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Stolpersteine à Strasbourg : les pavés qui ravivent l’histoire des victimes du nazisme

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Il fut un jour de 2019. Un jour comme les autres où j’allais de bon matin, aux alentours de 13h, acheter mon pain à la boulangerie du quartier quand mon regard fut attiré par quelque chose de doré sur le trottoir. Ce doré provenait de pavés qui dénotaient, tant par la forme que par la couleur, sur ce trottoir au dallage ondulant. J’étais certain qu’ils n’étaient pas là avant. Je dompte ma souplesse légendaire et me penche pour les voir de plus près. Je constate alors qu’il y a des inscriptions gravées dessus. Je lis : Ici habitait Esther Schenkel / Née Zilberman / Née 1898 / Internée Drancy / Déportée 1944 / Auschwitz / Assassinée 18. 4. 1944. Je souris un peu moins et comprends de suite à quoi j’ai affaire car le propos est on ne peut plus clair : un mémorial pour une victime de la Shoah. À côté sont gravés sur les autres pavés les noms de ce que je présume être son mari, fusillé quelques jours avant elle, et leurs cinq enfants, tous morts à Auschwitz le même jour – je suppose dès leur arrivée.

Pour autant, ma surprise est grande. Un pavé mémoriel ? Sur un trottoir dans la rue ? J’étais parti chercher une baguette, je reviens un peu tourneboulé et surtout interloqué. Peut-être que vous aussi, vous en avez vus en vous baladant dans les rues strasbourgeoises. Alors si comme moi vous avez été surpris et ignorant, voici l’explication.

Ces petits pavés en béton de 9,6cm de côté recouverts d’une plaque de laiton gravée sont ce qu’on appelle des stolpersteine, des « obstacles » en allemand ou plus littéralement des « pierres d’achoppement ». Mais on pourrait traduire plus justement par « des pierres sur lesquels on trébuche » – non pas d’ailleurs parce qu’elles dépassent du sol mais parce que notre regard trébuche dessus comme le mien l’a fait un matin par hasard. Car elles sont bien là pour attirer notre regard, notre attention, notre curiosité. Elles marquent en fait le dernier domicile de victimes du nazisme, le plus souvent déportées dans des camps de concentration ou d’extermination. Avant son évacuation en Dordogne et son assassinat, au 6 rue de Barr vivait donc une famille, la famille Schenkel.

les cinq enfants de la famille Schenkel (source: site de l’association Stolpersteine67)

Cette manière de se souvenir qui peut paraître étonnante pour nous français qui avons l’habitude des monuments, des stèles ou des plaques, nous vient d’Allemagne. En effet, il y a en a des milliers dans plusieurs centaines de villes outre-Rhin. Mais aussi dans une vingtaine d’autres pays européens et même en Argentine. On en compte entre 70 et 80 000 dans le monde. L’idée et la réalisation ne tient pourtant qu’à un homme : Gunter Demning, qui a entamé cette vaste entreprise de mémoire à Cologne en 1992 pour commémorer les cinquante ans du Décret Auschwitz, d’abord de façon illégale avant que son projet ne soit officiellement reconnu à partir de 2000.

crédits: Gunter Demnig par Claude Truong-Ngoc en avril 2019

Les premières en France ont été scellées en 2013 en Vendée. Commémorant toutes les victimes du nazisme, des stolpersteine ont aussi été posées pour des Roms, des Sinti, des communistes, des membres de la Résistance, des homosexuels, des handicapés, des Témoins de Jéhovah ou des chrétiens opposés au régime nazi. Elles sont toutes fabriquées à Berlin par le sculpteur Michael Friedrichs-Friedlander.

Gunter Demning  était d’ailleurs présent le 1er mai 2019 à 15h pour sceller les premiers stolpersteine de Strasbourg – qui étaient justement ceux de la famille Schenkel rue de Barr. Une vingtaine ont été posés ce jour-là dans six endroits de la ville, parfois en présence de descendants des victimes.

