Toutes les semaines ou presque, quelque part dans Strasbourg, des dizaines d’humoristes se lancent dans l’arène de l’humour équipés de leur trac et de leurs meilleures vannes. Leur but ? Provoquer nos rires et nous emmener ailleurs le temps que notre bière se réchauffe. En place dans les sous-sols de bars, dans le hall d’un hôtel ou dans la cale d’un bateau, ils donnent tout pour nous convaincre, nous faire grincer des dents et nous donner leur propre vision du monde qui les entoure, parfois à grand renfort de blagues salaces. Nous, on a voulu rencontrer quelques-unes de ces personnes et rentrer dans leur intimité, loin de celle qu’ils nous partagent une fois la lumière de la scène allumée.
À Strasbourg, et depuis quelques années déjà, on assiste à une vraie émergence de la scène humoristique locale. Que l’on parle de spectacles d’impro, de one man show ou de stand-up, les Strasbourgeois(es) sont de plus en plus nombreux et nombreuses à se lancer dans la grande aventure de la scène. Et le public semble de plus en plus chaud à venir les applaudir. Certains humoristes en ont fait leur métier, d’autres font les 3-8, mais tous partagent la passion de l’écriture, de la recherche du bon tempo et du bon timing. Pour provoquer le rire, ils nous bousculent, parfois violemment, provoquent des rires gênés, qu’on a parfois du mal à assumer, mais ils finissent toujours par toucher l’une de nos nombreuses cordes sensibles, et on adore ça. Et même si dans notre ville les humoristes locaux ne font jamais la une des journaux, ils n’ont souvent rien à envier à celles et ceux qui remplissent des salles de 5000 places, à Paris ou ailleurs. Cette scène humoristique strasbourgeoise, elle est riche, diversifiée, bourrée de talents et championne du monde de la débrouille, mais elle manque peut-être parfois un peu de soutien de la part des institutions et des gérants de grandes salles locales. Si on ne les cherche pas, on ne les voit pas, mais pourtant, tous les soirs ils sont là.
Qu’ils se produisent au bar Le Local, à La Péniche Mécanique, à La Choucrouterie, au Fat, sur les antennes de la radio RBS, à l’hôtel Aloft, sur les péniches de Batorama, à L’Espace K ou encore chez Impro Alsace, chacun d’entre eux et chacune d’entre elles osent réaliser cet exercice périlleux : se présenter seul(e) sur une scène, briser le silence et nous apporter un moment de partage sans aucune barrière. Et si aujourd’hui on décide d’évoquer l’humour à Strasbourg, en vous partageant le portrait de 5 stand-uppers, c’est tout simplement parce qu’ils ont le pouvoir de transformer une simple soirée entre potes autour d’une bière trop chère en poilade interminable. Et par les temps qui courent… C’est sacrément précieux. On vous présente Ouutch, Cyrielle, Blase, Margaux et Maurizio & Horace.
Ouutch
Ouutch est un jeune humoriste et papa de 31 ans qui aime quand les gens sont d’accord avec lui. Sinon il a tendance à les afficher devant tout le monde lors de ses spectacles. “Artisan de la blague” comme il aime le dire, il a notamment fait la première partie de Marina Rollman, joué avec Bouder ou encore Paul Mirabel, mais il n’aime pas le dire (en vrai, c’est la première chose dont il a parlé). Depuis ses 7 ans, il rêve d’être humoriste, mais la timidité a mis du temps à disparaître puisqu’il a fait sa première scène en 2019. Son credo, c’est l’humour noir, l’humour grinçant, avec une lichette de provocation et de potache 100% assumée. Il le dit lui même : “Plus les histoires sont horribles et glauques, plus ça me fait marrer, c’est un peu pour ça que je vais continuer encore longtemps à faire des blagues sur des gens qui enterrent leur famille sans qu’on ne les retrouve”.
