Les Universités populaires sont des lieux de transmission de savoirs. De nombreux savoirs. À Strasbourg, l’Université Populaire, créée dans les années 20 et renommée Université populaire européenne dans les années 60, propose 600 cours annuels relevant des arts plastiques, de la culture, de l’apprentissage des langues, du développement personnel, de la vie pratique ou encore de l’environnement. Son objectif : permettre au plus grand nombre d’accéder à la connaissance.
En ce mercredi soir de fin d’année, les auditrices et auditeurs de l’Université populaire européenne s’empressent de passer les portes du 3 avenue d’Alsace, tandis que leurs montres affichent bientôt 18h30. Au rez-de-chaussée, derrière la porte jaune de la salle 01, Sophie Viola, s’apprête à débuter son cours d’art floral pour les 13 inscrits présents. Au programme de cette heure et demie à venir : la confection d’une couronne de l’avent.
La professeur commence à donner ses indications tandis que certaines prennent des notes et que tous écoutent attentivement. Les odeurs de sapin fraîchement coupé se diffusent dans la pièce. “Ça va être intensif, on a peu de temps, ce n’est pas un cours où on papote !” Si les auditrices et auditeurs sont là pour le plaisir, ils le sont aussi pour apprendre et la rigueur est de mise. Il en est ainsi dans les différents cours se tenant dans l’imposant bâtiment au même moment.
Au total, environ 600 cours sont proposés chaque année à l’Université populaire européenne, allant de l’art plastique à l’apprentissage d’une langue, en passant par une activité physique ou même une discipline universitaire telle que l’Histoire. Concrètement, les 8 000 participants de cette année se sont inscrits pour participer à un cours d’1h30, lors de chacune des 26 semaines du calendrier universitaire.
“Notre structuration nous vient de l’enseignement supérieur mais ici, il n’y a pas d’examen et nous ne dépendons pas du ministère de l’éducation nationale, nous sommes indépendants”, explique Richard Kleinschmager, président de l’Université populaire européenne (UPE) .
“Un grand écart des savoirs”
L’université populaire a vu le jour à Strasbourg peu de temps après la Première Guerre mondiale. “Le concept vient plutôt des pays scandinaves, relate le président. Dans les années 20, des enseignants qui avaient une fibre sociale sinon socialisante et qui avaient participé à des Universités populaires à Paris, ont commencé à lancer des cours à destination d’un public qui n’était pas étudiant, un public de la ville. Il y en avait plusieurs en Europe mais Strasbourg était dans une situation particulière puisque l’on changeait de monde culturel, en passant de l’allemand au français. Il y avait une dimension un peu patriotique, d’enseigner la culture française à qui voulait bien la recevoir. Dans les universités populaires au sens large, l’idée était d’éduquer le peuple, pour éviter de tomber dans des errances politiques telles que le fascisme. Après la Seconde Guerre Mondiale, il y avait vraiment une idée politique : inculquer la culture plutôt que la force dans le dialogue des sociétés ”. En 1965, la structure a pris le nom d’Université populaire européenne.
Aucune condition particulière n’est requise pour s’inscrire à l’un des cours. “C’est fondamental, il n’y a pas d’exigence de niveau préalable. Tout un chacun peut s’inscrire quel que soit son niveau de formation.” Les auditeurs doivent, sous réserve de disponibilité des places, s’acquitter d’une cotisation de 40 € et des 130 € d’inscription à un cours.
L’UPE s’adresse à tous ceux qui souhaitent découvrir ou approfondir leurs connaissances dans l’une des matières proposées et ce n’est pas le choix qui manque. “Il y a un grand écart de tous les savoirs, aussi bien physiques que culturels au sens large”, précise le président. Parmi les cours ayant le plus de succès, se trouvent les cours de langues, le français pour les étrangers et les langues étrangères, de tout niveau.
“Environ 40 % de nos cours sont des cours de langue : l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand mais aussi le polonais, le chinois et le japonais qui sont très fréquentés. Il y en a 14 en tout”, détaille Richard Kleinschmager. Parmi les nombreuses disciplines on retrouve ainsi le yoga, la marche nordique, l’histoire de la médecine, la médecine chinoise, le bridge, le dessin, la peinture, cultiver sa mémoire, la philosophie, l’astronomie, l’écriture créative, la couture, l’informatique, la botanique, le décryptage de l’information ou encore l’origami.
Une formation non diplômante
“Il y a un public très friand de culture et attentif aux nouveautés”, analyse le président, qui avec toute l’équipe de l’Université populaire est en recherche permanente de nouvelles propositions. “Parfois ça marche très bien, parfois pas. Il faut que nous soyons attentifs à la sensibilité. Il y a, par exemple, un cours sur la permaculture, une notion qui n’existait pas il y a quelques années et qui a été introduite. C’est un cours qui marche très bien. À l’inverse, nous avions voulu introduire un cours sur le vélo mais il n’a pas trouvé son public et n’a pas réussi à démarrer. On ne sait jamais à l’avance. Si il y a moins de 10 auditeurs, en principe, on n’ouvre pas le cours.”
