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Strasbourg : un avant-goût du passé

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Les premières fois restent gravées à jamais dans nos mémoires. J’avais cinq ans, lorsque je ressentis pour la première fois un sentiment amoureux ou du moins quelque chose qui s’en rapproche, une espèce de boule de feu sous la poitrine, un fourmillement inexpliqué qui m’agitait de l’intérieur, une obsession partiellement étouffée la nuit, puisque même là, Marie s’emparait de mes rêves. Au réveil, j’étais toute chose, en sueur, excité à l’idée de passer mes journées en sa compagnie à l’école primaire Sainte – Aurélie.

Ce fut un tourbillon de sentiments pour adulte que je ressentais avec mon âme d’enfant à chaque fois que nos chemins se croisaient, que sa voix raisonnait dans la salle de classe, comme un rayon de soleil réconfortant au milieu d’un bac à sable mouvant. Cette sensation nouvelle de ne jamais cesser de penser à une personne, de ne jamais réussir à se sortir un visage de la tête, reste pour moi la plus belle des découvertes.

Je respirais naïvement pour elle, cherchant mes mots dans un ineffable émoi, sentant des transformations secrètes et inavouées parce que trop bouleversantes, parce qu’à cet âge innocent, les remous s’emparaient de moi pour me projeter contre des rochers qui s’entêtaient à rester muets face à mes questions, et des questions au sujet de Marie, j’en avais des centaines. Le cœur d’un gamin est grand et les expériences s’y déversent en cascade dans une gaîté simple qui étonne, qui surprend, qui amuse le monde parfois, par cette absence de sérieux, cette faculté de parler sans filtre, d’aller là où il y a de la vie, dans les caprices, les colères, l’exubérance ou des mots sans détour qui sortent de bouches aux moustaches à la confiture de fraises.

Pour mon filleul, l’amour, c’est des câlins et des bisous. C’est des amoureux qui dansent sur une chanson toute lente qui passe à la radio. C’est tout simplement quand on s’aime parce que les amoureux qui s’aiment ont le droit de s’embrasser sur la bouche. Ça peut être deux garçons ou deux filles, un petit avec un grand, un noir et un blanc, une personne debout avec une fille en fauteuil roulant. C’est se marier, mais parfois divorcer aussi parce que l’un des deux crie toujours sur l’autre quand il lui parle ou lorsque le papa ne veut jamais faire la vaisselle. C’est quand tu dors avec ta chérie et que parfois un bébé pousse dans son ventre comme une laitue ou des haricots verts. C’est un cœur gonflé comme une montgolfière. C’est comme ouvrir un super cadeau de Noël, mais un million de fois plus beau qu’une Nintendo DS.

Au CE1, j’ai tenté d’écrire une lettre à Marie, pour coucher mes sentiments sur une feuille de papier à petits carreaux maladroitement taillée en forme de cœur. C’était moins intimidant et je pouvais laisser parler mon imagination afin de lui donner le moment venu.

Marie,

Je t’aime. Tu n’es pas belle, tu es pire que ça. Depuis le premier jour, je suis amoureux de toi. Je n’arrive plus à apprendre les dictées à cause de toi. Je t’aime plus que mes parents, je crois, même si je les aime déjà vraiment beaucoup. Je ne t’oublierai jamais, et même si tu ne m’aimes pas, que tu préfères Arnaud (c’est vrai qu’il est beau et ça me soûle) et que je ne suis qu’un super pote, moi, je t’aimerai toujours parce que tu es la fille que je préfère dans tout l’univers. Il faudra peut-être qu’on se marie un jour toi et moi, peut-être après le collège ou avant, je ne sais pas encore si mes parents seront d’accord, mais moi, je suis prêt. On a le temps d’y réfléchir. Entoure ta réponse :

Est-ce que tu m’aimes ?: OUI                                                            NON

Marie a déménagé précipitamment à la fin du mois de mai. Personne n’était au courant. Son père a été muté quelque part dans le Nord de la France. Je n’ai jamais pu lui donner cette lettre que j’ai soigneusement conservée dans une boite à chaussures pendant des années, espérant qu’elle refasse une apparition à Strasbourg. Je garde un souvenir indélébile de notre dernière partie de jeu devant la maison de mon grand-père à Cronenbourg. Ma mère parlait avec la sienne. J’étais le loup, tentant de la toucher pour qu’elle le devienne à son tour, à bout de souffle, pouffant de rire à chacune de mes tentatives manquées, heureux comme un fou qui ne sait pas encore qu’après l’enfance, arrivera  l’âge adulte.

Il me restait encore quelques années pour me lover dans les bras de croyances rassurantes.

Les billets sortent automatiquement des distributeurs. Les feux passent au vert uniquement par la pensée. Les bébés naissent dans des choux ou sortent par les mollets. Un arbre pousse dans l’estomac si on avale un noyau de cerise et les branches finissent par sortir par les oreilles. Il est possible de savoir si quelqu’un aime le beurre en plaçant un bouton-d’or sous son menton. On voit la vie en bleu si on a des yeux bleus. Le lait est de l’urine de vache. La petite souris est la même que celle de Tom et Jerry. Les étoiles sont fixées dans le ciel avec de la colle UHU. On reste coincé jusqu’à la fin des temps si on s’amuse à loucher trop longtemps. La baignoire aspire les enfants avec l’eau du bain. Les poules pondent des œufs en chocolat à Pâques. Les épinards font gonfler les bras. Tous les matins, un marin jette du sel dans la mer pour qu’elle garde son goût iodé.

Les premières fois restent à jamais gravées dans nos mémoires, et aujourd’hui, c’est un peu mon dépucelage, avachi à la terrasse du Molly Malones, attendant d’être rejoint par une bande d’amis(es) après plusieurs mois d’abstinence festive.

La pluie se met à tomber, mais rien ne pourra m’arrêter. L’amertume de la Guinness qui glisse dans ma gorge. Entre le café et le houblon. Un arrière-goût du passé, de ce temps où les gens parlent trop fort, désinhibés par l’alcool, où les regards séducteurs se cherchent et débusquent des sourires qui terminent une partie de cache-cache derrière un masque tâché de houblon.

Le serveur peine à retrouver ses marques, mais assure comme si nous nous étions quittés la veille.

Ici, c’est un peu le copain à qui on n’a pas pu se confier pendant des mois. Des propos directs, tendres, des balles perdues qu’on attrape avec les fossettes, se débarrassant des conventions sociales, de sa couche d’hypocrisie ou de timidité. Un lieu d’intérêt public où se retrouver, être ensemble à refaire le monde, une binouze à portée de bouche, animés à nouveau par le feu sacré, parler de banalités à des inconnus(es), être optimistes, se dire que peut-être le pire est derrière nous, onduler, respirer, ressentir un élan de vie, apprécier, prendre le temps, savourer, humer le bordel ambiant, se sentir déboussolés, se perdre à plusieurs, bouger nos corps et recommander.

Elle est pour moi celle-là. Tournée générale d’amour et d’amitié.

Les White Stripes fredonnent Seven Nation Army. Un type dégarni trinque avec moi depuis la table sur ma gauche. Cette première fois en annonce d’autres. Je me réjouis d’avance à cette idée, fermant les yeux, mes mains derrière la nuque, l’espace d’un instant, libre comme au CE1.

Marie ne devrait plus tarder maintenant. J’en suis persuadé.

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