Elles et ils ont tourné le dos à la fast fashion, aux achats compulsifs et aux samedis à errer dans les magasins d’ameublement. Rencontre avec ces jeunes Strasbourgeois(e)s qui ont fait le choix de consommer moins mais de manière plus responsable, et qui proposent des alternatives à la sur-consommation.
Qui a dit que la seconde main et les arts ménagers étaient des trucs de vieux ? Si ces pratiques ont longtemps fleuré bon la naphtaline dans l’imaginaire collectif, les voici remises au goût du jour, depuis quelques années, par une génération soucieuse de mieux consommer tout en faisant des économies. Sensibilisés à la crise climatique, à la pollution, au gaspillage des ressources, et à l’exploitation de travailleurs pauvres, ils sont en effet de plus en plus nombreux et nombreuses à entrer en friperie pour s’habiller, ou à franchir le seuil d’un brocanteur pour se meubler. Au point que l’offre s’est aussi multipliée : à Strasbourg, plus d’une dizaine de boutiques de seconde main ont ouvert leurs portes cette dernière décennie. Curieux de savoir comment le vieux était devenu le nouveau jeune, nous sommes allés à la rencontre des acteurs de cette nouvelle économie.
S’habiller responsable : un choix économique et écologique
Sabine, 30 ans, enseignante chercheuse, a connu les vêtements récupérés auprès de ses cousins et des amis de sa mère : “On achetait rarement des vêtements neufs et je le vivais mal à l’époque parce que ça ne me permettait pas vraiment d’avoir l’air cool”, sourit-elle. Acheter en fripes a d’abord été pour elle un impératif économique : “Je n’avais pas les moyens de faire autrement dans mes premières années étudiantes”, détaille t-elle. Mais ensuite, c’est devenu un choix de vie, notamment par conviction écologique.”
Sabine y voit une manière de se détacher de la société de consommation, une façon d’économiser les ressources aussi. Pourquoi produire autant quand tant de vêtements sont jetés sans avoir été portés, et tant d’autres disponibles en seconde main ? Derrière cette volonté de s’éloigner de la fast fashion, il y a également des enjeux de justice sociale auxquels Sabine est attentive. Depuis de nombreuses années, des ONG alertent en effet sur les conditions de travail des travailleurs – et majoritairement des travailleuses – de l’industrie textile dans le monde. Dans un rapport publié en mars 2021, OXFAM Belgique explique que les ouvrières asiatiques ne touchent que 18 centimes sur un t-shirt vendu 29 euros en Europe. Elles travaillent en moyenne douze heures par jour, en utilisant parfois des produits et teintures toxiques. Elles n’ont pas ou peu de couverture sociale.
Comme Sabine, Axelle Garcia a elle aussi acheté en fripes avant d’ouvrir sa propre enseigne à Strasbourg il y a trois ans. Son nom, Rehab, ne doit rien au hasard : “C’est un diminutif de rehabilitation, en anglais, qui peut désigner la remise en état, la réhabilitation d’une part, mais aussi la désintoxication d’autre part. De la sur-consommation par exemple”, sourit celle qui explique toutefois ne pas juger les fashion addicts à l’achat facile, pour être elle-même “passée par là”. “Dans le stock de départ, à l’ouverture de la boutique, il y avait beaucoup d’affaires que j’avais accumulées depuis dix ans.”
Axelle Garcia a choisi de se passer de fournisseur et de n’alimenter ses rayons qu’avec des vêtements rachetés à des particuliers : “C’est une manière de les impliquer dans ce projet”, détaille t-elle. Si elle fait “un gros travail de sélection des pièces”, tous les habits en bon état sont cependant susceptibles de trouver leur place sur un cintre. Même ceux produits par la fast fashion : “Aujourd’hui, beaucoup de gens en ont dans leur dressing. Quand ils en veulent plus on fait quoi ? On les jette parce que c’est de la fast fashion ? Si elles sont en bon état, autant les utiliser jusqu’au bout plutôt que de les mettre à la benne après qu’elles aient été portées deux fois.”
Écologique, l’engagement derrière Rehab est aussi économique : “En ouvrant mon magasin, je voulais que tout le monde puisse accéder à de l’occasion sympa, montrer qu’on peut s’habiller bien, pas cher et stylé sans avoir à aller chez Zara, développe Axelle Garcia. C’est pour ça que j’essaie de veiller à avoir tous les styles et tous les prix en rayon, et pas uniquement du vintage chic et cher.”