Certains cours sont chaque année très attendus. “Certains ont beaucoup de succès et les gens se bousculent dès le premier jour des inscriptions en juin. C’est le cas de certains cours d’art plastique ou de couture. Ce qui marche bien, souvent, ce sont les cours qui ont un débouché concret. Par exemple celui sur les champignons.”
Et d’ajouter : “Les auditeurs ont des envies, parfois depuis longtemps. L’envie d’apprendre à dessiner un corps, faire de la gravure, de la mosaïque. Il est rare que les gens viennent par hasard à un cours. On ne vient pas pour être ébéniste ou artiste mais parce qu’on veut le faire pour soi, que c’est une pratique qui nous intéresse et que l’on a pas pu faire avant. On ne délivre pas de diplôme.”
Si les auditeurs viennent pour le plaisir, l’UPE est un lieu de savoir et de partage des connaissances, où il est attendu de leur part une certaine rigueur. “Je tiens beaucoup à ce qu’on ait une structure rigoureuse. C’est ce qui donne le sens de cette institution. Nous ne sommes pas dans une structure où l’on vient et l’on picore”, détaille Richard Kleinschmager.
Un lieu de rencontre
Si le sérieux et la rigueur sont l’essence même de l’établissement, c’est qu’il s’agit avant tout d’un lieu d’apprentissage et de transmission des savoirs. “L’aspect formation, c’est notre raison d’être, d’où le terme d’Université. Nous avons la volonté de transmettre des connaissances et nous avons pour ça d’excellents profs. J’attends d’eux qu’ils s’engagent avec une pédagogie adaptée.”
Sophie Viola est devenue professeure d’art floral “pour le côté transmission”. Également enseignante auprès d’une classe de CFA et formatrice indépendante, elle est ici salariée. Ces quelques heures de cours hebdomadaires à l’UPE lui assurent une certaine stabilité dans son emploi du temps. Les enseignants sont ici payés, non au tarif de l’Université mais en accord avec les heures supplémentaires dans les lycées.
L’UPE compte également des bénévoles, membres du conseil d’administration, à l’image de son président, arrivé il y a 5 ans mais aussi une dizaine de salariées, telle que la directrice des lieux. “600 cours, 300 profs, ça ne s’improvise pas”, commente Richard Kleinschmager.
L’Université Populaire européenne, c’est aussi principalement un lieu de socialisation. Les 8000 auditeurs – ils étaient environ 10 000 avant la crise sanitaire – se croisent dans les couloirs de l’institution, se rencontrent sur ses bancs. Partageant semaine après semaine la même classe, ils créent des liens et trouvent ici un espace de sociabilité. “Je suis en télétravail en ce moment, ça me vide la tête parce qu’il y a une bonne ambiance”, relate l’une des participantes du cours d’art floral, pendant que sa voisine photographie sa couronne. “Je l’envoie à une personne qui faisait partie du cours l’année dernière mais n’a pas pu se réinscrire cette année. Toutes les semaines je lui montre ce qu’on fait”, explique cette dernière.
“C’est une association, il y a donc cette idée de rencontre qui est un élément important. Dans la ville, il n’y a pas tellement de lieux où l’on puisse rencontrer assez librement des gens dont certains ne nous ressemblent pas. L’autre fois j’observais un auditeur à l’entrée d’un cours qui récoltait des cadeaux pour l’anniversaire de l’un d’entre eux. Ça crée du lien”, constate le président.
Un but non lucratif
C’est par amour pour l’université et le partage du savoir que Richard Kleinschmager, ancien professeur universitaire de géographie, a accepté la présidence de l’UPE. “J’ai beaucoup aimé l’université. J’ai été dans toutes les instances, j’ai été doyen. Je trouvais intéressant de continuer à être universitaire dans un cadre beaucoup moins contraignant. Il y a des choses joyeuses à monter un dispositif qui donne, à qui le veut, la possibilité d’apprendre un certain nombre de choses.”
L’UPE étant une association, le président, choisi par le conseil d’administration, veille à ce que son fonctionnement soit collectif. “Le bureau se réunit une fois par mois, plus si besoin et le conseil d’administration est pleinement élu. J’ai aussi essayé de mettre en place des commissions pour s’occuper de la pédagogie ou encore de la communication.”
L’UPE n’a pas de but lucratif. “On n’est pas là pour gagner de l’argent, le jour où on parlera de bénéfices, je m’en irai, confie Richard Kleinschmager. Il faut tout de même qu’on soit vigilant pour assurer. Notre budget repose sur les cotisations de 40 € et les inscriptions aux cours de 130€ pour l’année. Ce ne sont pas des tarifs que l’on retrouve dans des sociétés privées et j’y tiens.”
Ce mercredi soir, le cours d’art floral prend fin sous la lumière des néons. Les auditrices et auditeurs cherchent à connaître le thème du cours de la semaine suivante. Dans les escaliers du 3 Avenue d’Alsace, le ballet reprend. Les retardataires des prochains cours croisent dans les couloirs ceux beaucoup moins pressés de quitter les lieux. Il en sera ainsi jusqu’à la fermeture des portes à 22h.