Bienvenue sur le site de Pokaa.fr

Votre navigateur est obsolète.

Merci de le mettre à jour pour voir le site correctement

Mettre à jour

Recherche

Lance une recherche dans les articles ou vidéos parmi l’ensemble des publications de Pokaa.

Publicité

Strasbourg : la plume de minuit

1.3k Lectures
Publicité
Publicité

Chaque chose a une fin sauf la banane qui en a deux.

Mon ami médecin s’est fait contrôler par la sécurité sociale. Le verdict est sans appel : trop d’arrêts maladie délivrés suspicieux. Je dois me résoudre à retourner travailler le deux janvier alors que mon esprit n’est pas prêt, lui. Porter son fardeau est une chose mais devoir écouter celui de ses collègues toute la journée derrière un ordinateur en créant des tableaux croisés sur Excel, c’est de la torture.

Guantanamo avec RTT et des congés payés.

La veille, je tentais de me persuader que tout allait bien se passer, que ce coup de blues de fin d’année n’était que passager et que j’arriverais progressivement à rentrer dans le moule en redevenant le robot que j’étais auparavant.  Je ne dois plus réfléchir mais me laisser porter par le chemin tout tracé de la vie, c’est Raël ma psy qui me l’a dit en prenant ma carte bleue.

31/12/19  –  23H54

Je jette une balle de tennis contre le mur de ma chambre. Elle ricoche et disparaît dans la cuisine.  E.T est occupé à jouer à la Xbox One parce que personne ne me retourne la balle. Steven Spielberg ne m’a pas inclus dans son scénario. Je suis pourtant prêt pour le rôle de toute une vie.

N’aie pas peur Steven. Appelle-moi. Balance-moi des monstres, des frissons, une héroïne sexy, un flingue et un générique de fin d’une cinquantaine d’années. Un second rôle même, de quoi tenir jusqu’à la retraite derrière un bureau, 35 heures par semaine – un labrador – un monospace acheté à crédit – une femme ni moche, ni belle – des gosses ni voulus ni accidentels -une vie ni subie ni choisie. Une suite de « ni » c’est toujours mieux que “rien”.

Steven est un lâche, aucun appel de sa part.

Les lumières de l’immeuble d’en face, lucioles accrochées aux plafonds qui mettent un peu de féerie aux cadres glauques des fenêtres.

J’aperçois la voisine du premier qui coupe un oignon comme un robot programmé pour trancher tout ce qui lui passe entre les mains. J’ai peur pour ses phalanges. Elle pleure. Réaction chimique à l’oignon certainement. Elle jette le tout dans une cocotte très chaude qui fume instantanément. Elle se tient la tête entre les mains.

 L’oignon est dans son cœur. J’imagine l’haleine de son âme.

Son mascara coule, laissant une trace noire sur ses joues. Elle tremble et s’appuie contre le rebord de la table à la nappe lustrée comme si sous ses pieds s’étendait un précipice sans fin. Elle se lève d’un bond pour éteindre la gazinière puis s’approche de la fenêtre. Ses yeux rouges irrités se reflètent dans la vitre. Je peux la voir sans qu’elle ne me voit.

Je peux sentir sa tristesse, cette envie d’invisibilité – ses mains froides – cette peur d’être seule au monde dans cet appartement  minuscule de la Rue du travail dont les murs rétrécissent à chaque seconde qui passe.

Dans la pièce d’à-côté pourtant, ses enfants chahutent à coups de polochons, à bout de souffle, à rire à s’en péter la mâchoire. Une plume enivrée  termine son vol paisiblement  sur le nez du plus jeune au pyjama Spiderman. S’ensuit un enchaînement de chatouillis, de prises de catch, de parties de foot avec une boule de papier cadeau entourée d’adhésif brun.

Un mélange de sueur et de Malabar à la fraise.

L’enfance insouciante et heureuse où la principale préoccupation est de savoir s’il y’aura des spaghettis bolognaises ce soir et ce qui passe à la télé.

