“C’est important de remettre la femme au centre des mythologies : la femme y est trop souvent présentée comme une victime consentante !” Depuis bientôt dix ans, l’illustratrice strasbourgeoise Julie Lapierre revisite la symbolique qui encadre les arts divinatoires. Oracles, tarots, cette aventurière des terres occultes passionnée par la cartomancie se plaît à actualiser païennement ces vieux outils de projection qu’elle conçoit comme des moyens de connaissance de soi. Rencontre à l’occasion de sa dernière exposition rétrospective.
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Divination, cartomancie, mythologie… Tu as un univers très singulier, marqué par une passion pour l’ésotérisme : c’est un intérêt qui s’est manifesté par la pratique du dessin, en découvrant certains courants d’art, ou c’est ton attrait pour l’occulte qui t’a amenée à dessiner ?
C’est plutôt la première proposition. J’ai toujours beaucoup dessiné. Je pense que le dessin, ça me vient de tous les livres que mes parents m’ont montrée quand j’étais petite. On allait très souvent à la bibliothèque, et j’ai développé beaucoup d’images mentales par le biais du livre. Dans des domaines variés, le Moyen-âge, l’astrologie. L’ésotérisme, c’est venu après ; à la fac d’art, j’avais des cours de représentation, où il est demandé de dessiner de façon la plus réaliste possible, et je m’en sortais pas ! Et mon prof qui était génial m’a dit d’assumer ce trait peu réaliste mais très illustratif. Il m’a conseillée des blogs d’illustrateurs et donc en entrant à la fac, j’avais déjà plus confiance en mon trait et mieux connaissance de certaines niches. Là je me suis mise à travailler sur l’univers des symboles, et un jour, je suis tombée le tarot de Marseille. Après, il y a eu comme un glissement monomaniaque. [rires]
Comment tu appréhendes les arts divinatoires : croyance, curiosité ?
En découvrant le tarot de Marseille, j’ai découvert un monde… J’écoutais déjà des podcasts sur les mythes ; j’ai toujours été très intéressée par la mythologie. Mais là, je me suis mise à lire des livres sur la divination, et à regarder des reviews de cartomanciens sur Youtube… Vraiment monomaniaque. [rires] Après je ne lis pas que ça, parce que ça devient assez vite réducteur, on a tôt fait de se retrouver à lire les trois mêmes préceptes new age en boucle ! Moi si j’aime les oracles et les tarots, qui sont eux-mêmes des oracles d’ailleurs, c’est parce que ce sont des outils de projection qui disent beaucoup de la personne qui les interprète… Ses espoirs, ses craintes… Donc ce sont de bons outils de découverte de soi et j’aime l’idée de faire réfléchir les gens sur eux avec mes petits trucs. J’ai jamais eu de retours gênés par l’aspect ésotérique. Je trouve que la figure de la sorcière est de plus en plus mainstream et la spiritualité aussi de façon générale. Et puis il y a un aspect ludique dans mon travail : les gens comprennent que c’est une curiosité pour des disciplines qui peuvent donner, de façon indirecte, du sens à la vie.
Tu évoques la figure de la sorcière : en plus de son aspect ludique, il y a un aspect très militant dans ton travail, qui est emprunt de féminisme. C’est important ?
C’est très important. Je me sens très concernée par la cause féministe, ma mère a toujours beaucoup milité pour les droits des femmes. Je crois qu’avec mon travail, j’essaie en fait de reconnecter la personne qui y fait face à sa force féminine. Je parle pas d’être girly mais de cette force des femmes à tout endurer à travers les siècles, c’est une chose très puissante ! Le pouvoir ultime, en quelque sorte. Sur mon dernier projet, j’ai pris le parti de représenter les aventures d’une cavalière plutôt qu’un cavalier, d’une femme héroïne. De même que j’ai travaillé sur les symboles “féminins” dans mon dernier tarot. C’est important de remettre la femme au centre des mythologies, car la femme y est trop souvent présentée comme une victime consentante ! C’est important aussi parce que l’illustration est un milieu qui n’est pas épargné par le sexisme, même si dans mon cas précis je n’ai jamais été touchée. Après il faut préciser que la cartomancie est un milieu qui attire surtout des femmes donc ça peut expliquer pourquoi je me sens préservée. On est entre sorcières. [rires]
Tu t’es donc toujours sentie à ta place ?