© A.Me/Pokaa
Chiner son mobilier : reconnecter avec une histoire et une âme
Économique, écologique, la seconde main ne concerne pas uniquement la mode et l’habillement pour celles et ceux qui la plébiscite. Lorsque Sabine a besoin d’un meuble, de vaisselle, ou d’un objet en particulier, elle a le même réflexe que pour les vêtements : regarder si elle ne pourrait pas le trouver d’occasion, chez Emmaüs par exemple. “Après seulement, j’achète neuf si je n’ai pas le choix, mais en faisant attention à la provenance et à la composition”, expose celle qui reconnaît qu’il est parfois très long de se meubler de cette façon. “C’est une manière de vivre dans laquelle on sacrifie la simplicité, reconnaît-elle. Tout le monde n’a pas forcément du temps à consacrer à cela, ce qui est sans doute un gros frein à ce type de démarche.”
Joséphine, psychologue strasbourgeoise, se promène régulièrement dans les allées de cette brocante solidaire. Elle fréquente également les brocantes depuis longtemps : petite, elle y allait avec son grand-père, bien avant d’entrer dans une logique de moindre consommation pour respecter ses convictions écologiques. “J’aime acheter des objets anciens, qui ont une histoire », détaille t-elle. Pour autant, la jeune femme se sent “encore beaucoup en décalage” du fait de son mode de consommation, quelque achat qu’il concerne : “En ville, il y a de plus en plus de gens qui achètent en friperies et qui en parlent. Mais quand je quitte ma bulle de bobo urbaine pour rentrer en milieu rural voir de la famille ou des amis le week-end, les discussions tournent plus autour des derniers achats dans magasins de bricoles comme Action, Tiger ou Gifi que des dernières brocantes.”
Un truc de jeunes bobos branchés, la brocante ? Dans son magasin, le Colvert Chineur, Arnaud Kittler essaie de faire en sorte que ce ne soit pas le cas, en sélectionnant des objets du 19e siècle aux années 70-80 pour alimenter son stock, et en veillant à avoir tous types de pièces et tous types de prix. Une clientèle variée, pour lui, c’est “plus d’échanges, plus de discussions.” Et parfois des informations intéressantes sur les pièces au détour d’un brin de causette avec un ancien venu chercher un objet précis dont il connaît l’histoire.
Le commerçant distingue deux profils chez ceux qui franchissent le pas de sa boutique : “Certains viennent surtout à la recherche d’une belle pièce, d’un objet ayant une histoire, qu’ils ne trouveront pas ailleurs. D’autres sont plus dans une démarche seconde main, écologique. Ils veulent surtout éviter d’acheter neuf.” Ces derniers sont souvent de jeunes clients, de 20 à 35 ans.
A.Me/Pokaa
Do it yourself : retrouver les savoirs d’antan
Autre choix de (dé)consommation communs aux anciennes et jeunes génération : faire soi-même plutôt qu’acheter, autant que possible. De son côté, Joséphine coud elle-même ses serviettes hygiéniques et confectionne son déodorant. Élodie, 30 ans, salariée dans une association strasbourgeoise, est quant à elle une spécialiste des cosmétiques faits maison. Des baumes à lèvres, savons ou shampoings qu’elle offre ensuite à ses amis : “J’utilise de vieilles recettes de grand-mère”, explique la jeune femme qui a commencé à faire ses produits de beauté en 2013, lorsqu’elle était en temps partiel. “Je trouve ça dommage que ces savoirs se perdent, alors qu’on revient à de plus en plus à du fait maison, pour des raisons écologiques notamment.”
En matière de pratiques ménagères c’est notamment la couture qui a le vent en poupe depuis quelques années. À la tête des Arts Domestiques depuis cinq ans, Hélène Grandemange organise une à deux fois par mois des stages d’initiation à la broderie : “L’idée à la base de ces ateliers, c’est que les personnes puissent apprendre différents points de broderie et se les approprier. Leur montrer que les possibilité sont illimitées, que leur seule limite est celle de l’imagination. C’est comme du dessin, mais avec du fil”, explique la jeune femme.
Il s’agit également d’un loisir créatif utile à plus d’un titre : “La broderie permet à la fois de réparer les vêtements, mais aussi de les personnaliser, poursuit Hélène Grandemange. À titre personnel, j’ai une garde robe assez simple. Si je veux l’égayer, je peux mettre une broche avec une épingle que j’ai faite moi-même: c’est une broderie amovible.” Derrière cette idée, il y a celle d’éviter la consommation inutile, pour l’entrepreneuse, qui utilise à 90% des fils issus de la récupération : “Plutôt que d’acheter un pull de Noël dans une enseigne cheap, on peut aussi broder des broches sapin, bonhomme de neige ou sucre d’orge et les agrafer sur un pull rouge ou vert.” Petit plus de cette pratique durable: le côté détente. “Et la fierté d’avoir fait quelque chose de ses mains”.
Super ces alternatives mais pour les encourager… il faudrait indiquer les coordonnées svp ! MERCI