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Argentique et chambre noire : 5 photographes strasbourgeois(es) nous racontent leur pratique

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L’argentique revient à la mode : ces dernières années, bon nombre de boutiques recommencent à vendre des appareils à pellicules, tandis que les modèles d’appareils ou de films ne cessent de se diversifier. À Strasbourg, on ne manque d’ailleurs pas de photographes qui exercent leurs talents avec ces techniques anciennes. Rencontre avec cinq d’entre eux.

Polaroïd, pellicules couleur, tirage noir et blanc à la maison, expérimentations avec les chimies… Le numérique laisse de temps à autre place aux techniques d’antan, explorées avec imagination. Le retour en force de l’argentique encourage une nouvelle manière d’expérimenter la photographie, et d’appréhender le réel qui défile devant l’objectif. Strasbourg ne manque pas d’artistes qui réactualisent ces supports longtemps oubliés. Cinq photographes ont accepté de nous parler de leur travail, et surtout, de nous expliquer ce qui les attire dans ces procédés.

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Labo photo
© Marie Goehner-David

La pellicule, le réel autrement

« Une photo numérique, c’est réel. Trop réel. » C’est pourquoi Léa, plus connue sous le nom d’Enfant Boudeur, s’est tournée vers la pellicule, après avoir un temps expérimenté avec le Polaroid. Sa rencontre avec le film couleur lui fait prendre une direction déterminante dans ses travaux. Grande amatrice d’autoportrait, elle produit une imagerie délicate, romantique, érotique, magnifiée par les couleurs délavées de la technique.

« Photographier avec un appareil argentique me permet de saisir les lumières douces, le grain de la peau, de donner une profondeur à ces détails qu’on a pas avec le numérique. La pellicule couleur, c’est immédiatement un sentiment, une ambiance. C’est le départ d’une histoire, d’une fiction racontée par l’image. »

C’est cette distanciation du réel qui également intéresse Chill, qui se consacre lui aussi à la photographie de l’intime. Même s’il utilise très régulièrement son appareil numérique et qu’il en aime le rendu détaillé, il garde son appareil argentique à proximité lors des séances avec ses modèles, un peu comme un regard complémentaire.

Quand l’occasion s’y prête, c’est vers le noir et blanc qu’il se tourne : « l’effet est moins précis, plus vaporeux, plus onirique… C’est un regard complètement différent. On ne va pas cadrer de la même manière, pas mettre la même chose en valeur. Le grain de l’argentique a vraiment un rendu différent, c’est très intéressant pour travailler le nu, ou pour transformer le rendu de détails corporels qui paraissent anodins ».

Ressentir l'instant

Photographier avec un film, c’est également l’occasion de renouer avec l’appareil, ses réglages, et surtout de reprendre le temps de créer une image. Impossible de mitrailler comme avec un smartphone : la pellicule coûte cher, chaque image compte. C’est ce qu’explique Federica : « en fait, une photographie argentique, c’est un rapport complètement différent au processus de prise de vue. Un peu comme une méditation : on doit être à 100% dans l’instant pour le retranscrire le mieux possible, et aller au-delà de sa fugacité. » Pour elle, la pellicule, c’est un moyen d’être au plus près de qu’elle ressent, et de retranscrire visuellement la poésie qui se cache derrière les petites choses du quotidien.

Paradoxalement, même en travaillant avec minutie, le rendu de l’image est toujours une surprise. « Il y a quelque chose de plus aléatoire. On est un peu livré à l’inconnu, le résultat est à chaque fois différent de ce qu’on imagine. C’est pour ça que je m’amuse à expérimenter : par exemple, je n’hésite pas à utiliser les films périmés pour apporter encore de plus de magie ». C’est ainsi que, selon elle, les techniques anciennes permettent d’atteindre plus facilement le registre émotionnel, et de retranscrire les vibrations d’un moment avec fidélité.

C’est pour cette même raison que Moria affectionne le Polaroid. Au-delà de la beauté matérielle de ce type d’image, c’est surtout pour sa capacité à faire surgir l’éclat d’un instant dans toute sa fragilité. Plus particulièrement, Moria développe ce qu’elle appelle le « contrecorps », c’est-à-dire qu’elle cherche à exprimer la psyché par le biais corporel. Le Polaroid est le terrain de jeu idéal pour elle : « j’aime l’aspect spontané des prises de vue. C’est comme ça que j’accède au champ de l’intime, à mon intériorité ou à celle d’une personne. Ce sont des images peu travaillées, parfois mal cadrées, prises sur le vif qui transmettent facilement ce que le corps exprime. »

Mettre la main à la pâte dans la chambre noire

Si la plupart du temps, faire de l’argentique amène à déposer une pellicule sur un comptoir et la récupérer quelques jours plus tard, certaines personnes apprennent les techniques de développement et travaillent en autonomie de A à Z. Vyktorine oscille entre ces deux manières de faire : elle n’hésite pas à confier ses films au photographe, et à savourer le suspens de découvrir ses clichés la semaine suivante. Mais si l’occasion se présente, elle la saisit pour développer elle-même ses images en labo.

« L’argentique est physique au premier degré, il implique le photographe dans chaque étape de création de l’image, de la scène photographiée jusqu’au tirage. Toutes ces étapes sont autant de terrain de jeu possibles pour intervenir sur son travail ». Ainsi, elle n’hésite pas à faire sa propre cuisine durant les diverses étapes de développement : « je joue le plus souvent avec le négatif, que je scanne et sur lequel j’ajoute des matières un peu incongrues, comme du sel de table. Ou alors, je travaille particulièrement le tirage, en hésitant pas à imprimer sur des supports transparents, du tissu, du papier texturé… Autant d’expériences possibles ! »

Au final, l’argentique ou autres techniques anciennes ne sont pas juste une manière d’avoir un support matériel pour ses souvenirs. Au contraire, elles sont autant de prétextes à revisiter la photographie, à se détacher du réel, à inventer ses mondes et ses tambouilles : on a pas fini d’en entendre parler !

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