Oh non, la légitimité, c’est toute une histoire. C’est l’expérience de l’atelier qui m’a permise de prendre en confiance. En 2013 j’ai fait deux expositions avec l’association Art & Matières que l’on trouve aujourd’hui à la Boutique de créateurs. Et c’est comme ça que j’ai rencontré une illustratrice qui s’apprêtait à intégrer l’Atelier du Bain aux plantes tout juste créé ; de fil en aiguille je l’ai intégré aussi, parce que c’était l’occasion de rencontrer d’autres artistes et notamment des artistes sortis des Arts décos, qui faisaient un peu peur à l’universitaire que j’étais, par ego… [rires] C’est une expérience à laquelle j’ai mis un terme en janvier dernier parce que j’étais devenue moins investie, mais ça a été une expérience très formatrice ! Ça m’a permis de désacraliser le métier, ça m’a donnée un certain sentiment légitimité, en tant que femme, par la force du collectif ; c’est vraiment à l’atelier, en voyant le courage de mes collègues qui avaient choisi de vivre chichement pour développer leur art, que j’ai eu envie, moi aussi, d’oser. Oser me dire illustratrice, oser me respecter face aux éditeurs.
“En entrant dans l’Éducation Nationale, dans le regard des autres, j’ai eu l’impression de renoncer à quelque chose : je me sentais avant tout comme une prof qui faisait du dessin sur son temps libre, pas une prof slash une illustratrice. Avec l’atelier, j’ai osé me prendre au sérieux.”
Pour ta part tu es mi-illustratrice mi-prof d’arts plastiques : c’est un choix assumé ou contraint, du fait qu’il est très difficile de vivre de son art ? Et comment est-ce que tu organises ton temps ?
Pour le coup, c’est assumé ! Je sais depuis que j’ai 14 ans que je veux être prof, j’étais très sûre de cette vocation… Mon prof du lycée m’avait même conseillée de faire une école d’art au cas où je changerais d’avis, mais j’ai choisi la fac avec le soutien de mes parents. Ce job de prof c’est mon contact au réel. Effectivement c’est difficile de vivre de son art et c’est un des rares métiers qui laissent du temps pour soi. Ça me permet d’être inspirée par l’acte de transmission, de créer en parallèle et de payer mon loyer malgré tout. Me concernant, c’est une super mouture, parce que mes obligations en tant que prof me rendent très rigoureuse sur le temps qui me reste : je suis À FOND dans l’optimisation ! Je suis pas du genre artiste maudit qui a besoin d’inspiration pour travailler. Quand c’est l’heure, je me mets à ma table et je dessine. Parfois c’est pourri, mais j’ai la satisfaction de m’être mobilisée.
Tu exposes à compter du 8 novembre et jusqu’au 8 janvier à Balsamine. Comment est-ce que tu trouves le temps de monter une exposition, dans tout ça ?
Je ne produis jamais d’oeuvres spécialement pour une exposition : j’expose ce que j’ai déjà créé librement ces derniers temps, comme ça, pas de contrainte de temps ! En l’occurence, cette exposition est une rétrospective de mes derniers oracles ; c’est l’occasion de partager mes originaux, qui sont beaucoup plus grands que les cartes commercialisées et présentent donc beaucoup plus de détails et de nuances. Certains seront à vendre entre 100€ et 200€, avec des impressions à 7-8€ et des cartes postales à 2€… J’ai pas d’attachement particulier à mes dessins : une fois finis, je suis contente qu’ils partent. Qu’ils voyagent.
Pour poursuivre le voyage :
Gulliver l’aventurière chez Balsamine (40 route d’Oberhausbergen, 67200 Strasbourg)
Du 8 novembre au 8 janvier, vernissage le jeudi 8 novembre à 18:00
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