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Interview monumentale : le bâtiment de l’Aubette nous raconte son histoire

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On dit souvent que si les murs pouvaient parler, ils nous raconteraient tout. Nos espérances, nos regrets. Les vaguelettes dans la mare de l’Histoire, secouée par les pierres des Hommes. Ses manqués. Les briques de Strasbourg ont pour beaucoup résisté aux affres du temps et leur sagesse est un puits sans fond. C’est pour ces raisons que nous avons souhaité nous rapprocher d’elles. Leur poser des questions. Qu’ont-elles à nous dire de nous ?


L’Aubette. Impossible de manquer cette bâtisse de la place Kléber, du numéro 31 précisément. C’est d’ailleurs à cette adresse que je lui ai donné rendez-vous. À domicile. Comme à mon habitude, j’arrive en avance, mais elle est déjà là, elle aussi. Le soleil se lève doucement tout autour de nous et met en avant les reflets de ses pierres de grès rose. Nous nous installons sur la table d’un café et la discussion ne tarde pas à commencer.


Bonjour. Nous nous sommes donné rendez-vous à l’aube, ici, sur cette magnifique place Kléber en l’honneur de votre passé militaire. Pouvez-vous nous expliquer ce surnom de l’Aubette ?

Il date de mes jeunes années. C’est à Jean-François Blondel, célèbre architecte royal du 18e siècle, que je dois ma naissance. Toute la place Kléber aurait dû être refaite dans la forme d’un fer à cheval, avec des bâtisses qui me ressemblent. Mais mes frères et sœurs n’ont jamais vu le jour, par manque de budget. Blondel a réuni tous les édifices sur lesquels j’ai été construite pour me créer et me donner un rôle militaire. J’ai accueilli leurs logements, le corps de garde et l’état-major pendant près d’un siècle. Et vous le savez, les soldats aiment se réveiller bien avant le soleil et claironner à l’aube. C’est ainsi que l’on m’a rapidement surnommée.


Parmi les nombreuses vies que vous avez eues, on peut dire qu’il y a eu un avant et un après la guerre de 1870. Pourquoi ?

Vous ne perdez pas de temps pour remuer le couteau dans la plaie ! C’est mon souvenir le plus douloureux. 24 août 1870. Je m’en souviens comme si c’était hier. Le ciel s’est soudain obscurci de dizaines d’obus. Je n’ai pas eu le temps d’esquiver, bien sûr. L’incendie a été brutal. J’ai tout perdu, sauf ma belle façade, réalisation de Blondel. Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela fait, d’être amputée de tout, en dessous de la nuque. Des œuvres du musée des Beaux-Arts que j’abritais alors, rien ne subsiste. Fort heureusement, l’architecte Conrath a consacré la décennie suivante à me sauver. Et j’ai survécu, quand tous les pronostics étaient contre moi.

Je crois que cela m’a fait reconsidérer toute mon existence et le sens que j’y accorde. Je suis repartie de 0 et j’ai voulu me donner aux civils, aux citoyens, et surtout, aux arts. Fini les lits au carré et les épaulettes impeccables. Bonjour la musique, le cinéma, les dancings. La vie, quoi.

Place Kléber et l’Aubette, après le bombardement de 1870, Charles David Winter © MAMS


Quelle place a la musique dans votre identité ?

Elle vibre dans chacune de mes pierres. Après ma restauration, toute mon aile gauche a été consacrée à elle. Le conservatoire de musique y a posé ses valises. Une salle de 750 sièges y a été construite dans laquelle l’orchestre municipal y tenait ses concerts. Et puis, bien sûr, ma façade a changé. Conrath y a fait installer des chutes d’ornements à la gloire de 12 des plus grands musiciens, entre chaque fenêtre haute. Je ressens au fond de moi le passé de Mozart, Haendel, Schumann ou encore Bach et c’est un régal. L’aile droite a accueilli des cafés-dancings, un ciné-dancing et d’autres lieux de fête. D’un côté, la musique classique pour les oreilles, de l’autre la contemporaine, plutôt pour les pieds. Un éclectisme que j’ai toujours souhaité.