Tout cela, derrière sa fenêtre pleine de buée, elle ne peut pas le voir. Elle s’avance pour l’ouvrir, fébrile, fiévreuse, essuyant son nez qui coule sur le début de sa lèvre supérieure. Ce n’est pas la grippe. C’est autre chose. Elle fixe le sol comme hypnotisée et respire profondément pour se donner du courage et rejoindre ses lutins qui commencent à la demander, le ventre gonflé au Champomy.

En bas, les voitures klaxonnent dans l’indifférence générale. Strasbourg fait la sourde oreille ce soir.

Dans quelques secondes, nous serons en 2020. Ça se voit au nombre de bouteilles de champagne encore pleines comatant sur les balcons et aux illuminations des premières fusées impatientes.

Ground Control to Major Tom,
Ground Control to Major Tom,
Take your protein pills and put your helmet on,
Ground Control to Major Tom (ten, nine, eight, seven, six),
Commencing countdown, engines on (five, four, three),
Check ignition and may God’s love be with you (two, one, liftoff).

BONNE ANNÉE. Roulage de pelles. Herpès et vomi dans l’évier. ET SURTOUT LA SANTÉ, en tirant sur une clope, le foie gras légèrement cirrhosé.

01/01/20  –  9H17

Le son criard du réveil brisa cette vision psychédélique par le crachat quotidien de mauvaises nouvelles sur France Inter. Attentats – Boucherie en Syrie – Accidents de la route – Crash d’avion – Grève à la SNCF – Doigts arrachés par des pétards dont la puissance n’a rien à envier aux explosifs d’Al Qaida.

Bienvenue en enfer.

Je mets du temps à sortir les pieds de mon lit, comme si le parquet était devenu une banquise fragile  sous laquelle je risque de sombrer sans pouvoir remonter à la surface. Mon phoque Mon chat scrute ma démarche de pingouin d’un œil amusé. Je me traîne jusqu’à la douche pour me savonner, sans conviction, comme un gamin de cinq ans qui traîne pour ne pas aller à l’école un jour de dictée. L’eau brûlante me réconforte un peu, caressant ma nuque raidie par un traversin dont même un tétraplégique ne voudrait pas. Je me rase, ou plutôt je taille le bonsaï qui fait office de barbe. Dans le reflet de  la glace, des bouts de sparadraps imbibés de sang sur tout le visage me narguent.

Un champ de coquelicots au milieu d’un Picasso.

Je n’ai pas faim. Je ne mange jamais le matin. Héritage familial d’une mère dont le petit-déjeuner se résume à un café noir sans sucre et une Gitane.Une méthode qui a fait ses preuves pour ne pas prendre de poids et choper un cancer.

En caleçon,  je scrute  l’immeuble silencieux d’en face. J’espère secrètement revoir l’inconnue aux larmes d’oignon d’hier soir. Je me raccroche à cette énigme aux cheveux bouclés. Elle est un fantasme apaisant, une ouverture sur un autre monde, un pot de Nutella caché dans le placard  secret de mon imaginaire. Je ne sais rien d’elle, mais pourtant j’ai cette sensation qu’elle m’a vu et que nous nous comprenons.

La nuit fût courte et agitée. Des spasmes dans les jambes, des perles de sueur ruisselant sur mon front comme si je venais de faire un cauchemar éveillé. Couché sur ce matelas qui fracassait mes vertèbres, je scrutais le plafond, n’arrivant pas à trouver la sérénité nécessaire pour fermer les yeux. Se mit en route une succession de pensées incontrôlables rythmées par la goutte d’eau qui s’écoulait lentement du robinet mal fermé de la cuisine. Le métronome des tergiversations.  Des figures macabres brisèrent les ténèbres de cette nuit trop calme,  se projetant aux murs de ma chambre sous l’effet du va-et-vient de quelques éméchés matinaux. Des questions farfelues condamnèrent mon esprit à errer sur la planète Insomnia.

Chaque interrogation commence toujours de la même façon. « A cet instant précis, combien de personnes… » et trouve sa fin dans l’infini de possibilités de mes cogitations nocturnes « font l’amour ? », « n’arrivent pas à dormir ? », « pleurent ?», « rient », « doutent », « se sentent heureux », «accouchent », « vomissent », « se posent la même question que moi ? ».

