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« Des horreurs, j’en ai vu » : rencontre avec Jonathan, nettoyeur de scènes de crimes

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Contenu sensible

Attention : des détails de scènes de crimes et de suicides sont présents dans cet article.

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Il y a de ces métiers qui intriguent : chauffeur de salle, verbicruciste, modèle nu… ou encore, nettoyeur de scènes de crimes. Comment garder le cap lorsque notre métier consiste, entre autres, à nettoyer les traces laissées par un homicide ou un suicide ? Jonathan, créateur de l’entreprise BioNettoyage Grand Est, qui existe depuis sept ans, nous a raconté son étonnante routine et a répondu à toutes nos questions.

Ce nettoyeur vosgien de trente-cinq ans aime autant la route que sa région. Et c’est tant mieux puisqu’il parcourt chaque mois des kilomètres en voiture, en intervenant absolument partout dans le Grand Est. À Strasbourg, Nancy, Metz, Thionville… Et parfois même au-delà des frontières, jusqu’en Suisse, en Allemagne, ou au Luxembourg.

D’imprimeur à chauffeur-livreur en passant par le métier d’assistant dentaire, Jonathan a eu mille et une vies professionnelles avant d’oser lancer sa propre entreprise de nettoyage, il y a sept ans. L’idée lui est venue alors qu’aucune n’existait encore dans la région. 

Un samedi, il s’empare de son téléphone et appelle un nettoyeur exerçant le métier seul à Lyon. Dès le lundi matin suivant, une nouvelle aventure commence : il le suivra sur tout le territoire pendant un an. La formation s’est faite par paliers, « du moins choquant, au plus trash », nous explique-t-il.

En d’autres termes : de la grande insalubrité aux homicides et aux suicides. À l’issue de ces douze mois, Jonathan se lance seul avec seulement cinq-cent euros en poche et sa clio. L’entreprise ayant pris de l’ampleur assez vite, Hervé l’a rejoint depuis quatre ans déjà. Ils seront bientôt trois.

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Des épaules solides

Jonathan nous explique qu’aucune école n’existe pour accéder au métier. La meilleure, c’est le terrain. En effet, seules des mises en situation permettent de savoir si on a les épaules pour l’exercer. Tout simplement car les scènes auxquelles assiste Jonathan sont impossibles à imaginer à l’avance. Dans les livres, pas d’aspect visuel. Sur les photos, pas d’odeur. On n’imagine jamais le pire. 

Une fois sur place, « il faut être capable de ramasser de la matière cérébrale, des yeux, des dents. Être apte à essuyer du sang ». Ce sont des questions essentielles à se poser avant même de se lancer. C’est un défi personnel, un perpétuel travail sur soi. « À l’époque, je venais du bloc opératoire. Des horreurs, j’en ai vu ».

Pourtant, la première année de sa création d’entreprise, Jonathan a du intervenir après le suicide d’un enfant de treize ans, et s’en souvient comme si c’était hier. « Après l’intervention, je ne suis pas sorti pendant une semaine, ça n’allait pas du tout. Mais on s’auto-soigne. On se dit que ce n’est pas notre deuil, que la vie continue pour nous ». 

Nettoyage scènes de crime
© Doc remis

Dans le cas où Jonathan est plus réactif que les Pompes Funèbres suite à un appel concernant une mort tardive, le corps peut encore être présent. Il aide donc ses collègues à porter le défunt. « Quand on porte un cadavre complètement pourri et qui s’ouvre en deux, il faut s’accrocher, je vous le dis ». 

En plus de ses propres émotions à gérer, de grandes forces d’écoute et de psychologie sont à déployer envers les familles chez qui il intervient. Afin de leur donner les clés pour faire leur deuil le plus sereinement possible en leur évitant une double peine à tout prix. En observant le comportement des gens, en faisant attention à chaque mot employé, Jonathan doit leur montrer qu’il est là en cas de besoin. 

Une science exacte

Si il y a un métier qui ne s’improvise pas, assure Jonathan, c’est bien le sien. Rien ne doit être laissé au hasard : c’est toute une technique, tout un processus. Son travail porte à la fois sur l’olfactif, le visuel et l’invisible. Il se doit d’être irréprochable.

Selon lui, seulement cinq ou six entreprises sont sérieuses dans tout l’Hexagone. Il a souvent dû passer derrière des boîtes qui l’étaient moins, notamment dans le cadre de sa formation. « On ne peut pas envoyer un employé avec des gants en plastique et un plumeau chez quelqu’un qui s’est tiré une balle dans la tête. Il faut être armé face à tout ça ».

