Coup de cœur du jour : les collages du Strasbourgeois Simon Jung. Dans la catégorie des artistes sous-estimés car trop discrets, on retrouve ce grand curieux touche-à-tout, qui créé autant qu’il transforme, en-dehors des tendances. Un artiste designer au talent indéniable mais un peu déconnecté des réseaux, suffisamment pour passer sous les radars, et se rendre presque insaisissable pour réaliser une interview. Rencontre avec un jeune homme qui coupe et colle des mondes imaginaires, à la frontière du réel, à la manière des maîtres surréalistes d’antan, avec des images trouvées dans nos greniers. De l’upcycling artistique comme on aime.
Un artiste touche-à-tout
Si on appelle les artistes qui s’adonnent au collage des « collagistes », Simon Jung, Strasbourgeois de 33 ans (et originaire de Mutzig) préfère le terme d’artiste designer, puisqu’il fait « plein d’autres choses que du collage ». Il multiplie d’ailleurs les projets, dans divers domaines d’activité : designer sur des chantiers avec « des copains architectes ou charpentiers » d’un côté, et artiste plasticien de l’autre, avec la sculpture (depuis la Biennale du Sentier des Passeurs en 2020, on peut même croiser certaines de ses œuvres dans les Vosges) ou, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ses créations papier.
Son profil polyvalent, il le doit en partie à une formation « assez fantastique qui alliait art et science des matériaux » : un DUT à Chambéry, où il partageait ses journées entre découverte des matériaux (« physique, chimie ou dessin technique, pratique de la soudure ») et une école d’art avec « dessin de nu, modelage, infographie, peinture, etc ». « C’est sans doute là bas que je me suis essayé au collage la première fois, quand il faut tenter toutes les techniques pour trouver son style », explique-t-il. Mais il lui préfère alors le dessin et met de côté cette pratique. Son parcours se poursuit alors entre Besançon, Paris et Strasbourg, entre des études universitaires et des expériences formatrices, dans le domaine du design. Toujours avec un pied dans l’art et un dans les sciences, puisque « le schéma de pensée scientifique [l’]a toujours séduit ».
Et puis des voyages : en suivant son cœur, il s’évade un temps vers la Suède pour y faire sa vie. Si son histoire d’amour se termine peu après, il fait une rencontre déterminante avec l’équipe de la Love Foundation Stockholm qui le replonge dans « [ses] vieux carnets ». En leur proposant de faire des affiches pour leurs événements, il leur montre ses « vieux collages » qui les « emball[ent] ». Simon, riche de nouvelles expériences, se remet alors à cette technique qu’il avait à l’époque laissé de côté : « j’ai vraiment senti que le collage me séduisait davantage ».
Docteur Frankenstein de l’upcycling
En parallèle, il rentre en Alsace, sans thune et avec tout à refaire, et démarche Emmaüs Scherwiller en se « cré[ant] au culot un boulot », en tant que responsable revalorisation matière où il restera 2 ans ½. S’il avait déjà des convictions écologiques, cette expérience le conforte dans l’idée que « vraiment ça ne sert à rien de créer du neuf, il y à largement de quoi faire avec de la seconde main, de l’usager, du « déchet » pour certains ».
« Un peu Frankenstein », il refabrique alors des meubles à partir de restes d’autres, et surtout : il « tomb[e] dans la benne des livres d’Emmaüs ». Simon précise que s’ « ils contrôlent et revendent très bien les livres, ça n’empêche pas que leur benne de recyclage papier soit pleine à craquer ».
Il y a alors facilement accès et petit à petit, se constitue un stock et peaufine sa technique : « Je me souviens que je revenais tous les jours avec une dizaine de livres, sur tout et n’importe quoi, les poissons, les plantes, les volcans, l’espace, des Paris Match, revues photos… Tant qu’il y avait des couleurs et des textures intéressantes, je prenais, et si je tombais sur des personnages un peu loufoques ou dans des positions marrantes, je prenais aussi ! Je n’ai juste jamais aimé le papier glacé : il marque trop vite, et brille trop. C’est là que j’ai affiné ma technique, je trouvais des couleurs, des textures, des formes qui étaient faites pour aller ensemble alors qu’elles avaient des fois des décennies de différence. ». Il commence d’abord par les scanner pour travailler sur Photoshop, mais finit par abandonner définitivement le numérique, une « vraie fierté » pour lui, qui préfère la contrainte des « vraies forme/couleur/texture du papier ».
