Seule station de ski du Bas-Rhin, le Champ du feu accueille parfois plus de 10 000 visiteurs sur une journée lorsque la neige est au rendez-vous. Gendarmes, agents de la Collectivité européenne d’Alsace, placiers et secouristes veillent sur le plateau pour que tout s’y passe au mieux. Reportage.
Et le gris se fait blanc dans les lumières de l’aube. Sur la route sinueuse qui grimpe au plateau surplombant Belmont, la neige apparaît d’abord par petites touches avant d’iriser les sous-bois et les cimes. Immaculé, lui aussi, le bitume n’en est pas moins praticable. Il n’est que 7h45, mais la déneigeuse a déjà ouvert les accès au Champ du feu et rendu ses parkings carrossables.
Au volant de l’immense machine : Guy Schoppler fait une pause. Depuis 32 ans, cet agent de la Collectivité européenne d’Alsace parcourt le réseau du Ban de la Roche jusqu’aux hauteurs. “Ce matin, on a commencé à patrouiller à 5h. Mais quand il neige, on entame le travail à 4h.”
L’engin brise le verglas à l’aide de sa lame et évacue la neige sur les bords de la chaussée. Situé sur le point le plus haut du département, entre la vallée de la Bruche et celle de Villé, le site du Champ du feu est classé zone Natura 2000: protégé. Il n’est donc pas salé, comme peuvent l’être les autres réseaux.
En connaisseur des lieux, le conducteur observe une sérieuse évolution des précipitations au fil des décennies. “Avant, il y avait de la neige de novembre à avril. On était autour de 50 centimètres de poudreuse. Aujourd’hui, il n’y a plus rien en comparaison. Et ce qu’on fait maintenant, c’est du bricolage.”
Une station financée par la Collectivité européenne d’Alsace
Même retour du côté de Jean-Luc Rochel. Depuis 40 ans, cet ancien débardeur entretient les pistes de fond de la station aux commandes de la dameuse du Comité de ski du Bas-Rhin. Subventionnée par la CeA (Collectivité européenne d’Alsace), cette structure emploie un salarié et plusieurs prestataires pour prendre soin du domaine nordique. Lequel est gratuit pour les skieurs.
Comme Guy Schoppler, le conducteur débute sa tournée bien avant l’aurore pour tasser la centaine de kilomètres de circuit dont il a la charge. Et ce tous les jours durant la saison. Quand il neige, il commence la veille aux alentours de 18h. Parfois – mais de plus en plus souvent malheureusement – “il n’y a pas assez de neige pour tout damer. Le risque, c’est de tomber sur des cailloux qui abîment la fraise de la machine.”
Le véhicule à chenilles rangé dans son hangar, sous le Chalet du champ du feu, Jean-Luc Rochel jette un coup d’œil au ciel clair de ce tout début de matinée. La journée s’annonce comme l’une des plus belles de la saison. Et la quinzaine de centimètres de neige devrait attirer skieurs de fonds comme amateurs de glisse alpine.
Des familles avec des enfants venant profiter des champs de luge aussi, damés avec la même méticulosité que les pistes et garnis d’immenses coussins amortissant les descentes les plus folles. Un dispositif entretenu par le comité de ski lui aussi.
Éviter la surcharge
9h. Les voitures affluent, route de la Serva. En une demi-heure, les 2 000 places des parkings du cœur de la station affichent complet. Il faudra bientôt réorienter les véhicules vers les bas-côtés de l’axe principal, ou sur les stationnements périphériques. Gilets fluos sur le dos et moufles aux mains pour affronter la brise glaciale, les placiers guident les conducteurs pour optimiser l’espace. Et leur demandent souvent de se repositionner plus près de leurs voisins ou de respecter l’alignement des voitures déjà garées.
