Aux États-Unis, comme à Strasbourg, la médiatisation des violences policières aura permis ces dernières semaines de mobiliser largement autour de la lutte antiraciste. Manifestations, prises de parole, propos racistes de policiers dévoilés dans la presse, ou encore le #BlackLivesMatter, l’actualité du combat est mis sur le devant de la scène et beaucoup y sont davantage sensibilisés. Et pour ceux qui souhaiteraient dès à présent s’engager, il est parfois difficile de savoir comment s’investir concrètement. Heureusement, à Strasbourg, le tissu associatif est riche et beaucoup de structures luttent quotidiennement pour changer les choses.
À Strasbourg, de nombreuses associations et collectifs sont engagés depuis bien longtemps et luttent tout au long de l’année contre le racisme. L’occasion ou jamais de s’intéresser à leurs actions qui permettent, à leur échelle, de faire bouger les lignes.
Intervenir auprès du jeune public
L’antenne strasbourgeoise du MRAP comme la Licra interviennent en milieu scolaire, pour sensibiliser dès le plus jeune âge, aux questions liées aux racismes et aux discriminations. “Nous intervenons dans les collèges dans les lycées du Bas-Rhin à partir de trois courts-métrages qui sont montrés aux élèves et à partir desquels nous débattons ensuite. L’un permet de parler des discriminations liées à l’origine, un autre est destiné à faire débat sur les questions de religion et le dernier aborde les préjugés qui existent dans le football vis-à-vis des noirs et des Maghrébins.” explique Alfred Zimmer, membre et trésorier du MRAP à Strasbourg. L’année dernière, l’association aurait touché près de 210 lycéens et 310 collégiens. Et pour le trésorier engagé depuis maintenant dix ans, orienter les actions vers le jeune public est indispensable : “Les jeunes représentent l’avenir. Ils sont à un âge où ils se cherchent, donc c’est important qu’ils aient un autre point de vue que celui strictement scolaire.”
Dans les classes, la Licra aussi s’appuie sur des films pour susciter le débat. Et l’un des sujets les plus abordés ces dernières années est sans doute le combat contre les discours de haine sur les réseaux sociaux. Nombreux sont ceux qui ressentent un sentiment d’impunité sur les réseaux d’après Fabielle Angel, la présidente de la Licra Bas-Rhin, alors que ces actes sont pourtant bien punis par la loi. Quant aux retours des élèves, elle explique que plus ceux-ci sont âgés, plus il est dur de discuter avec eux s’ils ont déjà des bases xénophobes ou racistes. Bonne nouvelle toutefois, chez les plus jeunes, la situation ne semble pas s’être empirée. Même s’il y a toujours débat : “C’est souvent lié à l’incompréhension, il y a toujours ce questionnement lié aux religions, sur la laïcité par exemple. On a le droit de critiquer mais pas injurier. Comprendre les concepts, ce n’est pas facile.” Depuis dix ans Fabielle relève peut-être une nouveauté : la mise en avant du conflit israélo-palestinien comme justification à un discours raciste : “Les questions qu’on a le plus souvent c’est vraiment par rapport aux racismes contre les religions. Le conflit israélo-palestinien, les gens s’en servent comme base d’un racisme déguisé alors on essaye de leur expliquer que le problème entre Israéliens et Palestiniens ne doit pas être un problème entre juifs et musulmans.”
