Depuis la mi-mars, plusieurs tentes ont été installées près de l’arrêt de bus situé sur le parking taxi, juste devant la gare de Strasbourg. Chaque soir, plusieurs familles, avec de nombreux enfants en bas âge, s’y retrouvent pour y passer la nuit.
20h30 : gare de Strasbourg. En ce mois d’avril, la nuit commence déjà à tomber sur la verrière. Certains voyageurs sortent tout juste de leur train et franchissent à la hâte les portes automatiques du bâtiment pour monter dans un bus, un tram, ou rejoindre à pied leur destination.
Sur l’aile Est du bâtiment, au niveau du parking où stationnent les taxis, quatre tentes ont été montées juste en dessous de l’arrêt de bus. À cette heure-ci, la température avoisine les trois degrés à l’extérieur. Et pourtant, plus d’une vingtaine de personnes sont rassemblées dans le froid.
Il ne s’agit que de familles, presque systématiquement accompagnées d’enfants, parfois même d’un bébé. D’un pas pressé, Sabine Carriou rejoint le petit groupe installé sous l’arrêt de bus. Depuis que ce mini campement s’est formé aux alentours de la mi-mars, la présidente de l’association Les Petites Roues se rend régulièrement sur place pour échanger et mettre à l’abri certaines familles.
Toutes sont d’origine étrangère et n’ont aucun endroit où passer la nuit. La plupart sont en France depuis des mois voire des années et certaines sont même régularisés. Certains soirs, Sabine n’a pas d’autre solution que de leur payer une nuit d’hôtel pour s’assurer que les plus fragiles passent la nuit au chaud. Ce soir encore, elle payera l’hôtel à certains des migrants présents sur place.
Des papiers mais pas de chez-soi
Son bébé de seulement huit mois dans les bras, Maya* tente de réchauffer sa petite fille de quatre ans en remontant la capuche de sa doudoune rose. Elle, son mari et leurs deux enfants, originaires du Nigeria, se retrouvent sans hébergement depuis deux semaines. Ils sont pourtant régularisés depuis presque un mois. La semaine passée, ils n’ont pas eu d’autres choix que de dormir à l’intérieur de la gare. Ce soir encore, ils dormiront au chaud grâce à la Strasbourgeoise engagée.
Installée juste à côté, une famille afghane avec trois enfants de 10, 12 et 13 ans tente de se réchauffer en s’engouffrant dans leur tente. Eux viennent tout juste d’obtenir la protection subsidiaire, car leur vie est menacée dans leur pays. Arrivés en France depuis janvier dernier, ils ont installé leur abri de fortune devant la gare depuis maintenant un mois.
Le père de famille explique qu’il veut travailler, mais que sa situation l’en empêche : “Demain, si j’ai une place je commence le travail. Tout seul, j’ai déjà trouvé un travail, mais avec la famille dont il faut s’occuper, c’est très difficile. Je dois rester avec eux la journée, chercher de quoi manger, etc.”
Comme leur demande d’asile a été acceptée, les deux familles devraient normalement obtenir un logement social. Mais la plupart des assistances sociales sont débordées. Voilà pourquoi de nombreuses personnes se retrouvent sans solution et contraintes d’appeler le 115 tous les jours, pour espérer dormir dans un hébergement d’urgence.
"J'apprends et je révise dans la gare. Mais je suis très fatiguée."
Arthur, Karine et leurs trois enfants n’ont pas de tente, mais ils se déplacent chaque soir à la gare pour bénéficier d’un repas chaud grâce à la maraude. Les cinq membres de la famille dorment ensemble dans leur voiture stationnée à Rotonde.
Viken* (17 ans), Séda* (16 ans) et leur petite sœur Luiza* (3 ans) ont fui l’Arménie et sont arrivés avec leurs parents en France il y a maintenant six ans. Aujourd’hui, les deux aînés parlent couramment français et sont scolarisés au lycée Kléber. Chaque nuit, la famille peine à trouver le sommeil. Le froid s’infiltre par la carrosserie de la voiture et tout le monde doit se contorsionner pour tenir à cinq dans le véhicule.
Viken quant à lui, parvient tant bien que mal à poursuivre ses études, au prix de nombreux sacrifices : “On est en première. Cette année, il y a le bac de Français, on doit pouvoir se concentrer et le réussir. On est des élèves excellents. Et malgré tout ça, je vais à l’école tous les matins. Le soir, je reste jusqu’à ce que ça ferme, au moins, je suis au chaud. Je mange à la cantine et pour les devoirs, je vais au CDI ou je vais à la bibliothèque. Sinon, je les fais dans la voiture.”