C’est un sentiment biscornu que d’être dans son lit, la nuit de la Saint-Sylvestre à se dire qu’une partie de l’humanité vit des moments merveilleux alors que l’autre souffre dans l’indifférence la plus totale. Je ne parle pas en langage Miss France, affirmant naïvement que la guerre c’est mal et que dans un monde idéal les enfants blancs, noirs, jaunes, violets font du poney ensemble, cheveux au vent,  en criant le mot « liberté » les bras levés au ciel.

UNITED COLORS OF RÉVEILLON

Je ne parle que du quotidien. Des bonheurs et de malheurs personnels. Des accidents de vie. Du mari qui bat sa femme. D’un divorce qui tourne mal ou d’un coup de fil des pompiers en pleine nuit.

Désolé Géneviève de Fontenay. Pendant que j’y suis, le Père Noël n’existe pas et la petite souris n’était que la main poilue de ton père qui déposait une pièce de deux francs sous ton lit pendant que tu dormais.

Dehors, les affiches publicitaires placardées sur les abris de bus reprennent leur droit.

TRUMAN SHOW. Mon monde n’est pas fait de créatures botoxées en nuisettes se languissant sur un canapé en cuir, parfaitement maquillées sept jours sur sept ou d’hommes greffés à leurs voitures de marque allemande, conduisant en slips-kangourous, épilés, les dents plus blanches qu’un paquet de lessive, un brushing parfait allant de pair avec des carreaux de chocolats brillants comme des jantes étoilées.

Ma planète ne ressemble pas à cette ataraxie marketing mais d’avantage à une fourmilière paradoxale. Des privilégiés qui mangent du homard alors qu’ils n’aiment pas ça tout en haut et les autres, en bas, qui se tranchent les doigts en tentant d’ouvrir une boite de thon premier prix.

Sur la table basse, un magazine ouvert sur un article canadien.

“LE GASPILLAGE DE TOUTE UNE VIE”

Je constate qu’en travaillant huit heures par jour à raison de cinq jours par semaine jusqu’à l’âge légal  de la retraite qui atteindra les 70 ans en 2050, j’aurai passé 99 200 heures derrière un écran à faire des graphiques aux couleurs militaires, 23 214 heures à faire la lessive, seulement 115 jours à rire et 9 heures et 18 secondes à jouir, 795 heures à regarder du foot, 653 heures à attendre un train, 160 jours de pause clope, 3000 heures à me raser, 3 ans passés aux toilettes, 46 800 heures de travaux ménagers,  11 ans à regarder la télévision, 5 ans sur internet et 4 ans au téléphone.

Alors en 2020, j’ai des priorités.

Apprendre à jouer du xylophone – Dire plus souvent “je t’aime” – Passer moins de temps sur mon portable –  Finir Crime et Châtiment – Commencer Voyage au bout de la nuit – Faire des surprises à mes proches – M’asseoir pour uriner – Prendre le temps – Dire “bonjour” aux inconnus – Savourer les choses – Partir en Patagonie – Voir l’intégrale des films de Jim Jarmusch – Prendre des cours d’italien – Dormir dans un igloo – Réussi à finir un Rubik’s Cube – Goûter du munster au cumin- Faire rire mon neveu – Appeler plus souvent mon père – Arrêter de dire “merde” – Ne plus m’envoyer un demi-paquet de Twix avant de me coucher – Continuer les blagues pourries – Dire ce que je pense –  Ignorer les haters – Arrêter de me ronger les ongles – Voir Nick Cave en concert – Tenir mes promesses – Continuer de rêver.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

> Découvrir ses textes <

Ça pourrait vous intéresser

+ d'articles "Strasbourg"

À la une

Strasbourg : la plume de minuit

Aucun commentaire pour l'instant!

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Répondre

En réponse à :

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Illustrations prolonger la lecture

Prolongez votre lecture autour de ce sujet

Tous les articles “Strasbourg”
Contactez-nous

Contactez-nous

C’est par ici !