Apporter une aide juridique et favoriser l’accès aux droits
De l’accueil des personnes étrangères, à l’accompagnement administratif et juridique, en passant par les ateliers sociolinguistiques pour apprendre le français, la Cimade Strasbourg intervient de diverses manières pour soutenir les personnes étrangères et faire d’une part respecter et d’autre part évoluer, les droits des concernés. Pour Françoise Poujoulet, déléguée national de la Région Grand Est, le combat mené par l’association est intimement lié à la lutte antiraciste : “Il s’agit de faire évoluer les mentalités, de changer les regards que les personnes ont sur ce public-là. Souvent, c’est un regard enfermant, discriminant, stigmatisant et on essaie par nos actions de contredire ces préjugés. La lutte contre le racisme, c’est vraiment faire évoluer les mentalités et donc avant tout, juste de se rendre compte que l’autre n’est pas différent de soi et qu’on a tous les mêmes aspirations.” Pour Antonio Gomez, membre de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici, la lutte antiraciste englobe aussi la question des camps à Strasbourg, l’entraide aux personnes sans papiers et aux sans-abris: “Par exemple à Strasbourg, il y a pas mal de migrants et SDF qui se retrouvent pour le moment dans des hôtels et qui, à partir du 31 juillet vont être remis à la rue. Ce sont plus de 1000 personnes qui vont se retrouver dans la rue. Il y a aussi des squats, comme l’Hôtel de la rue ou le Squat Bugatti, qui risquent d’être fermés.”
L’aide juridique peut également être utile aux victimes d’insultes racistes ou de discriminations. Voilà pourquoi la MRAP et la Licra accueillent les victimes et proposent leur aide pour les démarches, en mettant à disposition un avocat pour les conseiller, voir les défendre, ou encore en se portant partie civile aux côtés des victimes au cours des procès. Même si, malheureusement, très peu d’actions aboutissent en réalité : “Beaucoup de gens nous contactent pour se plaindre de discriminations mais il faut des preuves, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir, donc c’est difficile de mener une action en justice. Et puis beaucoup se disent aussi que ce n’est pas la peine donc il ne se plaignent pas. Les cas qui aboutissent sont rares.” précise Alfred Zimmer, qui ajoute que le MRAP distribue aussi des dépliants qui font office de mode d’emploi, en cas d’insultes ou d’actes discriminatoires à destination des victimes ou des témoins.
Sensibiliser à travers le sport et les événements culturels
Avec un groupe dédié au travail sur les solidarités internationales, la Cimade organise tout au long de l’année des interventions et des débats dans des festivals. Pour le festival Migrant’scène, dont la prochaine édition est prévue en novembre 2020, Françoise Poujoulet annonce que les membres de l’association vont travailler avec des personnes migrantes sur le thème de la résistance. “C’est un sujet d’actualité pour nous qui travaillons dans le droit des étrangers et c’est aussi un thème qui touche les personnes sous le coup de ces lois avec des parcours migratoires difficiles. On travaille sur ces thèmes-là et on présente au public le résultat des ateliers théâtre qu’on fera. Une des façons de lutter contre le racisme, c’est aussi tout simplement de faire des choses ensemble, et on se rend compte qu’on n’est pas si différents.”
De son côté, la Licra est à l’origine du ciné-club “Les écrans de la fraternité”, qui propose chaque mois, un film sur le racisme et les discriminations à découvrir à l’Odyssée. À l’occasion, les films sont également projetés dans d’autres lieux comme des centres sociaux culturels dans différents quartiers strasbourgeois. Mais l’association croit aussi au pouvoir de cohésion et coopération dans la pratique sportive. Elle a créé à Strasbourg le Sporting Strasbourg Futsal, une équipe de futsal qui concilie sport et actions éducatives et citoyennes, afin de combattre toutes les formes de discriminations.
S’engager à Strasbourg
Si de nombreuses associations et collectifs sont présents à Strasbourg, le constat est le même pour chacun des membres interrogés : le manque de moyens financiers mais surtout humains limitent leurs actions. “Même si beaucoup de choses sont faites,on manque de bénévoles. C’est toujours pareil, il faut du monde. On a 150 adhérents, mais même pas une vingtaine de bénévoles actifs. Le bénévolat, ça n’attire pas beaucoup. Les associations sont présentes, mais on n’est pas assez nombreux sur le terrain.” indique la présidente de la Licra Bas-Rhin.
