Décembre : la nuit tombe tôt. Et crapahuter au sein du marché de Noël (parfois pour faire de chouettes cadeaux artisanaux, plus souvent pour trouver le meilleur itinéraire d’évitement des flux de touristes), donne faim. Il n’est pas rare alors de s’arrêter sur un comptoir en bois pour s’enfiler une bonne petite tarte flambée. Qu’y a-t-il en effet de plus réconfortant qu’une tarte flambée entre potes un soir d’hiver ? Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où venait cette fameuse tradition régionale ? Non ? Alors suivez le guide, on vous emmène à l’origine de la tarte flambée !
Pour cela, il suffit de faire une petite balade à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Strasbourg, dans la région naturelle du Kochersberg. Car c’est en effet dans ce petit territoire entre la Zorn et la Bruche que se situe le berceau de la tarte flambée.
Il est difficile de dater précisément la naissance de la tarte flambée. Bien sûr, il y a bien un moment où quelqu’un s’est dit « eh tiens si on faisait cuire ça comme ça » mais il n’en a pas déposé le brevet en pensant que ça allait devenir un « plat » star des restos de toute la région bien des années plus tard. Si on en trouve une première mention dans un livre culinaire en 1894, on peut penser à raison que c’est un peu plus tôt, certainement dans le courant du XVIIIe siècle qu’elle est née sous la forme qu’on connaît aujourd’hui. Mais le mélange de ces ingrédients et l’utilisation de ce type de cuisson remontent à bien plus longtemps encore, aux environs des premiers siècles de notre ère. Ce qui est sûr ce que ce n’était pas dans la cuisine d’un restaurant mais bien plutôt au milieu des paysans lors de la traditionnelle et festive cuisson du pain dans les fours à bois de la campagne que l’idée a germé.
En fait, il a fallu que deux choses soient réunies :
– un reste de pâte des miches prêtes à être enfournées
– un temps de latence, une quinzaine de minutes, entre la chaleur maximale du four et celle idéale pour l’enfournement du pain.
« Et paf ça fait des Chocapics ! » comme dirait le vieil adage populaire.
Dès lors, l’idée est simple. Mais il fallait l’avoir ! Chaque village a un peu sa façon de faire mais reprenons les grands principes ensemble : d’abord on étale finement (car on en a pas beaucoup) le reste de pâte (constituée simplement de farine, d’eau, d’huile et de sel). On la couvre ensuite de crème fraîche épaisse ou de fromage blanc (voire d’un subtil mélange des deux). Puis on garnit avec des lardons fumés et des oignons émincés. Un peu d’assaisonnement et le tour est joué !
Comme on le disait, la tarte flambée est ensuite cuite brièvement (3 minutes doivent suffire en principe) mais à température très haute (autour des 300°c), pile entre le moment ou le four atteint sa température maximale et le moment où cette température va redescendre un peu pour être idéale pour la cuisson du pain. Pour vérifier la température, on plaçait alors dans le four un brin de paille sur la dalle chaude et on s’assurait qu’il ne brûlait pas. Cette cuisson traditionnelle, dans un four en pierre, induit que les flammes léchent la pâte ; c’est ce qui donne ces fameux bords noirs, brûlés. D’ailleurs on comprendra aisément l’erreur qui est faite en parlant de tarte « flambée ». En aucun cas la tarte n’est flambée à l’alcool comme une vulgaire banane. Elle est tout simplement « flammée », c’est-à-dire cuite à la flamme, comme d’ailleurs le nom alsacien l’indique clairement : flammekueche.
Cette petite histoire explique aussi pourquoi on mange les tartes flambées traditionnellement sur une pelle à pain en bois, typique de celles utilisées par les boulangers. Voilà pourquoi les tartes sont en général rectangulaires. Le côté « bonne franquette » trouve aussi son origine dans le fait qu’à l’époque on la mangeait debout, entre villageois, sans couvert (à la main donc… roulée avec les doigts et pas sous les aisselles n’est-ce pas!). En toute convivialité quoi !
D’ailleurs la tarte flambée resta longtemps loin des chaises et des nappes : ce n’est que dans les années 1960 qu’elle se retrouva aux menus des restaurants strasbourgeois. Sans parler des horribles tartes flambées de la grande distribution alimentaire qu’on retrouve partout aujourd’hui mais qui n’ont fleuri que dans les années 1990s.
Aujourd’hui, la tarte flambée est donc devenue un incontournable de la restauration alsacienne et, plus particulièrement en ce moment, du marché de Noël. Attention toutefois aux tartes surgelées ! Mais dans un contexte cool comme au Marché OFF par exemple, on est sûr qu’elle sera mangée dans le même esprit que les paysans qui l’ont créée autrefois. Pour ma part, je suis assez réticent face aux tartes flambées garnies ou agrémentées de champignons, de munster, de fruits de mer… – ce n’est pas une vulgaire pizza zut !
Et y a pas à dire, accompagnée d’une bonne bière locale ou d’un petit vin blanc alsacien, elle réchauffera votre petit cœur de Strasbourgeois contre tous les vents d’hiver.
Pour en savoir plus, sont consultables à la médiathèque Malraux :
BURG Gérard & CARDONNE Gérard, La Tarte flambée, Hirlé, 2003
MATZEN Raymond (sous la dir.), Éloge de la tarte flambée, Coprur, 2010
Et si vous voulez découvrir la région du Kochersberg, n’hésitez pas à le faire en vélo au départ de Lampertheim à seulement 15km de Strasbourg !