Gunter Demning lors de la pose des pavés à Strasbourg en mai 2019 (crédits: Jean-Christophe Dorn pour les DNA)

Dans le Bas-Rhin, cette démarche a été rendue possible grâce à l’accord de la mairie et aux recherches menées par l’association Stolpersteine67 présidée par Fabienne Regard. Cette association mène les recherches biographiques (notamment aux Archives de la ville) afin de pouvoir graver sur le pavé les informations les plus précises possible et restituer un destin. À Strasbourg, près de 900 juifs ont été déportés et tués et l’objectif de l’association est de se souvenir de chacune de ces personnes. Certaines stolpersteine sont parrainées, parfois même par des collégiens ou des lycéens qui participent aux recherches, leur conférant ainsi une dimension pédagogique.

Comme je le disais plus haut, le procédé peut surprendre. D’ailleurs le Consistoire Israélite du Bas-Rhin a longtemps hésité avant de donner son accord. Certains peuvent avoir en effet quelques réticences à l’idée que des gens (ou des chiens) puissent marcher dessus, foulant en quelque sorte la mémoire des victimes. Mais l’idée de réintégrer ces personnes déportées à l’espace urbain dans lequel elles vivaient – et donc de ne pas cantonner leur mémoire dans des lieux spécifiquement dédiés au souvenir, me semble intéressante. En tout cas, elle a fonctionné avec moi puisqu’elle m’a poussé à en savoir plus. Ces pavées de mémoire, outrent qu’ils ancrent le souvenir dans une réalité tangible, l’individualisent aussi en le sortant de l’anonymat de la destruction de masse et, dans le cas de la rue de Barr, il est saisissant de voir ces sept noms côte à côte. Nathan 48 ans, Esther 46 ans, Cécile 13 ans, Isaac 12 ans, Jacques 10 ans, Maurice 8 ans et Alfred 6 ans. On imagine plus facilement la famille telle qu’elle a pu l’être avant de basculer dans la tragédie. Idem pour la famille Loeb dont voici les portraits:

La famille Loeb (source: site de l’association Stolpersteine67)

D’autres aussi peuvent être circonspects à l’idée que Gunter Demning se réserve l’exclusivité de la conception et de la pose de stolpersteine dans le monde, créant ainsi une sorte de privatisation, voire de marchandisation, de l’acte mémoriel. Je n’ai pas d’avis sur ce point. Il n’en reste pas moins que de le voir se déplacer en personne pour poser les pavés qu’il a lui-même imaginés est plutôt un acte fort. Surtout quand on sait que son père a servi dans le Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale au sein d’unités tristement célèbres…

Une chose est sûre, en ces temps où les actes antisémites et profanations de tombes sont nombreux dans le département, il apparaît plus que sain de se souvenir encore et toujours. Cela peut demander quelques efforts – on peut en effet parfois être lassés de l’attention que cela demande, mais l’humanité se préserve à ce prix.

Appendice: Depuis la découverte des pavés rue de Barr, je suis donc parti à la recherche des autres posés à Strasbourg. En voici la liste. Si elle n’est pas exhaustive, n’hésitez pas à me le signaler. Une autre phase de pause est prévue en avril 2020.

6 rue de Barr: famille Schenkel
19 boulevard Clemenceau: familles Brunschwig et Marx
5 rue Strauss-Durkeim: Théodore Ackermann
28 rue Schwilgué: famille Loeb
17 boulevard Tauler: Jeanne Bloch et Marcel Alexandre
5 rue des Cordonniers: Abraham Lipszyc

Pour en savoir plus :
site de Gunter Demning :
http://www.stolpersteine.eu/en/home/
site de l’association stolpersteine67
http://www.stolpersteine.lautre.net/wp/
Livret de l’exposition réalisée par l’ORT Strasbourg à l’occasion de la Journée Internationale dédiée la Mémoire de la Shoah et à la prévention des crimes contre l’Humanité du 27 Janvier 2019 :
http://www.stolpersteine.lautre.net/wp/docs/EXPO%20et%20FASC%20-%20Stolpersteine%20WEB.pdf

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Commentaires (2)

  1. super, j’ai appris quelques chose.
    Méthode originale, qui peut surprendre, mais avec un peu de curiosité et de culture, pourquoi pas ?
    C’est un phénomène mondial, en 2018, 69 000 stolpersteines recensées. Les premières à bordeaux en 2016.
    voir https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2018-3-page-104.htm#
    Bravo pour l’originalité du sujet, qui plus est très important pour la mémoire de notre société.
    Une idée m’est venue, un reportage photo sur les stolpersteines en France ??!!
    Eric

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