Membre de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici, Antonio Gomez reconnaît lui-aussi que le tissu associatif strasbourgeois est particulièrement important, comparé aux autres villes françaises. Mais si les structures sont parfois limitées dans leurs actions, c’est dû au blocage de la Ville elle-même : “Le problème, c’est le blocage de la ville de Strasbourg malgré le fait qu’elle se réclame humaniste. Quand par exemple il n’y a pas de point d’eau dans les camps, des personnes qui n’ont pas accès aux soins ou encore au niveau des papiers. Si les institutions municipales et préfectorales étaient capables d’aider ces personnes au niveau des papiers, ça réglerait déjà ce problème. Et il aurait une vie digne, un appartement, une douche, etc. La question du logement c’est très important, un toit est un toit.” Tout au long de l’année, le rôle de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici c’est aussi d’interpeller les pouvoir publics pour qu’ils agissent en faveur de ces populations en difficulté : “Il faut des actes et régulariser et accueillir dignement ces gens, car ils ont une histoire. Ils ont traversé des mers, ce sont des gens qui ont souffert, ce sont beaucoup de morts et la moindre des choses pour le pays des Droits de l’Homme, c’est de les accueillir et de les écouter, c’est ça qu’on demande et pas plus.”
Alors à ceux qui souhaiteraient, à la lumière des récentes mobilisations, ou depuis bien longtemps, s’engager dans la lutte antiraciste, les associations rappellent que leurs portes sont ouvertes à toutes et à tous. Pour Antonio Gomez, de l’association D’ailleurs nous sommes d’ici, chacun doit mener son cheminement personnel, car l’engagement est une évolution qui se fait par étape. Et il peut commencer par de petits gestes simples : “Quand on voit des familles dans la rue, ça peut être de les renseigner sur le fait qu’il existe des associations, comme la Cimade par exemple qui peuvent leur venir en aide. Ou encore les conduire aux Restos du Cœur.” Alfred Zimmer du MRAP, conseille lui d’être présent aux manifestations qui ont lieu actuellement, et de les contacter afin de découvrir les actions menées par le mouvement. Quant à Fabielle Angel, elle se félicite des arrivées de jeunes adhérents à la Licra du Bas-Rhin, qui se font rares dans le milieu des associations antiracistes strasbourgeoises : “Dans les associations, on trouve beaucoup de personnes à la retraite, plus âgée et très peu de jeunes. Mais ces deux dernières années, on a beaucoup plus de jeunes qui viennent. Soit en tant que stagiaire, soit pour faire un service civique, parce que je crois que c’est le seul moyen pour s’engager. De venir sur le terrain, voir comment cela se passe, pour que ce combat devienne le leur. Moi, j’ai toujours été militante et je reste persuadée que c’est le meilleur moyen de se battre contre l’inégalité.”
L’importance des alliés.es et l’universalisme
La position du MRAP est claire selon Alfred Zimmer : “On dénonce un racisme systémique.” et pour lutter contre, il est fondamental de combattre toutes les formes de racismes et de discriminations, sans exceptions. Pour la Licra aussi, il faut combattre les racismes quels qu’ils soient : “Il faut faire comprendre qu’il faut exercer ce droit humain pour toutes et tous.”
Mais la présidente de la Licra Bas-Rhin tient aussi à rappeler que l’association est très ferme : “Il ne faut pas, en réponse au racisme, sombrer dans le radicalisme et le communautarisme. Parce que, c’est le risque en ce moment, mais le combat antiraciste est universaliste. On est tous égaux devant les droits humains. Le repli identitaire est compréhensible, mais il ne fait pas du bien au combat.” Fabielle Angel pointe par là l’importance du rôle d’allié.e dans la lutte antiraciste, qui ne doit pas se restreindre aux personnes directement touchées : “Il y a cette tendance, pour les noirs à défendre les noirs, les juifs à défendre les juifs, etc. Mais ce n’est pas parce qu’on est blanc, qu’on ne peut pas être antiraciste. C’est ça l’universalisme, il faut tous ensemble, combattre la haine de l’autre.”