Wilfried et Simon vivent dehors à Strasbourg. Leurs tentes avec des affaires à l’intérieur ont disparu dans l’après-midi du 13 octobre, après une opération de “démantèlement de leur camp” réalisé par la Police Nationale et la Protection Civile, mandatés par la Préfecture. Wilfried et Simon assurent qu’aucun motif ne leur a été signalé.
Plus de deux semaines après la disparition de leurs tentes et de leurs affaires, Wilfried et Simon, sans-abris, “sont encore choqués”. Le 13 octobre dernier, à 14h, des agents de la Police Nationale sont venus à leur campement installé place de l’Étoile. Simon se souvient : “On a parlé calmement. Ils nous ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu parler de nous et qu’on ne dérangeait personne. Il n’y avait aucun souci à priori. Ils ont quand même contrôlé nos identités. Là, ils ont vu que j’avais une amende, dont je n’étais pas au courant, pour consommation de cannabis. Ils m’ont emmené au commissariat d’Entzheim pour me la notifier.”
“S’ils nous avaient dit qu’il y avait un problème, on aurait bougé”
Wilfried, de son côté, est parti faire la manche à la Biocoop de la rue de la 1ère armée. Après le commissariat, Simon était le premier des deux à revenir aux tentes. Mais quand il est arrivé place de l’Étoile vers 17h, elles n’étaient plus là. “J’ai halluciné !”, raconte-t-il : “Là j’ai commencé à paniquer ! Dans nos deux tentes, on avait laissé nos habits et nos papiers administratifs. Moi j’avais mon portefeuille avec un peu d’argent et ma carte bleue. Nous avons des problèmes d’addiction pour lesquels nous sommes suivis. Il y avait donc aussi du matériel de consommation fourni par des associations. Je me suis demandé pourquoi ils avaient fait ça ! Encore aujourd’hui je ne comprends pas. S’ils nous avaient dit qu’il y avait un problème, on aurait bougé.”
Le lendemain, Simon et Wilfried se sont rendus à la mairie et au commissariat pour retrouver leurs affaires. D’après eux, c’est finalement la Police Nationale qui leur a indiqué que les services de l’État les avaient saisis, et qu’ils ne pourraient pas les récupérer. Aucun motif ne leur aurait été donné. Contacté à ce sujet, le service de communication de la Préfecture n’a pas donné suite.
Une opération réalisée par la Police Nationale et la Protection Civile
Un témoin aurait assisté à la scène. Cyril*, bénévole de l’association Abribus, est passé en voiture le 13 octobre à environ 15h55, à côté de l’emplacement des tentes de Wilfried et Simon. Il aurait alors vu deux agents de la Police Nationale et un ou deux agents de la Protection Civile à côté des tentes. Il se souvient également d’un véhicule de la Police Nationale, “et peut-être aussi d’un véhicule de la Protection Civile”.
Interrogée à ce sujet, la Protection Civile a indiqué qu’elle était soumise au devoir de réserve, mais que sa charte interdit de démonter des tentes avec des affaires à l’intérieur. Quant à la Police Nationale, elle explique que : “Deux tentes ont été prises en charge par la Protection Civile. Le contenu de ces tentes a été inventorié sur place.”
“Depuis quand nos addictions sont un motif pour prendre nos affaires ?”
Les forces de l’ordre indiquent qu’il s’agissait du “démantèlement d’un camp de migrant”. Pourtant, Wilfried et Simon ont des papiers français. La Police relève que des seringues ont été trouvées dans les tentes, et que, “pour des raisons de sécurité et de salubrité publique, il n’a pas été possible de laisser les effets sur place. Il a donc été fait appel aux services de propreté de la ville de Strasbourg.”
Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des solidarités, commente :
“En général, la préfecture ne communique pas avec nous avant ce type d’opération. Nous déplorons ce manque de coordination. Concrètement, toutes les semaines, des affaires de sans-abris sont déposées sur le parvis de l’hôtel de Ville, et nous devons réaliser un travail d’enquête pour retrouver les personnes. Souvent, nous ne savons même pas d’où viennent les objets. Pour le cas du 13 octobre, qui en est un parmi d’autres, nous n’avons pas d’informations concernant les affaires. Le service propreté a juste été mandaté pour nettoyer le site après l’enlèvement des tentes.”
Nicolas Fuchs, de Médecins du Monde, dit être passé le 8 octobre devant les tentes. Il a alors photographié le site. Il témoigne du fait que les abords du campement étaient parfaitement propres ce jour-là.
Wilfried et Simon assurent également que leur campement était entretenu. Simon s’insurge : “C’est absurde. Ce n’est pas une nouveauté, beaucoup de sans-abris ont des problèmes d’addiction. Depuis quand c’est un motif pour nous prendre nos affaires ? Tout était dans la tente. Le matériel usager était placé dans des boites à cet effet. D’ailleurs, c’est un traitement curatif, et non de la drogue en tant que telle.”
Des associations ont redonné des tentes
Wilfried est sidéré par cette situation : “Je vis dehors depuis 20 ans. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. C’est clair que souvent, les sans-abris ne sont pas considérés comme les autres gens. Mais là… Imaginez que l’État fasse disparaître votre maison et vous prenne toutes vos affaires sans vous donner d’explication. Et ben c’est ça qu’ils ont fait.”
Valérie Suzan, présidente de l’association Strasbourg Action Solidarité, qui organise notamment des distributions de repas et de vêtements, estime qu’un cap a été franchi par la préfecture : “Je ne comprends pas comment on peut faire une chose pareille. Les sans-abris galèrent déjà assez. C’est la porte ouverte à n’importe quoi. On n’a pas le droit de prendre les affaires des gens comme ça. Wilfried et Simon font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir.”
Fin octobre, ils commencent à se relever. Ils sont désormais installés devant l’école du travail social, près de la place de la Bourse. Wilfried explique : “Le directeur est d’accord pour qu’on reste là en théorie. Des associations nous ont fourni des tentes et à manger. On commence à digérer. Et on en a parlé aux autres sans-abris. On leur dit de faire très attention à leurs tentes. Mais c’est fou de devoir se méfier comme ça.”
*Le prénom a été modifié.