Deux ans après avoir entamé son parcours parlementaire, le projet de loi bioéthique est finalement sur le point d’être adopté ainsi que sa mesure phare : “l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes”. Pour ne rien lâcher dans cette dernière ligne droite et surtout demander une version plus égalitaire du texte, de nombreuses Strasbourgeoises défileront ce samedi à l’occasion de la marche des Visibilités, formant un cortège revendiquant l’ouverture de la PMA à toutes et tous et sans exception. On est allé à leur rencontre pour entendre leurs motivations.
C’est en 2019 que le projet de loi bioéthique est présenté pour la première fois à l’Assemblée nationale. Mais l’ouverture à la PMA en est finalement exclue par les sénateurs et le texte a donc dû repartir pour une nouvelle navette parlementaire. Ce lundi 7 juin, le projet de loi était de retour à l’Assemblée nationale et a finalement été validé par les députés. Prochaine étape : le 24 juin pour un dernier passage devant le Sénat et puis à nouveau à l’Assemblée fin juin.
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, l’ouverture de la PMA semble donc être sur le point d’être tenue. Mais pour s’en assurer et demander une version plus juste et plus égalitaire, des Strasbourgeoises ont décidé de former un cortège dédié lors de la Marche des Visibilités ce samedi et de se réunir derrière le slogan “Lesbiennes unies, lesbiennes en lutte.”
Marie : “C’est frustrant, j’ai l’impression d’être impuissante.”
“En avril dernier, quand les colleuses lesbiennes ont organisé une grande marche à Paris, on s’est dit que ce serait bien de faire quelque chose à Strasbourg. Et même si on n’a pas toutes la même manière de militer, on a décidé de se réunir parce qu’on converge toutes vers plus de visibilité pour les lesbiennes et plus de droits.”
Même si la loi est enfin sur le point de passer, Marie n’est pas satisfaite de la version actuelle, qui a été allégée de plusieurs dispositions : “L’Assemblée est sur le point d’avoir le dernier mot, mais elle a déjà rejeté des choses qui étaient présentes à l’origine dans la loi comme la Ropa [NDLR. La méthode Ropa est une variante du traitement de fécondation in vitro pour des couples de femmes qui veulent avoir un enfant ensemble et participer toutes les deux activement à la grossesse. L’une des femmes est la mère génétique, c’est-à-dire qu’elle apporte l’ovule et l’autre mène la grossesse à terme.]. Mais aussi pour les personnes trans. Donc ça, ce sont des trucs qui nous posent souci. Ce n’est pas logique, on se dit que ce n’est pas possible que seule la moitié des choses passent et que toute une partie des personnes soit mise de côté. Donc voilà pourquoi on a décidé de s’unir toutes ensemble et montrer qu’on est là. Pour dire qu’il y a encore du boulot, qu’il y a des choses qui ne vont pas dans la loi ça fait des années qu’on nous trimbale alors qu’il n’y a pas de raison valable.”
La jeune femme regrette également le manque de connaissances des décideurs sur le sujet : “Ce sont des personnes qui sont hyper éloignées de tout ça qui votent ces lois. Bien souvent, quand je les écoute à la radio en interview, ils ne sont même pas au courant de la moitié de ce qui se trouve dans le texte de loi.”
À travers son expérience personnelle, Marie a eu l’occasion de se retrouver du bon et du mauvais côté de la loi : “Avant, j’étais avec des mecs et je n’avais pas envie d’avoir d’enfant. Donc c’est assez cocasse parce que quand je pouvais, j’en avais pas d’envie. Mais maintenant, je vais avoir 28 ans bientôt et ça me donne envie. Et c’est frustrant quand tu vois que tu ne peux pas vivre ta vie comme tu veux. C’est dingue qu’on en soit encore à se poser la question de savoir si un couple de lesbiennes a le droit d’avoir des enfants. Qu’est-ce que ça peut bien faire aux personnes qui ne sont pas concernées ? Ces gens qui militent contre ne se rendent pas compte qu’il y a des gens derrière et des enfants qui sont déjà là et qui entendent qu’ils n’ont pas de légitimité.”
“Actuellement, si l’autre personne décède ou s’il y a séparation, l’une des deux n’a aucun droit sur l’enfant alors que c’est ta vie, c’est ton enfant, c’est légitime. Il y a beaucoup d’inégalités dans notre société, mais nous, on se bat encore pour faire des enfants, alors que c’est la base de la vie, c’est frustrant, j’ai l’impression d’être impuissante. Donc t’es obligée d’aller dans un autre pays, de faire des pieds et des mains et surtout de payer pour avoir un enfant, c’est dingue. Moi par exemple, j’aimerais faire la Ropa, mais s’ils ne la mettent pas dans la loi, je pense que j’irai quand même dans un autre pays du coup. C’est ok si tu es une femme seule, mais si t’es en couple tu ne peux pas ? Ça n’a pas de sens ! Ce n’est pas normal de devoir faire ça, on ne devrait pas avoir à se poser la question, ça n’aide pas à avoir une société saine et apaisée.”
Noémie : “En France, je ne m’attendais pas à grand-chose de progressiste. Je savais qu’ils allaient la faire passer avec le minimum et ne pas l’élargir le plus possible.”
“Il n’y a pas tant que ça des manifestations qui revendiquent la question lesbienne en France. Et personnellement, ça me donne beaucoup d’espoir que ça se passe dans d’autres villes qu’à Paris comme à Strasbourg. On est dans un contexte où on sort de plusieurs confinements on n’a pas pu se retrouver c’était important de lier à la pride les revendications lesbiennes.”
