Il y a quelque temps, nous vous parlions des différents ingrédients de la bière comme le houblon et l’orge. Notre région, sa situation géographique et son histoire, en font un terreau fertile à la production de cette boisson. L’influence allemande a aussi eu un impact sur les différents types de bières brassées en Alsace avant les années 70 et en particulier les bières de soif, avec un taux d’alcool peu élevé. Et ça tombe bien, parce qu’elles font partie des plus simples à brasser ! Comment fait-on ? Que se passe-t-il à l’intérieur de nos bulles préférées ? On vous dévoile les secrets de fabrication de ce breuvage tant apprécié.
Après avoir passé l’étape du maltage et avant de terminer dans nos verres et nos gosiers, le malt et les autres ingrédients arrivent chez le brasseur qui a la lourde tâche de les transformer en un véritable breuvage. Sur place, la fabrication de la bière se fait donc en deux étapes majeures : le brassage et la fermentation.
Le brassage : l’art du mélange et de la bonne température
Avant toute chose, le malt est concassé. Il passe entre deux rouleaux très peu espacés et il éclate en de nombreux morceaux plus fins. Attention à ne pas en faire de la farine non plus, on doit garder un peu d’écorce entière. Le brasseur mélange l’orge à de l’eau dans d’immenses casseroles (des cuves jusqu’à 30 000 litres, parfois plus). Pour garder l’orge en suspension et éviter qu’il ne durcisse comme du ciment, d’immenses pales (ou le traditionnel fourquet, grosse spatule en bois ou inox avec laquelle le brasseur… brasse, à la main) l’agitent en permanence.
Le mélange est chauffé progressivement en respectant plusieurs paliers de températures pendant lesquels on conserve la même température pendant une bonne heure. Le choix de ces différents paliers (températures et temps de « stationnement ») est primordial : une enzyme, tout comme nos petits corps d’humains en plein été ou en plein hiver, possède une température optimale de fonctionnement, à laquelle elle va travailler le mieux. Chaque palier permet à plusieurs enzymes d’œuvrer correctement. Le profil gustatif, l’apparence (la bière sera-t-elle sucrée ou pas, trouble ou non ?) et le taux d’alcool dépendent de ces paliers. C’est le cœur du métier de brasseur. En restant plus longtemps à 78 °C par exemple, on peut ainsi rendre la bière plus sucrée et lui apporter de la rondeur.
Le brasseur filtre ensuite le contenu de la casserole et obtient d’un côté le moût (le jus bien liquide, la future bière) et de l’autre côté les drêches (résidus solides des céréales, envoyés aux fermiers du coin pour nourrir les animaux qui en raffolent).
Le moût, lui, est porté à ébullition pendant une heure. C’est maintenant que l’on ajoute les deux sortes de houblon : aromatique et amérisant. Chaque variété est employée avec un timing différent, pour avoir un temps de contact plus ou moins long avec la future bière.
Puis le brasseur filtre à nouveau le moût, cette fois-ci par effet Whirlpool. Pensez au siphon d’une baignoire lorsqu’un tourbillon se forme à la sortie. Dans notre cas, les résidus de houblons (qui ne se dissolvent pas en entier dans la bière) restent collés à l’émail de la baignoire. On obtient alors un liquide limpide que l’on refroidit le plus rapidement possible.
La fermentation : des bulles, des bulles, encore des bulles et un peu d’alcool
La fermentation transforme les sucres fermentescibles, créés lors du brassage, en alcool. Cette réaction chimique ne se fait pas d’elle-même, mais grâce à des organismes vivants qui mangent ces sucres pour survivre quand on les prive d’oxygène : les levures. Comme tout être qui se nourrit beaucoup, elles libèrent des déchets. Ce sont principalement l’alcool et le CO2. Ce dernier est responsable des bulles que l’on retrouve dans la bière.