Le processus habituel consiste à analyser la pièce, repérer d’un simple coup d’œil jusqu’où les dégâts ont été, tout vérifier. Ensuite vient le grand travail de nettoyage et de désinfection, d’une extrême minutie. Il ne faut absolument rien oublier, même la plus petite trace.

Comme produit utilisé, il évoque le Blue Star, « vous savez, comme dans les séries policières ». Celui-ci lui sert à révéler toutes les traces invisibles ou effacées. Le reste, c’est beaucoup d’huile de coude, de logique. Il faut avoir une très bonne vue pour trier les objets au mieux, regarder ce qui a été atteint ou non.

Pour tout ce qui touche aux fluides biologiques comme le sang ou les fluides corporels, Jonathan est affilié au DASRI (Déchets d’Activités de Soins à Risques Infectieux). « Quand vous allez chez le tatoueur, il met son aiguille dans une boite en plastique. Les miennes font 100 L ». C’est très strict et très encadré. Un organisme vient les chercher une fois par mois.

Un métier multifonction

Son téléphone peut sonner à n’importe quelle heure de la nuit. « Ça peut aller d’une urgence car quelqu’un s’est flingué à une tentative d’homicide ». Il travaille également pour la SNCF. Très pragmatique, le trentenaire nous rappelle que les trains doivent être nettoyés après que quelqu’un se soit jeté sur les rails. 

Juste après les fêtes, le nettoyeur a été appelé suite à un réveillon qui s’est mal passé dans la ville où il vit, à Saint-Dié. La première fois en sept ans. Pourtant, Jonathan ne pourrait pas gagner sa vie correctement s’il faisait uniquement du nettoyage de scènes de crimes ou de suicides : certains proches s’en occupent eux-mêmes. 

La plupart de ses interventions consistent à nettoyer le domicile de personnes atteintes du syndrome de Diogène. « Dans certains cas, il y a des déchets entassés jusqu’à la moitié de la fenêtre ».

nettoyeur scène de crimes / diogène
© Doc remis

L’éradication des nuisibles comme les cafards, les rats, les souris font aussi partie de son quotidien. Les demandes étant de plus en plus nombreuses, il s’est récemment formé à la désinsectisation. Les produits de la grande distribution n’étant pas efficaces pour un sou, Jonathan a dû passer le certibiocide, un permis permettant d’acheter des poisons nécessaires à ce genre d’interventions.

Hésitant, il nous confie, entre deux anecdotes, avoir peur des microbes. « Ça fait rire tout le monde. On me dit mais comment c’est possible avec le travail que tu fais ? Je réponds qu’au boulot j’ai une combinaison, je suis bien protégé, je ne risque rien. Je suis dans ma bulle ».  

Une bonne humeur à toute épreuve

Et les interventions… elles se passent en silence ? « Sur des choses très spéciales, oui. Sinon, on s’arrange toujours pour mettre de la musique, même sur certains décès. Un peu de gaieté dans ce monde de brutes, ça fait pas de mal ».

Malgré les dures anecdotes confiées au bout du fil, le sourire de Jonathan est audible et les blagues fusent. Il a cette faculté de faire du drôle avec du laid. « Vous voyez, on est cool hein ? Je pars du principe qu’on fait pas un travail marrant. Si on peut plus rigoler, moi ça me sert à rien, j’arrête tout ». Et surtout, leur bonne humeur est contagieuse pour les gens. 

Inévitablement, lors des interventions chez les familles, des liens se créent. Les proches des défunts demandent souvent à Jonathan de les tutoyer, très vite. Il leur conseille des lieux sympas où s’aérer un peu. 

Quand il revoit les gens, pour le boulot mais aussi pour le plaisir, il ne reparle pas du passé. « Eux comme moi savent très bien comment on s’est connus ». Il préfère leur insuffler de la bonne humeur en les aidant, à son échelle, à oublier le drame le temps d’une heure ou deux.

Et avec ce métier si peu commun… prendre du plaisir en allant bosser, c’est possible ? « C’est jamais drôle, mais ce que je peux vous dire, c’est que je ne pourrai plus être derrière une machine en 3-8 ».  Jonathan explique n’avoir jamais rencontré autant de monde que depuis qu’il exerce ce métier. Son travail lui a surtout appris à relativiser, en lui rappelant à quel point nos soucis, la plupart du temps, sont dérisoires

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