Ce vendredi, de nombreux soignants strasbourgeois se sont mobilisés pour alerter sur “la mort imminente de l’hôpital public”. À 14h, plusieurs rassemblements ont eu lieu simultanément dans quatre hôpitaux, au Nouvel Hôpital civil, à l’hôpital de Hautepierre, au Centre Médico-chirurgical Obstétrique de Hautepierre et à l’hôpital de la Robertsau afin d’observer une minute de silence. Ils étaient plus d’une centaine sur le parvis du NHC. Reportage.
Alors que le plan blanc vient d’être déclenché pour la troisième fois depuis le début de l’épidémie au sein des hôpitaux de Strasbourg depuis le jeudi 2 décembre, les soignants se sont mobilisés ce vendredi 10 décembre pour dénoncer “la mort annoncée de l’hôpital public”. À 14h, plus d’une centaine de soignants se sont réunis sur le parvis du NHC à l’appel du chef de Service de chirurgie-cardiaque Jean-Philippe Mazzucotelli afin d’observer une minute de silence.
Un manque cruel de personnel
À 13h30, Antoine est l’un des premiers présents devant l’entrée du NHC. Accompagné de deux confrères, l’anesthésiste-réanimateur et délégué au SNPHAR-E (Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes Réanimateur Élargi) espère bien faire réagir la population et le gouvernement afin d’éviter l’effondrement de l’hôpital public. “Depuis la rentrée, il est urgent de trouver des moyens pour soigner les gens.” met en garde le professionnel. Ces moyens à engager, ils sont bien sûr économiques, mais surtout humains.
À Strasbourg, l’hôpital public manque cruellement de personnel selon lui : “Les personnes qui sont parties avant le Covid n’ont pas été remplacées, certaines étaient restées et partent aujourd’hui et il y a aussi celles dégoûtées par le Ségur. On manque essentiellement d’infirmiers et d’infirmières de bloc opératoire.” Antoine estime avoir récemment perdu cinq ou six collègues infirmiers-anesthésistes sur les deux hôpitaux (Hôpital civil et Nouvel Hôpital civil), qui ont décidé de quitter l’hôpital public pour le privé. Résultat : “Les blocs opératoires tournent à peu près à 70% des activités normales par manque de personnel.”
Dorothée aussi a vu de nombreux collègues s’orienter vers le privé au cours de ces dernières années. “Non pas par appât du gain, mais parce que les conditions de travail sont mauvaises.” précise-t-elle. Praticienne hospitalière dans le service de néphrologie du NHC, elle estime que plus de 300 personnels soignants manquent actuellement. Un manque de moyens humains, qui impacte sérieusement l’accueil des patients : “On a 236 lits fermés. On est au début de l’hiver, la 5e vague démarre et on ne sait pas comment ouvrir des lits.”
Un changement de politique nécessaire
Pour Antoine, “le Covid n’a été qu’une estocade sur une bête déjà malade. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga des problèmes de l’hôpital public.” Un sentiment partagé par Dorothée, qui estime avoir tenté de pallier aux politiques de restrictions menées depuis une dizaine d’années : “On a le sentiment qu’on est vraiment au bout d’un système et que si rien n’est fait, il risque de s’effondrer littéralement. Après la première crise, on a cru qu’on allait être entendus, mais la même politique a été menée. Et là, on se retrouve dans une situation sans plan B. On a le sentiment que ce qui devait être fait n’a pas été fait.”
Heures supplémentaires non payées, pas de remplacement des postes vacants, manque de matériel, pour Antoine, c’est clair, il faut de l’argent. Investir dans l’hôpital, prendre en compte les revendications salariales, rétablir l’attractivité pour que ceux qui envisagent de partir restent et que ceux qui sont partis reviennent : “La tâche est immense” reconnaît-il. Mais : “La pérennité de l’hôpital public est en danger.”
Aux alentours de 14h, la médecin-urgentiste Sébastien Harscoat prend la parole : “Nous sommes là parce que nous avons envie de continuer à soigner nos patients. L’implication physique et morale ne suffisent plus. L’accès au soin pour tous n’existera plus s’il n’y a pas de changements.” Puis il invite les participants à observer une minute de silence “pour la mort annoncée de l’hôpital public”.
“Ces dernières années c’est vraiment pire, c’est plus catastrophique qu’avant.”
Drissia et Vanina sont aides-soignantes et travaillent entre le service de réanimation et les urgences. La première comptabilise plus de 20 ans de carrière à l’hôpital et la seconde est arrivée au NHC il y a seulement deux ans. Aujourd’hui, elles font pourtant le même constat : “Ces dernières années c’est vraiment pire, c’est plus catastrophique qu’avant. On nous demande de plus en plus de choses.” alerte Vanina. “À cause du manque de personnel, la charge de travail est énorme.” complète Drissia.
Infirmière en médecine interne, Lucie travaille dans le même service depuis dix ans. Année après année, elle assure avoir vu la situation se dégrader. Manque de moyens au niveau du matériel et au niveau humain, elle raconte : “Dès qu’il y a des arrêts maladie, on est obligé de fermer des lits.” Comme ses collègues, elle explique être régulièrement “rappelée sur ses congés” et ainsi ne jamais pouvoir prendre de pause. Elle prévient : “J’ai envie de croire en l’hôpital public. Mais niveau psychologique et physique c’est très fatiguant et peut-être que je vais finir par le quitter.”
Maïté, ancienne infirmière : “Ce n’était plus vivable. J’étais épuisée.”
Sur le côté, Maïté observe de loin la mobilisation. Elle fait partie de celles et ceux qui ont pris la décision de quitter la profession. Infirmière au sein des Hôpitaux de Paris, elle a d’abord pris un congé parental avant d’arrêter complètement au mois de novembre et n’a pas souhaité postuler dans l’un des hôpitaux de Strasbourg. “J’ai arrêté parce que je souffrais de ne pas être disponible pour les patients. J’avais une mauvaise image de mon travail et de moi. Il fallait que je trouve un moyen pour me reconvertir et soigner les gens correctement.”, explique l’ancienne infirmière.
Face au manque de moyens et de personnel, Maïté ne supportait plus les conditions de travail qui lui étaient imposées : “Ça fait encore une infirmière en moins” regrette-t-elle, “mais ce n’était plus vivable. J’étais épuisée. Je ne voulais pas en arriver au burn-out professionnel. On rentre chez soi en ayant l’impression de rien avoir fait de bien de sa journée et je n’étais plus disponible pour ma famille.” La mère de famille explique avoir préféré arrêter de travailler plutôt que de continuer à “subir ça”. Même si elle reconnaît que la plupart ne peuvent pas se le permettre financièrement.
Aujourd’hui, elle s’est reconvertie en tant que visiteuse bénévole et intervient au sein du NHC pour proposer un temps d’écoute et de partage aux patients qui le souhaitent. Consciente de l’ampleur des changements nécessaires pour remettre sur pied l’hôpital public, Maïté avoue toutefois : “S’il y avait des choses qui changeaient, je remettrais peut-être ma décision en question.”
Et la prime de présence sera peut-être supprimée, voilà qui fera que certains ne viendront quand ils seront un peu malades.