Lors de l’entonnement, le moût arrive dans les cuves de fermentation en même temps que les fameuses levures (sous forme de poudre ou de levain). Le terme provient des anciens tonneaux dans lesquels, tout comme dans le monde du vin, les brasseurs fermentaient la bière.
L’entonnement consiste à remplir les cuves avec le moût, tout en y ajoutant les fameuses levures. Pour les aider à croître, le brasseur peut leur ajouter un peu d’oxygène par apport direct, ou tout simplement en remuant un peu le liquide.
L’oxygène, c’est l’ennemi de la bière ! Elle a tendance à gâcher le goût au point de la rendre imbuvable. D’ailleurs, les cuves de fermentation sont souvent saturées en CO2 avant de les remplir avec le moût. Mais pourquoi alors en injecter avec les levures ? Eh bien la quantité de bébêtes que l’on met ne suffit pas à fermenter tout le volume de bière. Elles doivent d’abord se multiplier. Souvenez-vous, elles ne produisent l’alcool qu’en mode survie. Avant de les faire entrer dans ce mode, laissons-leur un peu de répit et grandir jusqu’à ce qu’elles aient consommé tout cet oxygène (cela dure quelques jours à peine).
Une fois le mode survie des levures en place, le brasseur n’a plus qu’à patienter entre dix et quinze jours, pendant lesquels il surveille le déroulement des opérations. Il suit plus précisément l’évolution de la densité du moût. Plus il contient de sucre, plus il est dense et visqueux : on est au début. Lorsque l’on atteint une densité faible et qu’elle ne bouge plus, les levures ont effectué le travail que l’on voulait. Le brasseur refroidit alors la cuve pour arrêter les levures qui, de toute façon, devraient commencer à mourir les unes après les autres.
Plus le nombre de levures est grand, plus leurs déchets sont nombreux aussi (et c’est tant mieux pour nous). Pour elles, en revanche, la vie devient de plus en plus compliquée et elles finissent par mourir du trop d’alcool ou du trop de compétition entre elles. Le moment change selon les souches, mais généralement, les plus solides tiendront jusqu’à 10 et 15° d’alcool. Si on ne refroidit pas la bière et qu’on les laisse mourir, la bière développera des goûts de levures… mortes. Une perspective peu ragoutante.
Il existe deux principaux types de fermentation : la fermentation basse et la haute. Pour la première, ce sont plutôt des bières type Pils ou Lager qu’on obtiendra au final. Alors que pour la seconde, ce seront plutôt des bières d’abbayes. La différence réside pour une part dans la température optimale à laquelle elles fonctionnent. C’est surtout en fin de processus que leurs chemins se séparent. Les levures “basses” tombent au fond de la cuve, tandis que les “hautes” remontent.
Conservation… et dégustation !
Dans le process industriel ou semi industriel, la bière ne subit qu’une seule fermentation avant la mise en bouteille. Le taux d’alcool est satisfaisant et on ajoute alors un peu de CO2 manuellement pour atteindre une carbonatation idéale (le nombre de petites bulles qui chatouillent le palais).
En revanche, chez les brasseurs artisanaux, on pratique souvent une deuxième fermentation, dans la bouteille elle-même. À la fin de la première, on ajoute une nouvelle dose de sucre à la bière et on compte sur les rares levures survivantes pour transformer tout cela en CO2 et obtenir nos bulles préférées. C’est pour cela que l’on y retrouve un confortable lit de levures au fond de chaque bouteille.
Une fois la ou les fermentation(s) terminée(s), la bière est gardée au froid pendant deux à quatre semaines. Cette conservation entraîne le développement des arômes typiques de la recette que l’on a brassée. Elle est essentielle pour avoir un bon produit. Après ce temps, la bière, si elle n’est pas déjà en bouteille, peut être filtrée encore une fois (ou non, c’est selon le goût du brasseur) et est embouteillée.
Et c’est enfin là, que le moment que l’on attend tous arrive enfin : la dégustation. S’Gilt !