Depuis trois ans, la station fait appel aux chantiers d’insertion d’Emmaüs Mundo pour assurer cette mission et ainsi soulager les gendarmes. “En général, les gens sont plutôt compréhensifs, commente Yoan, l’un des salariés. Parfois, certains vont même jusqu’à nous féliciter pour notre travail”. Il faut dire que ce dernier est au cœur de la gestion logistique du Champ du feu. Lorsque tous les parkings sont pleins, la CeA est contrainte de demander le bouclage de la station pendant une demi-heure, une heure ou deux heures, le temps que les visiteurs matinaux prennent le chemin du retour et puissent laisser leurs places à ceux de l’après-midi.
Ces enjeux n’empêchent pas certains arrivants d’être désagréables ou insultants. Une voiture vient de se garer en épi, faisant perdre une place sur le parking. Au placier venu lui demander de garer autrement son véhicule, le conducteur répond par une bordée d’injures. Les mâchoires se serrent. La respiration se fait plus ample. C’est l’heure de prendre une pause pour éviter de répondre aux provocations qui se multiplient, sous l’œil rond mais silencieux des autres visiteurs.
“L’ambiance est plutôt familiale”
9h30. En face du Chalet du champ du feu, c’est au tour des navettes d’arriver une à une. Café dans une main, petit pain dans l’autre, Jean-Luc Reingassany discute joyeusement avec sa collègue en attendant de repartir. Au volant d’un mini-van, le conducteur assure les aller-retours depuis Sélestat. Parfois, depuis Schirmeck. En moyenne, il transporte 4-5 personnes ayant préalablement réservé leur trajet. “L’ambiance est plutôt sympa”, sourit celui qui travaille sur ce circuit depuis environ six ans, et prend un soin particulier à choisir une playlist ou un style musical correspondant à ses trajets. Ce matin, c’était la BO des Bronzés font du ski.
Quelques minutes plus tard, un car fait son apparition sur le parking. En provenance de Strasbourg, la navette est mise en place par la Compagnie de Transports du Bas-Rhin. Fabrice Lienhard, son conducteur, reconnaît également que l’ambiance est particulière sur le trajet du Champ du feu. “L’ambiance est plutôt familiale”. Même si la route, elle, n’est pas toujours facile. “Il y en a qui ne sont pas rassurés pendant que l’on grimpe, avec le vide juste à côté.” Le chauffeur a donc pris l’habitude d’avertir ses passagers au micro des segments les plus délicats.
Assurer la sécurité de chacun
10h. Comme prédit, les visiteurs sont déjà nombreux sur les pistes de la station. Sur le domaine alpin – privé – comme sur celui du fond. Les files d’attente s’allongent devant les chalets de location de matériel et les agents de la CeA sillonnent le réseau pour surveiller l’affluence. Sur les hauteurs, les bénévoles de la Protection civile gardent eux-aussi un œil sur les pistes depuis la terrasse de leur chalet.
En saison, quatre à six bénévoles assurent une permanence de secourisme sur le site. “On est surtout confrontés à de la traumatologie légère. Beaucoup de chutes de ski notamment”, détaille Thomas Duflot. Dans le brouhaha des talkies, Adèle Thomas remplit le compte-rendu des interventions. Il est encore tôt, mais l’équipe compte déjà deux prises en charge. Dont une personne blessée au genou, attendant dans l’infirmerie son évacuation par les pompiers.
Si les bénévoles peuvent directement aller chercher les personnes blessées en motoneige sur le domaine public, ils sont en revanche missionnés par la Société des remontés mécaniques pour intervenir sur les pistes de ski alpin. Et ne peuvent emmener les victimes d’accident aux urgences. Au plus fort de la saison, il n’est pas rare qu’ils soient appelés une dizaine de fois en une journée. L’équipe dort sur place, au chalet, les week-ends.