Même si la loi finit par passer, Noémie estime qu’il reste un long chemin à parcourir pour que les discours lesbophobes disparaissent au sein de l’opinion publique : “Peut-être que la loi va passer, mais que structurellement, dans l’opinion médiatique il y a toujours un relent réactionnaire contre cette loi. Encore ce matin, il y a eu une caricature lesbophobe et humiliante dans Libération, qui se moquait des lesbiennes qui voulaient avoir une PMA et qui risquaient d’avoir un enfant de droite.”
La jeune femme s’étonne aussi que certains questionnements surgissent soudainement lorsque les lesbiennes sont concernées : “Ça fait quand même 40 ans que la PMA est ouverte aux hétéros avec don anonyme et une fois que la question se pose pour les lesbiennes, là on va remettre en question la PMA alors qu’avant on s’en fichait, on ne se posait pas la question du donneur ou de son origine. Actuellement, on remet beaucoup en question l’anonymat du donneur justement et le gouvernement se positionne pour que le donneur ne soit pas anonyme et ça c’est assez dangereux pour l’équilibre des familles lesbiennes. Il ne faut pas imposer une figure qu’on présente comme paternelle alors que c’est juste un donneur et pas un père. Les lesbiennes construisent des familles sans père et c’est ça qui pose problème. C’est inacceptable qu’on en soit toujours aux valeurs traditionnelles de la famille. Et comme nous, on construit des familles en dehors de ces valeurs, on essaie de nous en empêcher.”
Tout comme les autres femmes interviewées, elle confirme en attendre plus de cette loi. Même si elle concède : “En France, je ne m’attendais pas à grand-chose de progressiste. Je savais qu’ils allaient la faire passer avec le minimum et ne pas l’élargir le plus possible.” Et quand on lui demande si elle compte profiter de l’ouverture de la PMA si la loi passe, Noémie semble loin d’en être sûre : “Je suis assez jeune, donc avec ma copine on ne s’est pas encore posé la question. Mais le problème c’est que si la PMA n’est pas gratuite et remboursée par la Sécurité sociale, pour moi, ce serait un frein. Quand on se dit qu’elle ne sera pas gratuite, ça nous amène à réfléchir hyper jeune à savoir si on veut des enfants ou pas. Plusieurs tentatives, ça peut vite revenir très cher. C’est pas normal de devoir se poser cette question là si jeune et tout planifier pour avoir cette somme d’argent. C’est remboursé pour les hétéros, pourquoi ce serait payant pour nous ? Et je pense aussi que si la PMA passe en France de manière incomplète comme ça, si un jour j’ai envie d’un enfant avec ma copine, ce sera peut-être dans un pays dans lequel on pourra choisir un donneur anonyme. Donc je n’envisage pas de faire une PMA en France si la loi passe comme elle l’est actuellement.”
Émilie : “Depuis tout ce temps où on attend, il y a des vies qui ont été bouleversées.”
“Je m’identifiais comme hétérosexuelle jusqu’à mes 29 ans. Jusqu’à ce que je rencontre ma compagne. Donc pour moi, la différence de droits entre les femmes hétérosexuelles et lesbiennes est d’autant plus criante car je suis passée de l’autre côté de la barrière pour ainsi dire. Là, on est dans la dernière ligne droite, mais on l’a tellement été depuis 2013, on a tellement cru que c’était la dernière ligne droite à chaque fois… Le fait que depuis 2013, dans un couple de lesbiennes, l’une ait le droit d’adopter son enfant, mais qu’il faille traverser des frontières pour faire son propre enfant a l’étranger, c’est une aberration.”
Pour Émilie, il s’agit non seulement de se rendre visible, mais aussi continuer le combat, face à une loi qui lui semble incomplète : “L’expérience lesbienne, c’est une expérience d’invisibilité. On n’existe pas dans les représentations. Mais si on a décidé de se réunir, c’est aussi parce qu’on a des exigences qui sont la base de ce qu’aurait dû être cette loi pour les femmes lesbiennes, les femmes et hommes trans et aussi pour les personnes racisées qui n’ont pas été pris en compte quand la loi a été pensée. Toute la partie sur les dons dirigés n’a pas du tout pris en compte qu’il y a des couples avec une femme racisée, qui aurait besoin de ce don de gamettes. On a besoin d’une campagne pour le don de sperme et d’ovocytes.”
Ce qu’Émilie pointe ici, c’est le principe d’appariement. Il prévoit qu’un couple de femmes noires reçoivent un don de la part de donneurs qui disposent des mêmes caractéristiques physiques, autrement dit de la même couleur de peau. Mais les dons de personnes noires étant moins nombreux en France, les temps d’attente seront donc beaucoup plus longs pour les personnes noires. Un problème qui se pose aussi aux couples mixtes avec une femme noire et une femme blanche.
Pour elle, cette marche, c’est donc l’occasion de “montrer aux députés et aux sénateurs qui s’apprêtent à réexaminer ce texte ce dont on a besoin et leur redire ce qui manque dans ce texte de loi. Depuis tout ce temps où on attend, il y a des vies qui ont été bouleversées. Moi j’ai 29 ans donc ça va encore, mais à l’heure actuelle, si elle n’était pas avec moi, ma compagne aurait dû faire une croix sur le fait d’avoir un enfant. C’est vraiment une question de discrimination. Il faut être hétéro pour avoir un don de sperme, c’est quand même absurde !”
Marche des Visibilités
Samedi 12 juin
Départ 14h30 place de l’Université à Strasbourg