L’enluminure, Aline Falco la pratique depuis 19 ans. Un art médiéval consistant à orner des manuscrits, grâce à des techniques traditionnelles et des matériaux naturels. Un art que « l’enlumineure” comme elle se présente, modernise dans des tableaux colorés.
Dans l’atelier d’Aline Falco, les bocaux d’apothicaires, aux étiquettes calligraphiées côtoient les bouteilles de verre et les récipients de toute taille. Ici où là, des plumes mais aussi des feuilles et végétaux de toute sorte se glissent sur les étagères chargées. Aline ne fait pourtant ni remèdes, ni potions magiques mais des enluminures et ce, depuis 19 ans.
“L’enluminure, ça vient du latin “enluminare”, qui veut dire mettre en lumière. Donc ça consiste à mettre des textes en lumière par le biais des décors”, explique la Strasbourgeoise. Mais pour orner ces textes de décors, il y a des règles et des techniques bien spécifiques à respecter. “L’enluminure concerne la période du Moyen Âge, c’est 1 000 ans d’histoire. C’est tout ce qui était autour du texte. C’est un peu l’ancêtre de l’illustration”, détaille Aline.
Aujourd’hui encore l’artiste respecte au maximum les techniques de l’époque. “Toutes mes techniques sont traditionnelles et médiévales et ça j’y tiens. La seule entorse que je fais, c’est de coller le parchemin sur du bois ou du carton pour en faire des tableaux”, reconnaît-elle. Aline travaille donc principalement sur du parchemin : “C’est de la peau de bête, un peu comme du cuir mais c’est passé dans des bains de chaux. Ce n’est pas du papier, le papier étant arrivé plus tard, vers la fin du Moyen Âge. Ça peut être de la chèvre, du veau, du chevreau. Là par exemple c’est du mouton ”, explique-t-elle en détachant un vaste morceau blanc d’un chevalet.
Des années de pratique
Et pour ses ornements, pas question pour Aline d’utiliser crayons à papier et autres feutres. Ses plumes et ses pinceaux ne domptent que des pigments en poudre. “J’ai des pigments naturels et des pigments synthétiques qui sont, en fait, des pigments naturels qu’on mélange pour avoir une autre couleur. Il y a des pigments végétaux, des pigments minéraux, comme le Lapiz Lazuli qui vient de la pierre ou des pigments animaux comme la cochenille ou le murex. Moi j’utilise beaucoup les pierres.”
Cet art de l’enluminure, Aline l’a découvert un peu par hasard, au détour d’une année de fac. “J’ai fait un bac littéraire avec option arts plastiques puis je suis allée en fac d’histoire de l’art et d’archéologie mais la pratique, le fait de toucher les matériaux me manquait”, se souvient-elle. C’est ainsi qu’Aline s’est tournée vers l’enluminure, une discipline où l’art et l’histoire se rencontrent pour ne faire plus qu’un. Malgré une brève formation, c’est principalement par elle-même que « l’enlumineure” – un terme qu’elle préfère à enlumineuse – a pratiqué, encore et encore, jusqu’à connaître et maîtriser les techniques ancestrales. Le savoir-faire ne s’enseigne pas, il se construit au fil des mois et même des années, des ratés et des progressions.
“C’est vrai qu’au début, ce que je faisais était assez grossier. Il faut beaucoup de pratique. Je pense qu’il m’a fallu au moins 8 ou 10 ans pour acquérir vraiment un tracé régulier et surtout de la finesse”, analyse Aline.
Des manuscrits aux tableaux
Désormais, Aline consacre tout son temps à cet art. D’après le site de l’Institut National des Métiers d’Art, ils seraient une soixantaine à exercer en France aujourd’hui. “Je pense qu’on doit être deux fois moins à faire ça à plein temps”, suggère toutefois Aline. Elle répond parfois à des commandes : de la restauration de pages de manuscrits pour des particuliers même si c’est assez rare, des copies de manuscrits que les gens aiment. Elle enlumine également certains ouvrages apportés par des particuliers. “La dernière fois c’était, par exemple, un traité sur les jeux d’échecs, quelqu’un qui avait écrit son petit livre et qui m’avait demandé de l’illustrer et le calligraphier pour lui.” Mais le principal travail de l’artiste est la création.
Dans ses créations, les enluminures sont toujours faites de manières traditionnelles mais sont destinées à devenir des tableaux. “Je m’éloigne quand même du graphisme médiéval, même s’il y a toujours un lien. Les techniques restent les mêmes, les matériaux aussi et il y a cet esprit de minutie que l’on retrouve aussi.”
Ce jour-là, Aline se concentre sur la dépose d’une feuille d’or sur l’une de ses créations, grâce à une technique spécifique à l’enluminure nécessitant colle de poisson et blanc de plomb. Des ingrédients naturels, toujours, qu’elle manie avec précaution. Lorsqu’elle s’empare, quelques minutes plus tard, de sa plume pour poursuivre l’un de ses autres tableaux, le silence envahit l’atelier, du parquet jusqu’au plafond. Tout l’appartement semble mis sur pause, seule la pointe imbibée de pigments danse de façon minutieuse sur la peau de mouton. Aline retient son souffle, le moindre faux-mouvement est proscrit.
Des expos et des cours
Sur les murs de son atelier, une pièce attenante à son salon, ses œuvres s’exposent et révèlent diverses périodes d’inspiration. “Quand j’ai un thème dans ma tête, je l’approfondis à fond. Pour ça, je fais des recherches iconographiques, je vais dans les musées, j’apprends plein de choses. Par exemple, j’ai exploré le thème de la navigation pendant, au moins, deux ou trois ans. J’ai aussi eu le thème de la Thaïlande, les voyages m’inspirent beaucoup, c’est ma passion.” Et d’ajouter : “Ça peut être tout et n’importe quoi, un bout de carrelage, un motif dans un cimetière…” Même si l’impossibilité de voyager ces derniers temps l’a poussée à trouver de nouvelles sources d’inspiration.
“Comme je n’ai pas beaucoup bougé de ma région , ces derniers temps c’est plutôt la forêt. Donc là j’ai fait toute une collection avec des petits oiseaux , des feuilles de chêne, du pin.” Même si la crise sanitaire a quelque peu entamé son esprit créatif. “J’aurais pu chercher dans des livres mais je trouve ça moins enrichissant, je préfère aller sur place, sentir l’atmosphère. Puis, il y avait le côté étouffant du confinement. La création c’est la liberté et là tu n’avais même plus celle de sortir de chez toi.”
Toutes ses créations, Aline les présente ensuite lors d’expositions et sur des salons spécialisés dans les métiers d’art. “J’essaie de vendre mes créations”, affirme-t-elle. Elle y a appris à présenter son travail, en parler, mettre des mots sur un art souvent mal connu, parfois mal compris. Sa passion pour l’enluminure, elle la partage également lors des cours qu’elle donne à l’Université Populaire, depuis une dizaine d’années. Car si sa nature solitaire se conjugue parfaitement bien avec les longues heures passées seule dans son atelier, “ça fait du bien de voir quand même un peu des gens”, conclut-elle dans un doux sourire.