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TRAM C : Frite Man vs La fille qui boit de la Vodka-Volvic fraise

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Encore à moitié endormi, des crottes de la taille d’un Chocopops collées aux coins des yeux, je tente comme je peux de tenir debout contre l’une des vitres du tram C. L’excès de sébum sur mon front laisse une marque grasse sur le verre de la navette spatiale.

Flashback. Quand j’étais gosse, nous jouions à Frite Man.

L’objectif était simple : coller nos visages sur la baie vitrée de la boulangerie, pour y laisser un maximum de graisse. Dans mon imaginaire, un super-héros vêtu d’une cape jaune et d’un collant rouge, venait chaque nuit avec une raclette et un seau, pour récolter ce précieux nectar afin d’en faire des bidons d’huile de friture pour poissons panés ou beignets. Comme une abeille récoltant du pollen dans un champ de lavande, lui arpentait les commerces de la ville à la recherche de traces laissées la journée, par des nez, des joues, des fronts.

Personne ne me croyait. Ma mère disait que j’étais « atypique » et plein d’imagination. Ça lui faisait peur, parce que la société aime les choses parfaites et ordonnées : Les rayons de yaourts – les places de parking – les vêtements repassés – les esprits éduqués – les cheveux lissés – les tableaux carrés – les mains lavées – les ongles coupés. Pas de place pour l’originalité, au risque d’être marginalisé, pire encore, classé dans une catégorie de troubles mentaux comme on jette un vieux jouet dans un carton pour le foutre à la déchetterie.

C’est le syndrome de Woody le Cowboy dans Toy Story 2. Les vrais savent.

Autiste – Dépressif – Bipolaire. Juste humain.

Être parfait, c’est être soi-même disait mon grand-père. Il parlait par de courtes citations soulignées dans d’épais livres de philosophie. Maintenant les intellectuels livrent leurs états d’âme sur Twitter.

@Léa : J’étais à la caisse de Carrefour et on voyait que j’avais pris des jus verts, de la salade, des légumes, et y’a une daronne derrière qui dit à sa fille « Pourquoi tu manges pas comme elle? Tu serais moins énorme ». Puis en la fixant, j’ai sorti du Crunch et du Nutella du caddie. Elle a plus rien dit.

On me traitait de fou, mais chaque matin, étrangement, la vitre était brillante comme une pomme de supermarché et la vendeuse ne me fit jamais la moindre réflexion. Pourtant, j’en piquais des Carambars, des images Panini et des Chupa Chups. Faut dire que j’avais une motivation pour être aussi assidu du lieu : La boulangère était un ange aux yeux bleus qui attirait la moitié de l’école, une fois les cours terminés. On était tous fous amoureux d’elle. Elle s’appelait Sophie. C’était écrit sur le badge fixé à son tablier rose. J’envisageai de lui faire une déclaration passionné mais un élève de CM2 le fit avant moi.

Au moins, la déception est un sentiment qui ne déçoit jamais.

« Mon cœur appartient à tous les enfants qui viennent ici. Je ne peux pas le donner qu’à toi. Je vous aime tous à ma façon ».

Je compris plus tard que c’était une façon polie de lui demander de foutre le camp et de ne plus l’emmerder avec des poèmes bidons dont les rimes n’avaient aucun sens :

Vous êtes aussi jolie qu’une baguette,

Et vous sentez la crêpe Suzette.

J’aimerais être un caramel pour rester collé à vos dents,

Vous êtes le coup de foudre de mes dix ans.

Aujourd’hui, Sophie a 49 ans. Des loches qui cognent ses tibias. La voix de Gérard Darmon suite à 20 ans de tabagisme, mais des yeux bleus toujours aussi doux.

Nous sommes des dizaines de zombies à nous accrocher à un bout de siège ou une manche, en attendant que la caféine fasse son effet. S’il y’a bien un endroit en France où le principe d’égalité est encore respecté, c’est ici. Pas de traitement de faveur. Tout le monde est dans le coaltar, l’œil vitreux suite aux abus télévisuels nocturnes de la veille (Un reportage exclusif sur la BAC de Mulhouse – Le dernier épisode d’After Life – L’insomnie du dimanche soir, à flinguer des moutons virtuels à coups de fusil à pompe).

Dur de s’extirper de la douceur matinale de sa couette et d’abandonner son chat qui ronronne paisiblement au creux de ses jambes.

Je baille à m’en décrocher la mâchoire, espérant ne pas avoir un bout de pain entre les dents ou une trace de dentifrice suspecte sur le joue. L’odeur, comme à son habitude, est assez particulière : un mélange d’alcool, de linge sale et d’eau de Cologne. Un peu comme mon père rentrant du bal du 14 juillet.

Seuls quelques gamins surexcités débattent avec vitalité de questions existentielles : La nouvelle DS – Le triplé de Lionel Messi – La tronche de la prof de math – La rupture de Jordan et Mélissa – Le contrôle surprise de SVT – La dernière vidéo de Norman postée sur Youtube.

Une jeune femme maquillée comme un Picasso et semblant sortir tout droit d’une soirée SM, s’étale nonchalamment sur les deux sièges en face de moi. Des bottes à talons. Un jean slim serrant ses cuisses comme un gigot d’agneau. Je crains une explosion de cellulite au moindre freinage brutal du conducteur. Un décolleté qui fait loucher un octogénaire au bord de l’AVC, ce qui lui vaut un coup de canne de sa dulcinée de 77 ans.

« Tu veux des jumelles Richard? ».

Ajoutons à cela, la touche subtile qui fait toute la différence : Une triple couche de rouge à lèvres noir (du noir à lèvres donc) et des ongles ambiance Freddy Krugger, lui permettant de faire une fondue savoyarde sans avoir besoin de pic pour choper le bout de pain perdu au fond de la gamelle. La différence fait peur je vous dit.

C’est avec une bouche pâteuse et la voix discrète de Joey Starr, qu’elle décroche son téléphone :

« Mais trop bien ! T’es déjà debout ou quoi ?. Non… Non… Sérieux, on a passé une trop bonne soirée hier soir. Mais t’sais quoi ? La vodka- Redbull, laisse tomber. A un moment y’a plus moyen d’en boire, c’est trop sucré. Ça fout la gerbe. Le bon délire, c’est la Vodka-Volvic fraise. Ça claque. C’est juste sucré comme il faut. C’est frais, avec des glaçons c’est bien light. T’sais quoi, le Redbull, j’étais trop en bad. Je commençais carrément à trembler et avoir des palpitations, genre le cœur il s’arrête plus de battre qu’à 200 tu vois. Ouais, mais t’es habitué toi. T’es une machine, un bazooka à sky, ça se voit trop grave. Ouais, j’vais me rentrer là. Je suis dans le tram. Les gens ils ont de ces têtes, on dirait ils vont se faire un suicide collectif. J’vais me pieuter direct, la télé en fond. T’sais quoi, on s’rappelle après et on essaie d’voir pour c’que j’t’ai dit. Ouais, ouais, t’es un sacré coquin en fait ! Allez j’te laisse, j’ai presque plus de batterie et je dois encore passer choper des garettes. Ciao bébé ».

Nous nous regardons, le pépé, les collégiens et moi. Vodka-Volvic fraise à huit heures du matin. Il est temps que Frite Man revienne dans ma tête et que j’aille voir la boulangère.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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