Malgré le Covid, qui lui a mis un coup d’arrêt brutal juste après ses débuts, il a toujours voulu être présent, et sur toutes les scènes (même les plus claquées, dans des restos chinois), et le retour de la chaleur du public sur les planches strasbourgeoises a fini de le convaincre d’aller encore plus loin : “Depuis la fin du confinement, masque ou pas masque, pass ou pas pass, les Strasbourgeois ont besoin de se marrer, et on le sent : l’ambiance est de plus en plus bouillante soir après soir. Au Local pour Le Stras Comedy Club, au Fat pour le Plato ou à La Péniche Mécanique, là où je joue le plus souvent, on est tout le temps complet. Les Strasbourgeois ont besoin de se retrouver et de renouer avec la scène. Ces scènes justement, elles sont parfaites pour ça, on est tellement proche du public qu’ils peuvent attraper nos postillons”. Même si pour l’instant, il n’arrive pas encore à vivre totalement de sa passion, pour Ouutch le stand-up c’est toute sa vie (comme sa famille), et même si c’est pour un passage de dix minutes, il donne tout ce qu’il a, et le public lui rend bien. Il nous l’explique : “Depuis plusieurs mois, non seulement la demande du public est de plus en plus grande, mais il est aussi de plus en plus réceptif, attentif, et indulgent aussi… C’est juste fou et ça donne envie d’aller encore plus loin”. Le truc qu’il n’ose pas avouer, que son humoriste préféré à Strasbourg, c’est son pote Blase, mais il ne lui dira jamais. Ce qu’il assume à 100% ? Une certaine lourdeur parfois borderline. Ce qu’il aimerait ? Que les pouvoirs publics et les médias, quels qu’ils soient, s’intéressent davantage à l’art du stand-up à Strasbourg et à celles et ceux qui le font vivre. Ah oui et j’oubliais, en plus d’être le co-créateur du Stras Comedy Club avec Blase, il se produira le 3 septembre pour son tout premier one-man-show d’une heure à La Comète (Hésingue).
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Cyrielle Knoepfel
Cyrielle, c’est la personne que tu adores avoir avec toi quand tu déprimes. Un peu comme une bouteille de pinard au pied du lit, mais en moins dangereux. Pétillante, très investie dans son travail et dans les causes qu’elle défend, elle est d’abord passée par 7 ans de théâtre d’impro, une longue période et un travail sur elle-même qui lui ont appris à “désacraliser la scène et à enlever la peur” (rien que ça). Après avoir fait un stage d’écriture à Paris, à l’École du One Man Show où elle est arrivée sans connaître personne, elle est rentrée à Strasbourg “pour provoquer sa chance et monter enfin seule sur scène”.
Et son retour au bercail fut gagnant, elle nous le raconte : “J’avais un ami humoriste parisien qui devait jouer son spectacle à Strasbourg, je l’ai appris et je lui ai posé cet ultimatum : si je te trouve une salle, tu me laisses faire ta première partie. Je lui ai trouvé une date au Cabaret Onirique (aujourd’hui La Péniche Mécanique), et tout a commencé comme ça, j’ai fait 40 minutes de scène et tout s’est enchaîné.” Aujourd’hui, Cyrielle s’éclate sur les planches, elle écrit ses propres sketchs et partage un humour qu’elle qualifie d’humour de vie, de populaire, d’un peu self-centré et souvent saupoudré d’une pointe de féminisme. Elle est devenue une figure bien connue des Strasbourgeois, que soit à La Péniche Mécanique, sur les croisières Batorama, sur la scène du Fat ou au Local, elle fait ce qu’elle aime et ça se voit, et les Strasbourgeois lui rendent bien : “C’est fou ce qui se passe en ce moment, on sent que quelque chose se passe, qu’un vrai tournant est en train de s’opérer à Strasbourg. Il y a quelques années encore, l’humour local était moins développé, et les créneaux étaient réservés aux grands noms du stand-up qui étaient souvent passés par Paris. Aujourd’hui, on sent un vrai engouement pour le made in Strasbourg, et c’est tout simplement génial de faire partie de ce mouvement”. Ce qu’elle assume à 100 %, (tout comme Ouutch d’ailleurs) c’est de parfois refuser des dates dans des restos ou des bars qui veulent surfer sur la vague de l’humour et faire de l’argent sans prendre leur travail en considération. Ce qu’elle regrette : un manque de soutien et de visibilité de la part des pouvoir publics “Il faut que le grand public nous connaisse et nous apprivoise, on a un public curieux, chaleureux et fidèle, et il y a ici un terreau d’humoriste incroyables, ils ne méritent qu’à être mis un peu plus en lumière”. Ses humoristes locaux préférés justement, ce sont Blase et Ouutch, mais à choisir, si elle devait partager une scène avec un(e) humoriste, Cyrielle choisirait la patronne : Blanche Gardin.
