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Strasbourg – Hop La La Land

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Trois. Deux. Un. Bonne année.

Strasbourg passe en 2019. Une page se tourne sur des bises moites et pour les plus audacieux, des roulages de pelles entre un toast au saumon et une coupe de Champagne tiède. Les confettis volent sous les hauts-plafonds des appartements et terminent leurs courses sur de vieux parquets abîmés. Les corps dansent, hypnotisés par la fin d’un cycle et le début d’une nouvelle ère avec laquelle ils essaieront de composer sans y laisser trop de plumes. Ce soir, le monde est une fête. On honore la vie en hommage à ceux qui l’ont quittés au marché de Noël le 13 décembre. On oublie les galères des 365 derniers jours. La bagnole qui est en rade sur le parking du Leclerc avec un mot sur le pare-brise : « Véhicule en panne, merci de votre compréhension ». Les relances du banquier qui prononce le mot « agio » comme une pizza aux artichauts avec un accent italien surjoué. Le cancer de la prostate de son père. Le divorce de sa sœur. La folie des Hommes.

On se sert fort dans les bras pour sentir que l’essentiel est là. Les distances sociales et intimes sont franchies. L’odeur de l’autre.

Sa peau. Du pain perdu à la cannelle caramélisant dans le beurre fondu d’une poêle en Téflon. Nous avons peur du futur mais nous sommes là, vivants, les jambes hésitantes dans des pantalons de smoking trop serrés, sur une musique trop forte. Du trop pour contrer le pas assez. Un équilibre précaire. Un fil sur lequel marcher en talon aiguille entre la Tour du Maintenant et celle du Demain.

En bas, dans la rue, les rires percent les doutes ancrés. Il neige de l’espoir sur les joues roses. Les yeux brillent. Les résolutions sont spontanées et pleines de bonnes intentions. Arrêter de fumer – Faire plus de sport – S’engager dans une association – Faire un régime – Arrêter de se plaindre. Beaucoup de choses à arrêter mais surtout commencer à vivre en réalisant que l’existence est précieuse et fragile comme une toile d’araignée.

Les nœuds papillons s’envolent dans le ciel en titubant. Les gorges parfumées se dévoilent, interminables, comme les tiges d’une fleur encore inconnue. Les robes caressent les courbes sans gestes déplacés même si certaines mains restent baladeuses. Balance ton relou de nouvel an. Dunes harmonieuses brûlantes d’un désert blanc. Une solidarité universelle pour quelques heures encore, entre ceux qui brillent naturellement et les autres, plus éteints, les anonymes.

Les keupons de la Grand Rue dansent avec leurs chiens et trinquent avec les dieux aux drapeaux noirs. Les couleurs s’entremêlent. Du gilet jaune au vomi orangé d’une cuite au crémant, de l’or d’une fusée au sang rouge d’un doigt explosé.

Les pétards s’enflamment dans l’ivresse et l’insouciance.

C’est une nuit féerique. La nuit des Benjamin Button, adultes ridés qui ce soir arborent une peau lisse d’enfant et des dents de lait avec plein de trous noirs dans lesquels se perdre. Les pantalons soigneusement repassés se recouvrent de poudre noire. Les mèches s’enflamment et les étoiles filantes décollent pour laisser un souvenir ineffaçable dans les esprits. Les têtes se penchent pour mieux voir les astres qui jouent à cache-cache entre quelques nuages téméraires. Des tourbillons incandescents dansent sur les pavés. Les mammouths tutoient les bisons. Jumanji improvisé. La guerre des boutons pour géants en culottes courtes. Peter Pan embrasse sa voisine, rouge de timidité. Les crocodiles partagent un bout de bûches avec des biches médusées. Le chocolat aux coins des lèvres, les voisins dansent un slow improvisé sous un lampadaire éméché.

Ce soir, des étoiles brillent plus que d’autres dans le ciel. Celles de Barto Pedro Orent-Niedzielski, Pascal Verdenne, Antonio Megalizzi, Anupong Suebsamarns, Kamal Naghchband.

Sur Terre, quelques voitures brûlent et les pères Noël de garde aux casques brillants arrosent les flammes d’une eau divine. Les pierres pleuvent comme une armée de criquets aux dents acérées. Il est temps de se replier vers la caserne ou de transporter les jambes morcelées et les épidermes brûlés vers l’hôpital de Hautepierre. Là-bas, les colombes aux blouses blanches et les docteurs en humanité s’affairent à penser, à rassurer et à calmer ceux qui stagnent encore dans une autre galaxie.

Elle rentre chez elle à travers les débris encore chauds. Une ampoule au talon droit d’où s’écoule un liquide blanchâtre qui brûle comme de l’acide. La faute à des chaussures trop petites mais tellement jolies. Les marches des trois étages jusqu’à son appartement semblent interminables. Elle jette sa robe de soirée et ses pompes sur le canapé. Les collants glissent par terre et sont troqués contre un pyjama à l’imprimé Totoro. Elle allume la bouilloire et dépose une boite de biscuits sur la table de la cuisine. Une tasse de thé au jasmin réconfortante entre les mains. Le radiateur fait office de chat s’enroulant entre ses jambes, le ronronnement en moins.

De là, elle voit la ville se réveiller en silence. Charles Aznavour marmonne à la radio.

Une vie d’amour
Une vie pour s’aimer
Aveuglément
Jusqu’au souffle dernier
Bon an mal an
Mon amour
T’aimer encore

Les arbres s’étirent et baillent. Certains sont taillés comme des lépreux aux multiples moignons. Une mésange se pose sur le perchoir qu’elle a installé sur le rebord de la fenêtre. Elles se regardent comme si elles se connaissaient depuis toujours. L’oiseau picore quelques graines de tournesol, se retourne et s’envole, comme 2018, laissant une plume grise et jaune qui tourbillonne dans le vent.

2019 sera l’année des imprudents qui tentent, des courageux qui se trompent, des amants qui s’étreignent, de ceux qui ne veulent pas tomber amoureux de l’ennui. C’est le début d’une année où la lune n’a pas envie d’aller se coucher mais d’aller faire l’amour au soleil qui vient de se réveiller.

Nous serons Ryan Gosling et Emma Stone projetant de la couleur aux visages des autres par nos sourires. Hop La, la, land sous la Cathédrale, nous marchant sur les pieds en dansant, maladroits mais sincères. Il n’y aura plus de saisons ou alors qu’une, éternelle, celle de frangins qui n’ont pas la même mère mais qui s’aiment quand même.


Mr Zag

Mr Zag a une voisine, un chat, des collègues, un job, il aime Lynch, Radiohead et Winshluss. Mr Zag a un Pinocchio tatoué sur le bras, quelques gribouilles en islandais, il ouvre les yeux et décrit le monde avec une vision bien à lui.

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