Plusieurs demandes de régularisation ont déjà été refusées à la famille. D’après les critères précisés dans la “circulaire Valls”, elle devrait pourtant pouvoir obtenir un titre de séjour puisque les enfants sont scolarisés depuis plus de trois ans et qu’elle est installée en France depuis plus de cinq ans.
Après toutes ces années à Strasbourg, Viken n’imagine pas construire sa vie ailleurs : “On n’a jamais changé de ville. On est arrivé à Strasbourg et depuis six ans on est là. On fait partie de cette ville, on aime vivre ici.”
Pour Natali 17 ans et son petit frère de 11 ans, réussir à suivre les cours relève de l’exploit. La jeune fille a perdu sa mère fin novembre d’un cancer et se retrouve sans hébergement avec son père et son frère. Depuis plusieurs semaines, la famille entame chaque soir sa tournée habituelle dans l’espoir de se reposer au chaud. Elle s’installe d’abord dans le hall de la gare, mais lorsque celui-ci ferme ses portes aux alentours de minuit, il faut partir à la recherche d’un nouveau lieu.
Avec son père et son petit frère, Natali prospecte alors dans les hôtels de Strasbourg et négocie pour pouvoir occuper leur salle d’attente jusqu’à l’ouverture. Quand ce n’est pas possible, la famille demande à rester seulement 15 minutes et passe la nuit à trouver un nouvel établissement une fois le délai écoulé.
Inscrite au lycée international des Pontonniers, Natali s’est vue proposer une chambre en internat. Mais elle ne s’imagine pas laisser son père et son petit frère tous seuls chaque nuit face à la galère et au froid : “J’apprends et je révise dans la gare. Mais je suis très fatiguée. Au lycée, ils connaissent ma situation et ils me disent que je peux dormir à l’internat, mais je ne peux pas les quitter c’est trop difficile.”
Ce rythme éreintant amène parfois les deux enfants à louper des cours. Ce soir-là, cela fait trois jours qu’ils ne sont pas allés à l’école. “À cause de cette situation, notre emploi du temps est cassé. On ne pense qu’à survivre. C’est notre question principale chaque jour.“ explique Natali.
Chaque nuit, lutter contre le froid, le bruit et les maladies
“Il n’y a jamais de place au 115, ils ne répondent même pas. Tous les jours j’appelle ! Cinq fois hier et tous les jours ils disent qu’il n’y a pas de place.” désespère Kodra en faisant défiler le journal d’appels de son téléphone. Avec sa femme et ses trois enfants, ils ont quitté l’Albanie il y a plusieurs années et dorment devant la gare depuis maintenant deux mois. La plus petite est tombée malade et souffre d’un mal de gorge.
Deux tentes plus loin, Kamil* tend un papier sur lequel un diagnostic est inscrit. À force de dormir sous tente, sa mère peine à soigner sa bronchite. Sabine salue une autre famille restée silencieuse depuis plusieurs minutes à quelques pas des tentes. Armandi, Marinela et leurs deux enfants sont sur le point de s’installer dans la gare comme chaque soir depuis des semaines.
Passé minuit, ils partiront à la recherche d’un parking pour y passer la nuit, avec pour couchage une simple couverture. “On va là où on trouve des places libres. Chaque soir on change. On a peur quand on dort dans les parkings, il y a du passage.” avoue Lora*, 13 ans. Sabine confie que la jeune fille a attrapé la gale en dormant dans la rue. Sa mère, elle, reste à distance et enchaîne les quintes de toux.
Il est 22h quand Sabine termine son tour habituel et a pu discuter avec chacune des familles présentes ce soir-là. Grâce à elle, certaines auront la chance de souffler pendant quelques heures au chaud, dans une chambre d’hôtel. Pour les autres, il faudra lutter contre le froid, subir les allées et venues des passants, supporter le bruit et tenter de trouver le sommeil au moins quelques heures avant l’agitation du matin.
*Le prénom a été changé.
Émouvant. J’ai failli verser une larme.
Il faut lancer un appel à tous les gens qui ont des convictions de gauche pour qu’ils hébergent ces familles en souffrance chez eux. En comptant le canapé et en rajoutant des lits dans les chambres des enfants, n’importe quel 3 pièces peut accueillir l’une d’entre elles.
Oui la solidarité elle est où ?
Mais la Mairie de Strasbourg que fait-elle ?
On pourrait lancer un appel a tous les gens qui se disent catholiques pour qu ils hébergent ces familles en souffrance….
Il n’y a pas qu’à la gare,devant la mairie, des bidonvilles près du marché gare! Tous les 5 mètres des personnes étrangères qui font l’aumône. Dans quel état Mme Barzaghian va t elle laisser la ville en 2027 ! C’est honteux.