Créée à Strasbourg après les attentats de 2015, l’association Espace Jalmik a récemment été placée sous le feu des projecteurs. En effet, leur camion et tout leur matériel se sont fait incendier à Hautepierre, suite aux révoltes du vendredi 30 juin. Mais les membres de l’asso ne comptent pas pour autant succomber au défaitisme et baisser les bras. Au contraire, ils veulent mettre les bouchées doubles cet été, pour continuer d’apporter musique et autres formes artistiques aux plus jeunes, dans les quartiers prioritaires de la ville.
Zo’Okomo Thierry Ndinda est musicien professionnel. En 2015, il est marqué par les attentats de Charlie Hebdo : « Je ne comprenais pas comment des jeunes ayant grandi en France avaient pu s’attaquer à des dessinateurs, à des personnes âgées » confie le directeur artistique de l’Espace Jalmik. Il est persuadé de voir dans ce drame le symptôme de gens qui vivent dans le même pays, mais ne se connaissent pas. « Quand les gens s’ignorent, c’est toujours l’art qui trinque. »
Alors, avec quelques connaissances ayant un lien avec l’art, souvent en amateur, ils décident de s’unir et de créer l’Espace Jalmik. Le but ? Apporter des instruments, du matériel et de la convivialité dans les quartiers populaires strasbourgeois et au-delà, afin de créer du lien entre les habitants.
« On se veut un prolongement des Centres Socio-Culturels (CSC), continue Zo’Okomo Thierry Ndinda. On fait se rencontrer les jeunes entre eux, au-delà de leurs quartiers respectifs. Si deux gamins jouent de la batucada ou sont dans une chorale ensemble, ensuite ils se connaîtront et se respecteront. C’est la base. »
L’art comme moyen de réunir
Élise Vuitton, trésorière de l’association, nous détaille les activités déjà organisées par les huit bénévoles : « On a par exemple organisé des balades gourmandes en 2016. On est parti sur le ballon des Vosges, pour découvrir des plantes sauvages comestibles et les cuisiner ensemble. » Une initiative qui a mêlé des ruraux et des citadins, jeunes et moins jeunes et qui, surtout, ne se connaissaient pas. « Eh bien ça a super bien marché, et à la fin il y avait une vraie solidarité ! » s’exclame-t-elle.
Mais l’outil central d’Élise et des autres membres, c’est bien sûr la musique. Débarquant de leur Musikerium, un camion rempli d’instruments, de systèmes son et de matériel divers, ils s’installent fréquemment devant les CSC ou sur les places des quartiers prioritaires, à Strasbourg et ailleurs en Alsace. Chaque été, leur Caravane Art Découv’ vient ainsi à la rencontre de près de 400 enfants et parents, et leur propose de jouer du clavier, du violon ou encore de la guitare électrique.
Et si l’un des objectifs est de communiquer grâce au langage universel de la musique, l’asso encourage aussi chacun et chacune à venir avec sa propre culture : « Par exemple on a déjà écrit des chansons en utilisant les différentes langues d’origine des participants. Et lorsque les enfants ne savent pas, bah ils vont chercher la maman ou le grand-père, qui est tout content de parler de sa langue natale, et qui la transmet à d’autres », explique Élise Vuitton.
Des activités qui plaisent donc, et qui donnent parfois des résultats très encourageants. C’est en tout cas ce que nous raconte Helin : sa fille de dix ans a découvert la harpe il y a trois ans grâce à une animation de l’Espace Jalmik, une pratique qui lui a tout de suite plu et qu’elle a continué, jusqu’à intégrer le conservatoire. Elle entend même venir jouer auprès des bénévoles en août et peut-être leur remonter le moral, car l’été s’annonce compliqué.
Tout le matériel réduit en cendres
Cependant, le vendredi 30 juin, lors des révoltes à Strasbourg, les membres de l’association ont eu la désagréable surprise de voir le Musikerium, leur camion servant à se déplacer et aussi à stocker tout leur matériel, entièrement brûlé. Des tonnelles, tableaux et autres guitares, il ne reste rien si ce n’est trois tubes de gouache, étonnamment miraculés.
Pour Elise Vuitton, même si plusieurs véhicules côte-à-côte ont subi les flammes, il ne fait pas de doute que c’est leur camion qui a été visé : « Il y avait marqué ‘‘école itinérante’’ dessus, et c’est la même nuit où des écoles ont été cramées. »
Mais cela ne compte pas entraver la volonté des bénévoles, au contraire ! Pour Élise et Zo’Okomo, qui gardent le sourire malgré tout, les phénomènes de révolte qui ont suivi la mort de Nahel sont un symptôme du délaissement des quartiers populaires. Et à ce titre, c’est encore une raison supplémentaire pour s’y rendre et y proposer des activités artistiques : « On est attendus, et vu l’ambiance actuelle ça semble d’autant plus nécessaire », déclare la trésorière.
Selon elle il est essentiel de parler aussi des belles choses qui se passent à Hautepierre, au Neuhof ou à la Meinau, pour ne justement pas laisser toute la place aux images de violence et de voitures en feu : « Tous ceux et celles qui n’ont pas brûlé ce camion, qui n’ont rien à voir avec ça, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas en profiter. »
Reste à remplacer le matériel cependant, accumulé pendant huit ans et entièrement parti en fumée : « On a demandé à ce qu’on nous donne ou à ce qu’on nous prête des instruments, et des amis ont aussi lancé une cagnotte » détaille Zo’Okomo Thierry Ndinda. Et pour ceux qui auraient plutôt du matériel à leur confier, les dons d’objets sont aussi les bienvenus : instruments, tonnelles, micros, câbles jack ou XLR, et bien sûr véhicule.
« Le besoin le plus urgent là, c’est le camion, continue le directeur artistique. S’il le faut j’en louerai un à mes frais, mais ce qui est sûr c’est que je serai plus que jamais présent à la caravane cette année. » Et preuve que l’incendie ne leur a pas brûlé les ailes, la Caravane Art Decouv’ a déjà repris depuis quelques semaines, place de l’Île de France à Hautepierre : avec des instruments prêtés et une certaine improvisation, mais surtout avec une volonté encore renforcée. Pour suivre l’actualité de l’association, ça se passe par ici.
Géraud Bouvrot