéder au métier. Explosionsplications !
La première consiste à faire une demande à la préfecture, afin de lancer une enquête de moralité. Si l’enquête est bonne, s’ensuit alors un pré examen théorique. Si celui-ci est réussi, l’artificier en devenir est alors éligible à un stage de deux à cinq jours intensifs, encadré par des professionnels confirmés.
La théorie représente les ¾ de l’apprentissage du stage. Une pratique limitée est effectuée en journée sur des sites de tirs sécurisés loués en amont : « La partie pratique se déroule plus tard : avant d’accompagner une équipe de tir sur le terrain, l’approche des produits que l’artificier sera amené à manœuvrer est essentielle », nous explique Christian. Il s’agirait de ne pas tout faire exploser.
Une fois l’examen de fin de stage validé, bouquet final : un dossier est déposé en préfecture qui délivrera, ou non, un agrément et une qualification par rapport au stage que la personne a suivi.
Une affaire de chimie
Un feu d’artifice, sur le papier, c’est toute une théorie d’effets et de couleurs. Et justement, comment crée-t-on ces teintes dans le ciel ? « Certaines ne se marient pas bien avec d’autres, il faut être un peu peintre », confie Christian.
Pour les couleurs flamboyantes des feux, pas question d’acrylique, mais bel et bien de chimie. Des métaux sont mélangés à la poudre. Il peut y avoir un peu de tout : pour le bleu de la chlorure de cuivre, pour le violet du potassium, du sodium pour le jaune, et un mélange de fer, de soufre et de carbone pour du doré, entre autres…
Une fois les couleurs créées, il faut pouvoir contrôler les hauteurs et les trajectoires : « Le tube de lancement, ou mortier, peut être plus ou moins haut selon la hauteur que l’on veut atteindre. Par exemple, si on prend un tube de 100 millimètres, on va mettre une bombe de calibre 100, et on va pouvoir l’envoyer à 100 mètres de haut. ».
Plus le calibre est gros, plus l’effet est imposant, et plus ça monte haut. Mais Christian le rappelle : il n’existe pas de télécommande pour donner la bonne trajectoire. « Si j’envoie des cœurs dans le ciel, l’effet peut éclater correctement. Mais ils peuvent aussi se retrouver à l’envers un court instant… ».
La pyrotechnique, c’est aussi tout un jargon. Il faut donc connaître les termes, mais avant tout les produits, composés de plusieurs éléments donnant l’effet visuel dans le ciel. Il y a par exemple une chasse, la poudre qui va créer la première explosion extrayant la bombe du tube et l’envoyer en l’air, ou encore une espolette, petite mèche lente qui se consume pendant ce temps et qui va mettre le feu à la boule remplie d’étoiles.
C’est cette dernière qui donne l’effet tant attendu. Il existe aussi certains produits où l’explosion se fait directement à la sortie du mortier : « On va les entailler, les incliner, faire différents trucs et le résultat varie ».
Pas le droit à l’erreur : la sécurité avant tout
Qui dit feux d’artifices, dit explosifs. Et une étincelle qui part trop vite, ça ne pardonne pas toujours. La vigilance est donc de rigueur dans ce métier : un bon nombre de paramètres sont à prendre en compte et à connaître sur le bout des doigts. Par exemple, pendant la phase de montage, les téléphones sont interdits sur le site. Le périmètre de sécurité est mis en place afin de sécuriser ce dernier : tout le monde ne peut évidemment pas y accéder.
Ça va de soi, mais encore faut-il le savoir : dans leur entrepôt, l’entreprise ne stocke aucune marchandise. Les explosifs arrivent toujours sur le lieu de tir avec des circuits de route bien définis. Seuls des produits inertes sont stockés, comme les mortiers : « On dit souvent mortier à la télé, mais un mortier pour nous, c’est un produit inerte, un tube de lancement ».
Pour une sécurité maximum donc, des lieux de stockage momentanés sont prévus et définis avec la commune. C’est l’artificier qui prend le relais en allant chercher la marchandise dans ce local de stockage plein de normes, afin de les conduire sur le lieu de tir.
Le transport aussi regorge de normes : les explosifs ne pouvant être transportés ni dans des véhicules électriques ni à essence, seuls les trajets en véhicules diesel sont autorisés. « Il y a encore du chemin à faire là-dedans », ajoute Christian.
Et bien souvent, sécurité rime avec papiers : « Dans le temps, pour un dossier administratif en pyro, il me fallait un quart d’heure. Aujourd’hui, un nouveau dossier me prend une journée ». Plans, périmètres, devis commerciaux, déclaratifs, plans de tirs de techniques, photos, tutos à envoyer aux communes pour leur apprendre à déclarer… Sans compter les consignes spécifiques à chaque lieu, souvent différentes.
Pour la Fête nationale du 14 juillet à Strasbourg, environ soixante feux d’artifice sont tirés et un minimum de 150 artificiers employés. La majorité des pyrotechniciens exerçant un autre métier en parallèle, une organisation en amont est plus que nécessaire : gérer les disponibilités de tout le monde, s’assurer que ces derniers soient toujours à jour dans leurs licences… La paperasse administrative fait donc partie intégrante du quotidien de Christian.
Une sacrée dose d’adrénaline
On oublie souvent que les artificiers découvrent le spectacle en même temps que le public : « Quand t’appuies sur le bouton, déjà, tu découvres si ça fonctionne. Ton adrénaline est au max ». Et parfois, il y a aussi des mauvaises surprises « souvent liés à des erreurs de montage. Pour les phases finales, il arrive qu’on n’ait plus de batterie. Quand on a œuvré toute la journée, ça peut être très contraignant. Vous êtes à dix minutes du spectacle et tout est à l’arrêt ». D’où le besoin de pratique pour être rodés au stress.
Découvrir si les feux marchent est une chose, mais la cohérence du spectacle en est une autre : « On ne peut jamais être sûr que ça se passera comme on l’avait imaginé ».
En parallèle de la pyrotechnique, l’entreprise de Christian est la seule à être spécialisée en effets spéciaux dans la région. Cela consiste par exemple à organiser l’entrée des joueurs au stade de la Meinau avec des flammes et des étincelles, ou encore des scènes pleines de confettis comme aux Eurocks ou à Colmar.
En termes de stress, c’est similaire aux tirs, voire pire : les éclairagistes s’entraînent, pas les artificiers. Ça parait simple à faire comme ça, un tir de confetti, mais Christian nous explique que c’est hyper complexe. Encore une fois, c’est du one shot. « Vous avez une remise de prix ou de coupe qui se fait, et des confettis en arrière plan. Ça parait tout con, mais ça m’est déjà arrivé que rien ne sorte. Tout est en place. Mais rien ne sort. Je peux vous dire que vous avez l’air fin ».
« On s’en souvient toujours, on met des pare-feux, on s’organise, on vérifie. On est un peu paranos desfois, mais on n’a pas le choix ». Par exemple, pour la Foire aux vins de Colmar, sur la nuit blanche, entre minuit et 6h du matin, ils étaient huit techniciens pour faire des confettis et des flammes sur scène.
Si les évènements publics sont plus fréquents, il arrive parfois que des particuliers fassent également appel à des artificiers. Les demandes d’effet pyrotechnique lors d’un acte inaugural à des anniversaires et à des mariages sont les plus récurrentes. « Figurez-vous qu’il y a aussi des demandes pour des enterrements, et même… des divorces ! Mais ils étaient contents », conclut Christian, en souriant.