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Blase
Blase, c’est l’une des plumes les plus tranchantes de la ville. Jeune papa de 36 ans, il est d’abord passé pas la musique et la “chanson marrante” (il a fait la Laiterie en première partie d’Oldelaf), avant de basculer vers un humour très structuré et très écrit qui ne laisse aucune place à l’improvisation. Son credo à lui, c’est l’humour déclaratoire, théâtral, une forme de plaidoyer à tiroir qu’il qualifie sans problème de “très sombre” qui contraste avec son air de gendre idéal. “Au départ, je viens du monde de la musique et de la chanson sordide, un peu à la Miossec. On faisait des chansons volontairement noires et bien borderlines avec un soupçon de sarcasme totalement assumé, on adorait ça, puis on a pris un bide“. Co-créateur du Stras Comedy Club avec lequel il se produit, il est notamment passé par la scène de feu le Bercail et propose également des chroniques sur RBS. Après quelques fours qu’il s’est pris à ses débuts, Blase s’est acharné à trouver sa patte : cette forme d’humour à plume, presque acerbe, qu’il lui est propre et qui a fait aujourd’hui sa réputation.
S’il n’a eu aucune formation spécifique, à part un atelier théâtre au lycée pour faire joli, il est un pur autodidacte, la preuve que quand on veut (vraiment), on peut. Il le dit lui-même : “Je ne suis pas là pour mettre l’ambiance, certains travaillent en interaction avec le public, proposent une répartie et un échange, moi ce n’est pas mon truc. Quand j’arrive sur scène, je sais exactement ce que je vais dire et l’impro me met terriblement mal à l’aise. Quand j’écris, je me sens plus percutant et au moins si je me plante, je ne peux m’en vouloir qu’à moi-même”. Pour lui, Strasbourg est un énorme vivier d’humoristes et d’artistes auxquels on ne donne pas forcément l’opportunité de se lancer, mais les choses évoluent depuis quelques mois. “Avant à Strasbourg , il y avait le Bercail par exemple, il était difficile de s’insérer dans le monde de l’humour si on ne connaissait pas untel ou untel. Aujourd’hui, c’est différent, des collectifs comme le nôtre ou celui de Zohar et Maurizio (Le Plato au Fat) reprennent de plus belle et ils ne font pas semblant. En plus, on voit revenir des scènes ouvertes ou comme au Aloft et je pense que tout ça ne fait que commencer.” Son humoriste strasbourgeois(e) préféré(e), c’est Margaux Lagleize. Ce qu’il assume totalement, c’est de dire que…“Si vous voulez être humoriste et que vous n’avez rien à dire sur scène, si vous voulez juste être dans la lumière, changez de métier”. Ce qui lui fait chaud au coeur, c’est le retour de chapeau au Local : “On est assez surpris du public du Local, en plus d’être très chaud et très réceptif, on trouve parfois des 20 balles dans le chapeau et ça nous donne envie de continuer“.
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Margaux Lagleize
Margaux Lagleize, c’est la grande professionnelle de la bande, une multirécidiviste de la poilade qui monte sur scène avec des yeux pétillants d’enthousiasme. Margaux, elle nous vient du monde de la comédie, et elle vit aujourd’hui entièrement de ses passions : le stand-up, le théâtre, l’impro et la comédie dans toutes ses formes. Amoureuse des mots, de la langue et de la race humaine, elle a à la fois 18 et 53 ans, ce qui la pousse à rester curieuse et à s’intéresser aussi bien à la famille Kardashian qu’aux techniques de tricot. Fraîche et enthousiaste, comme elle aime le dire, elle est rentrée au conservatoire de théâtre à Strasbourg tout en démarrant l’impro en parallèle, c’était déjà en 2009. Que ce soit en français ou en anglais, elle aime manier l’art des mots depuis toute jeune et a décidé d’en faire son métier de tous les jours. “J’ai toujours aimé raconter des histoires, toujours voulu trouver une manière rigolote de partager des anecdotes, même si au départ elles paraissent banales. Toute histoire peut être à la fois un sujet de réflexion, un échange et une performance, et si on est curieux et qu’on aime les gens (phrase de miss France) on peut faire de chaque moment un sujet comique.”