Justement, toute cette aile droite consacrée aux arts, dont le point d’orgue a été très court, de 1928 à 1938, vous a placé au centre de l’art contemporain et du mouvement dada.

Oui, c’est vrai. Mais les Strasbourgeois n’étaient pas prêts. L’exploitation de mon aile droite a été déléguée aux frères Horn en 1922. Ils y avaient l’ambition d’en faire un complexe de loisirs sur 4 niveaux, ce qui m’allait très bien. Et ils se voulaient précurseurs sur l’architecture et l’art. Ils ont donc confié sa réalisation aux trois artistes du moment, le néerlandais Theo Van Doesburg, le strasbourgeois Jean Arp et sa femme suissesse Sophie Taeuber-Arp. Tous les trois se sont retrouvés trop en avance sur leurs semblables avec leurs œuvres modernistes achevées en 1928. À tel point qu’elles ont été plutôt mal accueillies par le public de l’époque, et dix ans plus tard, tout a été recouvert de décors plus « dans l’air du temps ». Quelle tristesse ! Fort heureusement, tout a été restauré dans les années 90 et 2000, et on peut aujourd’hui encore apercevoir le résultat de leur art dans le musée de l’Aubette 1928.


Cette séparation en deux ailes distinctes doit vous rendre un petit peu schizophrène, non ?

Toute ma partie gauche a préservé son classicisme de la fin du 19e siècle et la droite est issue du mouvement dada, tout en couleur et en géométrie. Les deux ailes n’ont rien à voir. Je ne dirai pas que j’en suis schizophrène pour autant. Ce sont deux traits de ma personnalité. Un côté classique attendu pour une bâtisse comme moi, presque conservateur, mais dans lequel se tiennent quand même des expositions, des salons de petits créateurs d’aujourd’hui, et un autre côté, bien plus libre et inventif, artistique, curieux, tourné vers le futur. Ce sont un peu ces deux côtés qui me rendent unique et que l’on devrait tous avoir, je crois.


Je suis tombé, aux Archives de la ville, sur cette affaire qui l’a secouée dans les années 20 et 30, au sujet du cinéma Kléber. Vous en souvenez-vous ?

Comment oublier ? C’était justement au début de mon ambition de servir des loisirs aux Strasbourgeois. Il fallait me rôder un peu. Il a été créé sous le régime allemand, en 1902, sous le nom de Welt Kinema. Et puis au retour en France, le cinéma Kléber a continué de prospérer, jusque dans les années 20, où la ville a souhaité augmenter le loyer de 7000 à 18 000 francs. Presque trois fois plus. Était-ce une erreur d’estimation lors de la transition en francs ? Je ne sais pas. En tout cas, le litige a duré presque dix ans et j’ai été le siège de ce combat. Passages piétons obstrués par des bureaux clandestins, affiches de films placardées à même mes briques historiques, locaux sous-loués illégalement… Le cinéma a failli y passer à plusieurs reprises. Tout s’est calmé juste avant la guerre. Il a finalement fermé dans les années 80, pour d’autres raisons, propres à la ville.

Devenir le centre culturel et le lieu phare pour les citoyens était mon rêve. Avec ce cinéma, c’était le début, et le complexe des frères Horn a ensuite concrétisé ce rêve pour de bon.


Pour terminer cet entretien, que peut-on vous souhaiter pour le futur ?

De porter encore longtemps l’Histoire de Strasbourg, de m’en faire la garante et de veiller sur ses habitants. Les différentes époques marquées dans la pierre. La découverte du cinéma, muet d’abord, puis parlant. Les moments entre amis dans les cafés et les dancings. Les joies et toutes les émotions que la musique a su leur apporter à l’intérieur de mes murs. Tout cela, qu’ils y pensent à chaque fois qu’ils traversent tête baissée la place Kléber, qu’ils errent dans les magasins que j’accueille ou qu’ils festoient dans mes salles rénovées. Car je resterai encore longtemps là pour eux.

Jeremy Martin, le conteur
Compte Instagram : jeremy.auteur

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