L’hiver, ce même chalet héberge également une équipe de quatre gendarmes. “Nous sommes là dans notre cœur de mission, qui est la protection des populations”, détaille le major Stéphane Cerciat, en charge de la communauté de brigades de Sales, Schirmeck, et du Champ du feu. C’est une période de forte affluence et cela peut générer tout un ensemble de problèmes. Des vols dans les voitures, des incivilités, des problèmes de circulation, des délits routiers… Nous faisons beaucoup de prévention.”
Les gendarmes sont aussi chargés des missions de recherches, lorsque des personnes sont portées disparues. “Le plus souvent, il s’agit surtout de personnes qui sont égarées. Qui n’arrivent pas à retrouver leur chemin. Nous avons un logiciel qui nous permet de les localiser en leur envoyant un message.” Ce type de situation n’est pas aussi anecdotique qu’on pourrait l’imaginer. “Le champ du feu est la seule station de ski du Bas-Rhin, poursuit l’officier. Les gens qui viennent n’ont pas forcément une culture montagne et ne sont pas toujours suffisamment équipés pour les activités qu’ils ont prévues.”
11h. Le verdict tombe dans les échanges sur talkie : les parkings sont pleins. Il va falloir boucler la station une petite demi-heure. Les gendarmes filent en direction “des Myrtilles”, sur la crête, pour installer des barrières et expliquer la situation aux automobilistes. Conseillère d’Alsace élue sur le canton de Mutzig, Monique Houlné accompagne les agents de la CeA circulant d’un barrage à un autre pour jauger la situation.
“La station compte environ 4400 places de stationnement en son cœur, mais elles sont rapidement occupées, rappelle l’élu en charge des projets concernant le Champ du feu à la CeA. Nous sommes à une heure en voiture d’un bassin de population d’un million de personnes. C’est toute une logistique pour faire en sorte que les gens puissent venir à la station en toute sécurité.” Le recours aux placiers a cependant permis d’améliorer la situation. “Sur la centaine de jours qu’a compté la saison 2022, nous n’avons bouclé la station qu’à trois ou quatre reprises. Et rarement plus d’une heure.”
Développer une offre quatre saisons
Ce partenariat est, lui aussi, financé par la Collectivité européenne d’Alsace. La collectivité finance le système des navettes à hauteur de 135 000 euros, et débourse 250 000 euros pour l’entretien du domaine nordique et celui de la salle hors sac. D’autres investissements sont à venir pour transformer la station en un site “quatre saisons”. “La neige se fait de plus en plus rare. Sur le long terme, nous aimerions proposer de nouvelles activités, comme du ski à roulettes par exemple, pour poursuivre le développement du site.”
Au sein de la station, le changement climatique et la raréfaction de la neige fait aussi réfléchir les commerçants. Loueur de matériel depuis 20 ans, Frédéric Vieh explique travailler à développer de nouvelles offres, lui aussi. En attendant, il continue à louer skis et raquettes à la centaine de clients passant chaque jour au chalet au plus fort de la saison. “Le champ du feu, c’est vraiment la station familiale par excellence, détaille-t-il. Les pistes de ski alpin sont très accessibles, c’est l’endroit idéal pour apprendre à skier.”
Au fil du temps, le professionnel a aussi vu sa clientèle évoluer. Avant, le Champ du feu n’avait pas vraiment la côte. “C’était plus vu comme un champ de neige que comme une station. Mais il y a eu beaucoup d’investissements de réalisés et aujourd’hui, c’est un endroit plutôt reconnu dans le milieu du ski de fond. De manière générale, je vois arriver de plus en plus de skieurs confirmés.”
16h. Les champs de luge ne désemplissent pas de chaque côté du Chalet du champ du feu. Sur les pentes, des enfants qui hurlent de joie en descendant et des parents qui se prêtent au jeu de la glisse en riant. En haut, une petite foule de grands-parents et d’adolescents observe la scène. Le soleil rasant incendie l’un des plus beaux panoramas d’Alsace. Encore enneigé lui-aussi. Mais pour combien de temps ?