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Strasbourg secret : à la découverte des 18 mystérieux sarcophages du Palais du Rhin

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Pelleteuse, marteaux-piqueurs, bulldozers. Rails, pavés, pelouse. Le ballet des premiers sur un paysage composé des seconds est en train de modifier profondément le look du quartier de la Porte Blanche autour du boulevard de Nancy, du square Sainte-Aurélie et du Faubourg national. C’est la vie d’un quartier ; son visage évolue au fil du temps et les habitants d’il y a quelques décennies ne sauraient plus le reconnaître. Sans parler des trèèèèèèès anciens habitants romains. Enfin quand je dis habitants… Je parle d’habitants pas très remuants ni bavards. De squelettes quoi. Car oui, le quartier de la Porte Blanche fut bien occupé dès les origines de Strasbourg à l’époque où la ville n’était qu’un camp romain. Occupé par une nécropole. Les tombes étant toujours creusées à l’extérieur du camp, en général le long d’un axe routier, on les retrouve principalement le long de la voie Porte Blanche / Faubourg de Koenigshoffen.

D’ailleurs, l’année dernière, des fouilles archéologiques avaient été entreprises en amont de la pose des rails. Mais ce n’était pas les premières. En effet, à la fin du XIXe siècle, la Porte Blanche fut en effet déjà la proie des pelles et des pioches lors de travaux de fortifications (suivis non loin de là par les travaux pour la construction de la gare dans les années 1880). Des sépultures gallo-romaines ont été découvertes. Des sarcophages encore visibles aujourd’hui dans le jardin du Palais du Rhin

Il y a en exactement dix-huit. Si l’on est un peu curieux, on peut les apercevoir entre les barreaux des grilles qui longent le quai Jacques Sturm. Vous savez, là où il y a cette bande de pavés vicelards qui rendent la conduite à vélo périlleuse – surtout par temps humide. La végétation dense et un peu anarchique le long de ces grilles agrémente le tout d’une touche un peu mystérieuse. On croirait ces tombeaux abandonnés là depuis des siècles et presque fondus dans le paysage. L’endroit est d’autant plus mystérieux qu’il n’est plus ouvert au public depuis un certain temps. Moi qui ai pu déambuler sur ses petits chemins avant sa fermeture, je vous assure que le reste du jardin est plus ouvert et doux, suivant la courbe arrondie de la façade arrière du Palais – une courbe due à la salle des fêtes à l’intérieur.

La façade arrière du Palais avec, à l’intérieur, sa salle des fêtes

C’est un certain Robert Forrer, archéologue et collectionneur d’origine suisse installé à Strasbourg (et devenu très influent dans la vie culturelle alsacienne) qui décida de placer ces sarcophages déterrés à la Porte Blanche (excepté un, on en reparlera plus tard) dans le jardin du Palais impérial, comme on l’appelait alors puisqu’il avait été construit dans les années 1880 pour servir de résidence à l’empereur allemand.

[Petit aparté : ce Palais impérial fit longtemps débat dans le giron français. Son style très germanique et sa vocation de Kommandantur pendant la Seconde Guerre mondiale ne rappelant pas que des bons souvenirs, il en fut de peu qu’il soit purement et simplement rasé par les autorités françaises dans les années 50.]

Robert Forrer ((photographie de presse : Agence Meurisse)

Je disais donc qu’en 1919, Forrer y avait placé les sarcophages avec pour ambition de faire du jardin un jardin lapidaire et de transformer le 1er étage du palais en musée archéologique. Car, que faire d’un palais qui n’accueillera plus d’empereur après la chute de l’Empire allemand en 1918 ? Finalement le lieu devint le Palais du Rhin en accueillant dorénavant le siège de la Commission centrale pour la navigation du Rhin. Le Musée archéologique ne déménagea pas de ses anciens locaux. Et les sarcophages restèrent sur place…

Disons un mot des sarcophages eux-mêmes. Ils sont tous en grès, à cuves et couvercles, mais de taille et de styles différents. Si on y regarde bien, on remarquera que certains couvercles sont plats, d’autres arrondis et d’autres encore triangulaires.

Je vous rassure, en cette période d’Halloween, ils sont vides de tout occupant. Enfin je crois…

Leur origine est floue. Certes ils ont été retrouvés dans une nécropole gallo-romaine mais une nécropole tardive semble-t-il. Au point où l’on se demande si certains ne seraient pas un peu plus récents, c’est-à-dire de l’époque mérovingienne voire même carolingienne.

Citons à ce sujet ce qu’en a dit May Vieillard-Troiekouroff dans son article Les monuments sculptés du haut Moyen Âge en Alsace et en Lorraine : « Il y a à Strasbourg un certain nombre de sarcophages du IVe siècle, provenant du cimetière païen de la porte Blanche, assez semblables à des sarcophages contemporains de la Rhénanie. Ils ont encore des acrotères comme les sarcophages romains ou parfois des moignons d’acrotères, mais ils sont travaillés de stries décoratives formant des chevrons et autres dessins. Ce sont là les modèles de très nombreux décors de sarcophages mérovingiens des VIIe et VIIIe siècles comme ceux de Toul et de Vicherey (Vosges). »

À noter qu’un des sarcophages ne provient pas de la Porte Blanche mais de la chapelle Saint-André de la cathédrale de Strasbourg. C’est le plus volumineux. Il est facile à reconnaître car il est plus haut et son couvercle est muni d’anneaux de fer. Certains estiment que sa fabrication date du Moyen Âge mais il semble plus probable que ce soit un ancien sarcophage romain également, simplement réemployé à l’époque médiévale.

à gauche: le sarcophage de la chapelle Saint-André, avec ses anneaux en fer.

Après m’être à nouveau rendu sur les lieux cette semaine pour reprendre quelques photos, j’ai découvert par hasard un petit détail amusant sur le muret qui soutient les grilles du jardin, toujours du côté du quai Jacques Sturm : un médaillon qui indique l’altitude du lieu, à savoir 140,221m.

À noter un autre détail, certes plus connu, mais amusant : le profil d’un homme moustachu inséré dans la décoration de la grille du portail qui donne aussi sur le quai. Difficile de ne pas y voir un portrait d’un des deux empereurs Guillaume, le grand-père comme le petit-fils portant allègrement la moustache proéminente…

à droite; Guillaume II – difficile de ne pas y voir de ressemblance, non?

Sources :
Visite lors des Journées du Patrimoine
Documentation et patrimoine DRAC Alsace
www.musees.strasbourg.eu
Vieillard-Troiekouroff May. “Les monuments sculptés du haut Moyen Age en Alsace et en Lorraine”, in: Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1983, 1985. pp. 30-39
Vogler Bernard & Loeb-Darcagne Élisabeth, Strasbourg Secret, Les Beaux Jours
Jordy Catherine (photographies Hamm Christophe), Le guide du promeneur de Strasbourg, Les Beaux Jours


FLORIAN CROUVEZIER

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