Arrivée en France à l’été 2012 après avoir fui son pays natal, Nazira s’est installée à Strasbourg pour y trouver refuge et reconstruire sa vie. Cheffe généreuse et talentueuse, elle travaille aujourd’hui pour le restaurant solidaire d’Emmaüs à Mundolsheim, où elle poursuit son insertion professionnelle. Rencontre.
Accompagnée par l’équipe de Stamtish, Nazira a participé à la dernière édition du Refugee Food Festival à la Grenze, où ses plats ont rencontré un franc succès. Peut-être y avez-vous goûté ?
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Nazira et je suis Afghane. Je travaillais depuis 10 ans dans une ONG internationale en Afghanistan avant de quitter mon pays. C’était une situation dangereuse et difficile, car là-bas, il est interdit aux femmes de travailler dans des ONG, avec des hommes et des étrangers. En 2012, j’ai décidé de partir et je suis arrivée en France l’été de la même année.
Dès mon arrivée, j’ai pris des cours de français à l’OFI. Ce n’est évidemment pas suffisant, mais je commence à bien comprendre et parler le français. En revanche, mon grand problème, c’est que la France n’accepte pas les diplômes afghans [difficile donc de trouver un travail]. J’ai alors décidé de me tourner professionnellement vers la cuisine, pour me former et trouver un travail, et aussi parce que j’aime ça. J’ai suivi une formation de 8 mois et aujourd’hui j’ai un contrat au restaurant d’Emmaüs, avec une cheffe locale. J’ai appris à cuisiner pour tout le monde, de tout, et plus seulement de la cuisine afghane.
Est-ce que tu as un souvenir particulier lié à la cuisine de ton enfance ?
J’aime le plat qu’on prépare en ce moment : le mantoo [ravioles afghanes]. Dès que j’y goûte, je pense à l’Afghanistan. J’aime aussi le faire goûter aux autres, ainsi que le riz afghan.
Et c’est quelque chose que ta famille cuisinait dans ton enfance ?
Oui, ma mère le préparait autrefois. Ce plat me fait voyager 10 ans en arrière.
Est-ce qu’il y a un plat ou une cuisine en particulier qui t’a déjà fait voyager ?
J’aime le biryani, c’est un plat indien. J’y mets d’ailleurs un peu de piment (ce qui pour le coup n’est pas indien). J’y ai goûté ici en France, mais ça ne ressemble pas au plat traditionnel. J’adorerais aller en Inde et en manger, la version avec du poulet.
Selon toi, est-ce que la cuisine permet de transmettre des pratiques, des traditions, ou encore des héritages culturels ? Tel que faire passer des recettes de génération en génération ?
Oui. Mes recettes viennent de ma mère. C’est très traditionnel en Afghanistan de se transmettre les recettes de génération en génération. Ma grand-mère l’a enseignée à ma maman, puis ma maman me l’a apprise à moi. J’observais ma mère dans sa cuisine. C’est de cette manière que j’ai compris comment cuisiner afghan. J’ai repris ses recettes pour ma famille et les utiliser au travail. Cependant, même si je suis souvent au restaurant, je n’ai pas l’occasion de m’en servir beaucoup.
Quels sont les ingrédients phares de ta cuisine ?
J’aime l’ail, le gingembre, la cardamome. Au restaurant et à Stamtish, je travaille aussi beaucoup avec le curcuma et le cumin. Tout ça pour parfumer les plats et le riz. La cardamome, c’est vraiment typique d’Afghanistan. C’est une épice très forte donc on l’utilise avec parcimonie.
Selon toi, est-ce que la cuisine peut créer des liens entre des personnes qui viennent d’horizons divers ? Est-ce que tu partages des choses quand tu cuisines ?
Bien sûr, oui, la cuisine, c’est du partage. Comme par exemple lors du Refugee Food Festival, on a tous travaillé ensemble à la Grenze. On avait préparé du riz avec des haricots rouges et du bamia [ragoût afghan traditionnellement préparé avec de l’agneau].
Pour qui aimes-tu cuisiner ?
J’aime cuisiner pour tout le monde mais surtout pour mes enfants et pour ma famille. Mais je n’ai pas toujours le temps de le faire en rentrant du travail. J’aimerais pouvoir cuisiner plus pour eux.
Avec qui tu préfères cuisiner ?
J’aime cuisiner avec Stamtish parce que tout le monde est très très gentil (rires).
Quand tu cuisines, est-ce que tu as déjà ressenti des émotions particulières ?
Oui. Parfois quand on cuisine on chante ! (“Avec qui ?”) Avec moi (rires).
Quand tu cuisines, qu’est-ce que tu as envie de transmettre aux autres ?
Le sourire. Je souris quand je sers les plats. Je souris avec tout mon corps. Je veux que les gens puissent profiter du moment et de mon plat.
Pokaa et l’association Stamtish s’allient pour vous partager notre amour commun de la bouffe et des personnes engagées dans les milieux de la restauration. Dans cette série de portraits intitulée Humans of food, nous vous proposerons de découvrir ces visages qui s’engagent à Strasbourg à travers des interviews axées sur le partage et la bonne bouffe. Parce que s’il y a bien quelque chose dans ce monde qui nous rassemble toutes et tous avec nos différences, c’est bien un bon repas. Et ici on l’a compris depuis longtemps.
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Julia Wencker