À Strasbourg, Margaux a tout fait : elle fait des voix pour Arte, se produit à La Choucrouterie, au Fat, au Local, à La Péniche Mécanique, elle fait des parodies de chanson, mais elle a aussi présenté des émissions sur France 3, donné des cours de théâtre pour enfant, elle met en scène une comédie musicale dans une école…et elle a même fait une scène à New York… En tout, elle a 15 boulots différents. Ce qu’elle aime, c’est l’humour de vie, (qu’il soit tendre, acide ou sincère), celui qui nous pousse à la réflexion tout en jouant avec nos émotions, que ce soit du rire franc ou plus timide, du silence ou de l’introspection. Elle le dit elle-même : “Je ne suis pas drôle tout le temps, j’ai des choses à partager, qu’elle soient drôles ou non, mais je me vois mal débiter de la vanne pendant 1h30 avec mon tabouret et ma bouteille d’eau. Je préfère raconter des tranches de vie et d’humanité qui mélangent les émotions les plus inattendues (stand-up seule en scène). Certains s’intéressent aux sciences, aux maths etc.. moi, ce sont les histoires des gens qui m’atirent, je n’aime pas la science-fiction, par snobisme mais aussi parce que je trouve qu’on a assez de choses à dire et à a faire avec de vraies personnes, voilà pourquoi je prends le public à témoin pour rentrer dans leur intimité. Je veux savoir ce que les gens ressentent, ce qu’ils ont à dire, moi ça m’inspire plus que tout et putain ce que c’est divertissant”. Son humoriste strasbourgeois préféré, c’est Blase : “On voit qu’il bosse comme un putain d’acharné, j’adore ce qu’il fait”. Son kiff en ce moment : voir revenir l’enthousiasme des Strasbourgeois, les voir revenir dans les salles avec l’envie de partager des moments de scènes. “À Strasbourg, le public n’est pas seulement chaleureux mais il est aussi super vif, tout le monde comprend toutes les références, même les plus cheloues”.
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Maurizio et Horace
Maurizio, alias Maurizio et Horace, c’est le vendeur de charcute de la team, et aussi co-créateur du Plato avec l’humoriste Zohar. Fan de Mr Fraize (il a fait sa première partie), de Dupontel et de Desprosges, il vient également de partager un bout de la scène du Zénith avec Laurent Arnoult. Son credo, hormis de trouver ça drôle d’avoir un nom de duo, c’est l’humour trash, border et parfois violent, on rit parfois en se cachant le visage et on a honte d’adorer ça. En fait, il est un ovni dans le paysage du stand-up strasbourgeois et ça lui plaît bien : “J’ai envie d’être l’humoriste qu’on ne voit pas ou qu’on ne voit plus, je veux déranger tout en faisant rire, même si c’est des rires de gêne. Je suis conscient que c’est difficile, mais c’est ce défi-là qui me plaît.” Maurizio, il a commencé la scène en 2010 de la manière la plus naïve possible : “Un mardi soir il y a douze ans, sous l’impulsion d’un pote, j’ai privatisé Le Camionneur, j’ai demandé à tous les invités de ramener une personne que je ne connaissais pas, histoire de tester ma capacité à faire des vannes, et ça a cartonné. Je devais faire dix minutes et j’ai fait une heure”. Plus tard, c’est donc Laurent Arnoult qui lui a proposé de faire la partie de Mr Fraize pour sa troisième scène seulement…
Silences, tueurs en séries, références à Trailer Park Boys, bébé mort dans un sac poubelle, Maurizio dérange parfois, interroge, souvent, mais ce qu’il aime, c’est sortir de la norme et du spectacle facile. “Il y a des gens très forts en stand-up, mais c’est devenu trop conventionnel selon moi, ce n’est vraiment pas mon truc. On voit que les mêmes thématiques en ce moment, c’est normé et c’est très dommage. Les trois “oui” lors de l’arrivée sur scène, est-ce que ça va…vous êtes chauds…les mamans qui parlent de leurs gosses, les vannes sur les minorités…on connaît, et ça tourne un peu en rond. Moi, j’aime piquer, j’assume l’absurdité, le noir et…je sais pas, ça marche bien aussi je sais pas.” Son souhait dans les prochains temps, ouvrir une salle dédiée à l’humour à Strasbourg. Sa surprise du moment, le gros boom de l’humour en local et le retour des spectateurs. Son coup de gueule, qu’on respecte davantage les humoristes pour leur travail : “Quels qu’ils soient, les humoristes bossent leurs vannes, écrivent et travaillent dur pour passer sur scène, et c’est beaucoup d’émotions pour nous. Parfois on nous booke au milieu d’un resto pendant que le machine à café fonctionne et que les gens discutent. Quand un groupe de 5 personnes se lève pendant le spectacle pour fumer une clope, je trouve que c’est un manque de respect et c’est dommage, et humainement, c’est horrible à vivre“. Ses humoristes préférés dans le coin, c’est Tommy Gottfer, Ouutch et Blase. Son envie, que les salles de la ville leur fassent confiance, que les médias viennent aux spectacles et que le grand public ait plus accès aux spectacles. “À Strasbourg, tout le monde est chaud, aussi bien le public que les humoristes, on dirait qu’ici l’humour est un domaine de niche. On a la place, on a la demande, il faut juste qu’on sorte un peu de l’ombre, nous en tout cas on bosse pour ça”.
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