À l’heure où le sexe est partout, que les différentes pratiques qui l’englobent sont débattues sans tabous, et qu’il est accessible en un swipe via les applications de rencontre qui ne cessent de se réinventer, certains et certaines font le choix de l’abstinence sexuelle. Nous avons échangé avec Laura*, Roxanne*, Léo* et Mehdi*, quatre abstinents et abstinentes strasbourgeois, pour comprendre les raisons de ce choix de vie, et les répercussions sur leur quotidien.
L’abstinence peut parfois soulever de la curiosité, dans une société où le sexe est omniprésent. En effet, elle a longtemps été présentée comme imposée par la religion, ou le manque d’opportunités, mais rarement comme un choix. Au cours de l’histoire, les personnes n’ayant pas, ou plus de sexualité, étaient souvent des personnes engagées envers Dieu, des veufs et veuves, ou des personnes limitées physiquement. Ne pas avoir de rapports sexuels, c’était ne pas, ou ne plus pouvoir se reproduire, et donc être un maillon faible de la société.
Une idée qui a persisté jusqu’à nos jours, où, bien que la sexualité ne se limite plus aux cadres maritaux et de l’enfantement, une personne saine serait une personne qui a une sexualité suivie. Des stéréotypes, largement relayés autour de nous, et renforcés par notre environnement où le sexe est partout. Le choix de ne plus partager d’intimité charnelle peut donc susciter des questionnements, ou de l’inquiétude dans l’entourage des personnes qui la pratiquent.
Pourtant, selon une étude menée par l’IFOP pour le Sidaction en mars 2022, 43% des Français n’ont pas eu de rapport sexuel en 2021, alors qu’ils n’étaient que 25% en 2013. Une nette augmentation de l’abstinence qui peut s’expliquer par les deux ans de crise sanitaire, mais aussi par tout un tas d’autres raisons : les croyances liées à la religion et le manque d’opportunités, mais aussi les déceptions répétées, le besoin de se recentrer, une perte de libido ou encore la lassitude….
Pour Laura, le choix de l’abstinence est lié à un vrai besoin d’intimité et de sens : “Je suis quelqu’un de très pudique, et je ne peux pas partager ma sexualité avec n’importe qui. Faire du cul pour faire du cul, ça ne m’intéresse pas”. Même son de cloche chez Mehdi, qui recherche de l’authenticité dans ses relations : “Je préfère avoir une relation plus rarement, mais avec quelqu’un avec qui je suis réellement rattaché émotionnellement”.
Léo, de son côté, a fait le choix de ne plus entretenir de relations charnelles pour ne pas être tenté de se détourner du chemin ambitieux qu’il s’est tracé. Le jeune homme de 27 ans, sportif professionnel, accorde une place importante à sa carrière : “J’ai eu des copines, pas plus de trois mois chacune, car je réalisais vite que vie pro’ et vie perso’ sont rarement compatibles pour un vrai sportif”.
Un choix qui questionne, dans notre société hypersexualisée
Dans un rapport de 2013, l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) constatait “la persistance de la représentation du caractère sexuel de la personne sans lien avec le produit […] de la publicité”. Cette imagerie, qui inonde les médias et donc nos rétines, fait l’apologie de la performance sexuelle ; la sexualité est valorisée, libérée, extrême, et vue comme un moyen sûr d’épanouissement et de réussite.
Cet environnement fait qu’il est souvent compliqué pour une personne qui ne fait pas l’amour, de manière subie ou choisie, d’assumer son mode vie sans attirer la curiosité, et quelques fois de porter elle-même un regard sévère sur elle-même : “Il y a eu cette époque où j’avais l’impression que je n’étais pas normale […] et en fait maintenant, avec le discours féministe qui s’est ouvert, la parole a été libérée sur pas mal de choses, notamment le sexe. Et je me suis rendue compte que beaucoup de gens me ressemblent, et que la sexualité qu’on nous vend dans les films, et les magazines féminins, ce n’est pas la sexualité de la plupart des gens”, raconte Roxanne.
Mehdi confie être assez chanceux, et ne pas se sentir jugé par son entourage sur son choix, contrairement à Laura, qui elle a dû essuyer des remarques maladroites, et ressent parfois un décalage avec les gens qui l’entourent : “Ce sont surtout les filles qui me disent : ‘Tu es belle, il faut que tu profites de ton corps de femme, de ta féminité pour qu’elle s’incarne’. Alors, bizarrement, pour elles, profiter de leur vie, c’est coucher à gauche à droite… Au contraire, je n’ai jamais autant profité de ma vie que dans mes périodes d’abstinence”.
"Je n'ai jamais autant profité de ma vie que dans mes périodes d’abstinence"
Nos témoins et témoignantes sont catégoriques : ils ne ressentent pas la solitude, ni le besoin irrépressible de partager leur intimité avec quelqu’un, quitte à le faire avec n’importe qui. Pour Roxanne, l’abstinence résonne avec un mode de vie solitaire qu’elle cultive depuis de nombreuses années : “Au final, je fais beaucoup de choses seule. J’adore aller au cinéma, à des expos, au théâtre seule. Je pars même très souvent seule en week-end ou en vacances. Donc, clairement, je pense que cette capacité à être en retrait m’a facilité la tâche”.
Certains abstinents et abstinentes n’arrêtent pas totalement la sexualité, et continuent de se masturber. Ces périodes sont vues comme des moments privilégiés avec eux-mêmes pour (ré)-apprendre à connaître leur corps, à découvrir d’autres manières de se faire du bien, à leur rythme. Pour d’autres, comme Laura, l’arrêt est net : “Chez moi, les périodes d’abstinence sont quasiment toujours complètes. Je ne me masturbe même pas, car je n’en ressens pas l’envie, et n’y voit aucun intérêt”.
Les périodes sans sexe peuvent être vues comme une pause dans la course à la séduction. Exit le temps passé à se poser des questions, à traquer la moindre opportunité, et quelque part, à vivre au travers du regard de l’autre, et de la recherche d’une étincelle de désir dans son regard.
Pour Léo, Roxanne et Laura, l’abstinence a été un gain de temps dans les activités qu’ils aiment. Léo, par exemple, consacre beaucoup de temps à la pratique du sport. Laura et Roxanne puisent du bien-être dans les petites choses du quotidien, des palliatifs pour se faire du bien autrement : “J’ai des plaisirs dans autre chose : une vie sociale assez intense, une vie culturelle riche, j’adore lire… Étant pleinement épanouie, je n’ai pas l’impression d’avoir un manque à combler par le sexe, et puis de toute façon, je suis toujours occupée, alors je n’ai pas le temps de me poser la question !”, plaisante Roxanne.
Et si jamais les carences sont trop marquées malgré tout, Mehdi, Laura et Roxanne rappellent que l’amour ne se trouve pas uniquement dans le cadre d’une relation amoureuse ou charnelle, et que les entourages amicaux et familiaux sont des sources intarissables d’affection : “Je suis très proche de ma mère, ma grand-mère, et ma cousine qui m’apportent beaucoup de tendresse, d’amour et de soutien, donc je n’ai pas besoin d’aller le chercher ailleurs”, conclut Laura.
*Les prénoms ont été modifiés