Dimanche 30 avril, les propriétaires d’automobiles et de motos anciennes se sont retrouvés au départ du stade de Lingolsheim pour leur “journée nationale”. S’en est suivi un défilé dans les rues d’Alsace jusqu’au petit village d’Oberhaslach. C’était l’occasion de s’immerger dans la réalité de cette communauté convaincue d’entretenir un aspect du patrimoine de l’humanité.
L’avantage, c’est qu’il n’y a pas vraiment besoin de publicité pour attirer du monde. Quand les quelques 200 participants débarquent au stade Joffre Lefebvre de Lingolsheim ce dimanche matin, avec le moteur qui rugit et le klaxon qui carillonne à l’ancienne, très vite, les curieux accourent.
Il n’est pas courant de voir autant de pièces de collection ambulantes au même endroit.
Souvenirs, souvenirs
“Wouah, vous avez vu la caisse les gars !”, s’exclame un petit footballeur en route pour son entraînement du dimanche. Tout en haut de la file, une Bentley bleu métallique, datant des années 50. Et, juste derrière, un véhicule moins rutilant, beaucoup plus classique, mais qui n’attire pas moins l’attention des connaisseurs : une Peugeot 104.
“Elle est de quelle année ?” demande un type. “1983, rétorque Boris, électricien de 45 ans et propriétaire de la voiture, ravi de l’intérêt que suscite sa pièce de collection. Je l’ai entièrement refaite !” Il nous confie après coup n’être “pas surpris du tout par l’intérêt des gens”. “C’était une voiture populaire à l’époque, tous ceux qui ont vécu ses années ont des souvenirs liés à cette Peugeot, qu’ils en aient eu une ou pas. Elle était partout!”
Les souvenirs et la nostalgie seront à l’honneur de cette “journée nationale des véhicules d’époque” dont le but est double : “favoriser la camaraderie entre passionnés de véhicules anciens et valoriser notre patrimoine automobile”, explique Fabrice, référent national de la Fédération française des véhicules d’époque et organisateur de l’événement.
“Vers 10 heures, une fois que tout le monde sera arrivé, on lancera le défilé. On passe par Obernai, Dorlisheim pour arriver Oberhaslach, où l’on sera accueilli par le maire et où il y aura une bénédiction Saint-Christophe pour les véhicules”. Une procession de 2CV, de décapotables et de jeeps américaines dans les rues alsaciennes.
Des passionnés d’histoire et/ou d’automobile
Mais en attendant le départ, les curieux mitraillent de questions les propriétaires de voitures qui, comme Bernard, ont garé leur automobile bien évidence. Ce charpentier de 59 ans est venu avec sa Citroën Trèfle, un véhicule du début des années 1920 disposant de trois places seulement.
“Savez-vous pourquoi la portière ne s’ouvre que du côté droit ? demande-t-il à une petite assemblée de curieux qui s’est formée devant son véhicule. Parce que c’était une des premières automobiles après le charrette et le cheval, et que le cocher sortait systématiquement à droite.”
Le collectionneur fourmille de petites anecdotes historiques. Et son auditoire apprécie. “Vous vous rendez compte que cette voiture a traversé la Seconde Guerre mondiale, et qu’elle roule toujours aujourd’hui ? C’est fou. Et chacune des voitures présentes ici, c’est le temps qui passe, quelque part. On emmène chacun notre morceau d’histoire. C’est un musée ambulant !”
Bernard a passé trois années entières à restaurer cette voiture qu’il a acquise pour la bagatelle de 6 000 euros. “J’avais tout démonté, de la première à la dernière pièce, nous explique-t-il. C’était un véritable puzzle mais je n’avais pas trop le choix si je voulais qu’elle roule correctement. Et quel plaisir ça a été.”
Avait-il les compétences pour monter une voiture d’époque de A à Z ? “Non, mais j’avais la passion ! Je suis allé piocher les infos, ici, là, avec des gens qui s’y connaissent vraiment. Je suis charpentier donc je me suis débrouillé pour la partie en bois, mais le reste ce n’était pas gagné.”
Aujourd’hui, il dispose d’une voiture à l’allure quasiment neuve… Mais plus de joujou à remonter. “Le jour où la voiture était finie, je n’avais qu’une envie c’était de recommencer avec une autre. C’est ce que j’ai fait, je viens de m’en racheter et je vais bientôt la démonter !”
Ça y est, il est 10 heures passées, le défilé démarre. Une file de bolides vintage, longue de dix minutes, sort de l’enceinte du stade. Direction Oberhaslach, une commune d’environ 1500 habitants à 35 kilomètres de Lingolsheim. La procession mettra plus d’une heure et quart à arriver : il fallait être lent et laisser les habitants des villages traversés admirer les carrosseries.
Aussi pour le regard des autres
Arrivés dans un immense parking d’Oberhaslach, d’autres conducteurs se mettent en évidence, comme Philippe, 56 ans, vers qui tous les yeux se tournent. Sur son toit, un amoncellement d’objets vintage : un vieux vélo, une caisse en bois, un balai de sorcière. Il sort de l’habitacle le sourire aux lèvres, une longue pipe entre les lèvres. “Pourquoi ces objets ? Aucune idée, c’est juste pour le fun !”
Un peu plus loin, deux jeeps militaires sont garées l’une à côté de l’autre. “Elles ont fait la Seconde guerre mondiale, celle-là a participé à la guerre en Provence puis a failli exploser sur une mine vers Paris, explique Jean-François, 58 ans et responsable de service technique dans son “autre vie”. Ma passion me vient d’abord d’un autre passe-temps, la reconstitution historique. J’ai une association spécialisée et c’est dans ce cadre qu’un jour je me suis dit, pourquoi pas ? Depuis je la sors quasiment tous les week-ends pour me balader.”
Lui comme les autres personnes interrogées ne s’en cachent pas : le regard des autres, souvent impressionné ou au moins curieux, contribue beaucoup au plaisir de rouler dans ces pièces historiques.
Des conductrices rares
Il faut en revanche beaucoup chercher avant de tomber sur une conductrice. Nous avons fini par en trouver deux, chacune bien consciente de leur particularité. “Les gens dans la rue sont encore plus étonnés par le fait que je sois une femme que par la voiture elle-même, remarque Manon, 31 ans. Comme si une femme ne pouvait pas aimer les voitures…pour moi c’est une vraie passion, j’adore entendre le son du moteur et rouler dans ma Mustang!”
Si Manon vient juste d’acquérir sa Ford, Manuela, elle, sillonne les routes d’Alsace avec sa Coccinelle depuis bien plus longtemps. “Je l’ai depuis mes 18 ans, à l’époque mon groupe d’amis s’était acheté des voitures alors j’avais suivi, confie la soignante de 43 ans, qui porte toujours des vêtements d’époque pour ces occasions. Depuis je suis vraiment passionné par les moteurs, je fais les vidanges, je répare, et je conduis bien sûr.”
Si elle assure que “tout se passe bien” aujourd’hui dans la communauté des conducteurs, elle se souvient de débuts plus compliqués. “Il a fallu du temps pour que les hommes acceptent que je ne suis pas seulement là pour accompagner, que je suis capable, comme eux, de conduire et d’entretenir une voiture d’époque. Heureusement les mentalités changent.”
D’ailleurs, sa Coccinelle, elle ne la vendrait pour rien au monde même si sa valeur augmente. Sa destinée est déjà fixée. “Je la lèguerai à mon enfant, ce sera son héritage. C’est une fille.”
Texte et images : Guillaume Poisson