Il a depuis quitté Emmaüs, et s’est installé comme artiste plasticien, – dont un temps à Berlin où il rencontre des gens et se met à vendre ses créations sur les marchés. Aujourd’hui à Strasbourg, il se replonge dans la création à base de récupération (sculpture en bois et métal rouillé), et continue ses collages. Il garde le goût de « fouiller dans les Emmaüs, les brocantes », pour la matière première. Bon plan : ses proches le contactent également avant de « jeter les bouquins de leur parents ». Il ne se fournit ô grand jamais sur internet et confie « aim[er] beaucoup les vieux Courrier International, ou les vieilles encyclopédies, celles où les images sont peintes ».
Le surréalisme, son Dada
Sans surprise, il déclare avoir toujours aimé le travail des surréalistes et des dadaïstes, car « ils arrivent à mélanger nos sens ». Des inspirations que l’on retrouve facilement dans ses créations, car de ces archives du passé, Simon refaçonne une réalité, réécrit un monde. Entre du pur surréalisme et un « imaginaire commun » avec lequel il s’amuse. « Toutes ces images que je trouve et collecte ne sont rien d’autre que des vestiges d’un temps. Si mes collages parlent aux gens, c’est aussi, je pense, parce que je ne retouche pas l’image trouvée, et que peut-être dans les millions d’images que nous avons déjà vu passer, celles que j’utilise en font partie ».
S’il préfère ne pas utiliser de personnalités publiques dans ses créations (pour ne pas « bride[r] notre vision globale de l’image » ou biaiser le sens de la lecture), on retrouve dans l’une d’entre elles, Hitler, qu’il place entouré de personnes atteintes de trisomie 21. « Ça me faisait plaisir de rendre Hitler mal à l’aise », glisse-t-il.
Simon explique partir généralement « d’un sujet, humain ou non, entier ou non, mais quelque chose de central qui va amener la suite », préférant actuellement travailler sur des séries, donnant pour exemple sa dernière trouvaille : « J’ai mis la main sur de très veilles cartes de randonnée du Club Vosgien, c’est magnifique. Je n’ai rien de précis encore mais je sais déjà que je vais faire plusieurs collages dont le fond sera ces cartes ».
Outre ses séries, Simon créé des fanzines que l’on peut trouver gratuitement ou à prix libre au détour d’une manifestation culturelle ou dans des bars. Il les appelle les Collé/Copié, « car c’est vraiment de la création brute devant mon gros photocopieur à l’ancienne ». Un projet né pendant le confinement, « sur un coup de tête », avec pour seule contrainte le format de six pages, et que « la lecture se fasse en A5 pendant la lecture, mais aussi en A4 en mode feuilles volantes ». Un défi qui lui permet de s’extraire et se « décomplexe[r] » du collage plus long et « parfois trop précis » des tableaux.
Un tarot à la carte
N’ayant résisté ni à la tentation d’emporter un Collé/Copié lors du dernier Gros Bordel du Graffalgar, ni à celle de repartir régulièrement avec ses cartes postales lors de ventes-expos, je dois avouer avoir aussi fondu pour son Tarot. Un projet né avec une amie à lui. Un travail de recherche lancé à plusieurs mains autour des jeux divinatoires et du sens des cartes. Il en est revenu avec une version plus proche d’« un jeu de questions/réponses » que divination pure, mais qui s’en inspire.
« C’est intéressant comme jeu car la symbolique des cartes est relativement inchangée depuis des siècles, mais leurs visuels, eux, ont souvent changé. En découvrant ça, je me suis senti tout à fait légitime de proposer ma propre interprétation de ces symboles puissants que sont la force, la justice ou la lune. J’ai même dû faire plusieurs versions d’une carte avant d’être satisfait. J’ai donc produit chacune des 22 lames majeures ».
Sous cadre, les originaux sortent de temps à autre pour des expositions occasionnelles, mais il est possible d’en acquérir une reproduction, avec la notice pour s’y essayer soi-même. Il profite d’ailleurs des salons et marchés pour tirer les cartes au public, à « [sa] façon décomplexée », tout en précisant qu’il s’agit avant tout d’un « jeu » de tarot.
Dans les bacs, Simon a bien envie aussi de s’atteler au collage urbain, pour lequel il aimerait concevoir des œuvres in situ ou transposer de précédentes créations à la rue. D’ailleurs, pour les prochains mois, ce grand curieux ne manque pas de projets… Il est à la recherche d’un lieu pour monter avec son association Tiers-Temps, un tiers-lieu orienté culture, arts et cours d’ESS (économie sociale et solidaire) ; et aux côtés de Malu França, il se lance dans de la scéno’ pour Mismo, un rappeur de la pépinière de l’Espace Django. Et prochainement, si l’envie vous en dit : il animera un atelier d’upcycling à la Maison Citoyenne le 10 mai, lors de leur Vide Grenier Festif du Neudorf.
Pour découvrir le travail de Simon Jung
Son Instagram
Son site
Son travail sur Le sentier des Passeurs