Depuis le succès relatif des grèves et les violences des forces de l’ordre, certains militants contre le Grand Contournement Ouest de Strasbourg ont décidé d’opter pour différentes manières d’agir, dans le but d’interpeller le gouvernement et l’opinion publique. D’aucuns décident de théâtraliser les manifestations avec un faux affrontement entre déguisements d’arbres et de CRS ou une performance artistique en live place Broglie… d’autres décident depuis ce lundi, d’entamer une grève de la faim.
Ghandi, l’Abbé Pierre, les Suffragettes, un nombre incalculable de prisonniers politiques… mais aussi plus actuellement Oleg Sentsov, un cinéaste ukrainien anti-Poutine détenu en Russie (qui tient le record avec plus de 100 jours). La grève de la faim est depuis longtemps un symbole militant fort, non-violent, controversé et respecté. Comment en arrive-t-on à mettre sa vie, ou du moins sa santé en péril pour une cause ? Est-ce littéralement se mettre corps et âme au service de ses idées? Si une dizaine de militants anti-gco ont décidé d’entamer une grève de la faim ce lundi, c’est pour dénoncer « l’absurdité du projet » et demander un moratoire sur les travaux. Malgré ce choix difficile et éprouvant, ils gardent le sourire et voient ça plus d’un œil confiant et insistent sur l’aspect convivial de la méthode.
Régulièrement suivis par une équipe médical, leur objectif affiché est une grève illimité, mais en interne, ils visent pour l’instant la barre des deux semaines, déjà un exploit. Ils passeront plusieurs fois dans la semaine place Kléber pour expliquer leur décision et inviter à les rejoindre temporairement dans leur jeûne. En attendant, ils se retrouvent et restent dormir à l’église protestante Saint-Michel à Bischheim… parfois contre l’avis de certains fidèles de la paroisse.
Une dame notamment, habituée selon ses dires depuis 18 ans, regrette la présence des militants : « Pour moi, votre combat est politique et n’a rien à faire dans une église ! », s’exclame-t-elle. « Et puis j’espère que vous allez payer les charges supplémentaires ! » Ce que les militants assurent d’emblée, eau, gaz et électricité, tout en réaffirmant avoir le soutien des pasteurs.
Alors qu’une délégation a rencontré François DeRugy lundi soir et que les travaux continuent malgré les blocages d’autres militants. On a rencontré les grévistes de la faim, une petite dizaine d’heures depuis le début de leur grève pour savoir comment ça se passait et pourquoi ils en étaient rendu à une mesure aussi drastique.
Une grève de la faim en France contre un projet Alsacien
Jean-Jacques, habitant de Bischwiller 79 ans, vétéran des combats écologiques et membre d’Alsace Nature.
Depuis les années 70 je me bats sur ces sujets, notamment autour de la fermeture de Fessenheim. Étant donné que je suis retraité, j’ai un peu de temps à moi, ça me permet de participer à ce genre d’actions. Personnellement, j’ai déjà jeûné à plusieurs reprises, par exemple sur une semaine tout en travaillant etc. C’est même quelque chose de positif pour moi. Beaucoup de gens se soumettent à des jeûnes thérapeutiques ! On en parle de plus en plus.
Mais ici, c’est quelque chose de plus militant, dans un autre cadre et une autre forme, bien que personnellement je conjugue un peu les deux si je peux. Je me suis engagé pour soutenir et apporter mon expérience aux autres, ayant un peu l’habitude. Dans mon cas, ce n’est pas forcément mettre sa santé en danger, d’ailleurs je n’irais pas jusque-là.
Étant contre la violence, c’est un moyen d’agir qui me correspond. On voit bien qu’on a épuisé un peu tous les recours [ndlr: pas juridiques]. C’est quelque chose d’ultime. On peut espérer que ça fasse pression, mais aussi que ça soit un discours qui passe mieux, qui interpelle plus de gens que le militantisme classique, traditionnel qui en ce moment tourne peut-être un peu sur lui-même… Si on utilise cette méthode, c’est peut-être aussi faute d’en avoir d’autres ! C’est quelque chose qui engage plus l’individu aussi.
A mon sens, chacun se mobilise comme il l’entend et comme il peut. Moi, j’ai choisi ma voie, d’autres pourront en choisir des plus « musclées »… De toute façon, vu mon âge, ce n’est pas moi qui va aller affronter les CRS, vous voyez ce que je veux dire… Du reste, la violence ne mène à rien à mon sens. Elle ne fait qu’en sécréter d’autres.
Je ne perds pas l’espoir ! Et puis il y a d’autres forces à l’œuvre en notre faveur. D’un point de vue écologique, ce projet est aberrent et anachronique compte tenu du contexte général de la société, d’une possible nouvelle crise financière… Macron s’est plus ou moins engagé à prendre des mesures importantes pour l’écologie. Je pense qu’au moins pour ça, il faudrait revenir sur ce genre de projets.
Pierre, membre d’Alsace Nature
Ça fait partie d’un engagement global pour une autre société. C’est une logique de bouleversement de société que j’essaie d’appliquer à ma vie, certains parleraient de « décroissance » ou de « sobriété heureuse ». Mon combat contre le GCO et cette méthode de grève de la faim rentrent parfaitement dans ce cadre. J’ai déjà fait un jeûne de 4 semaines contre Fessenheim, il y a 3 ans. On y croyait. En dépit de l’échec de l’action, je me sentais bien. C’est beaucoup de psychique. Un engagement corps et âme, mais pas du tout morbide. Il y a aussi un aspect de développement interne intéressant. Et collectivement aussi ! On va discuter et se soutenir chaque matin. « Est-ce que j’ai passé un bonne nuit, comment se porte ma tête, mon estomac… » Cette vie collective est aussi intéressante pour l’aspect solidarité citoyenne. On met sa santé à l’épreuve surement, mais pas en danger. Ça n’a jamais été notre état d’esprit.
Si on est ici, c’est aussi grâce à l’engagement courageux des deux pasteurs qui ont eu quelques pressions en interne. En tout cas, on sait qu’en Alsace, les pasteurs ont maintenant l’aval de leurs paires pour proposer ce genre d’initiatives à leurs paroissiens.
A part ceux qui ont de réels impératifs personnels, tout le monde reste ! Ce soir on est 8 à dormir. Pour l’instant on a dit 15 jours, difficile de se projeter plus loin. Mais c’est à minima, on attend le moratoire, donc en réalité, c’est à durée indéterminée. On va trouver de quoi s’occuper. On a le passage des médecins, mercredi un théologien qui a étudié le jeûne… On a une structure externe aux grévistes qui assure le bien-être du groupe, pour voir si quelqu’un ne correspond plus à l’esprit ou s’il est trop mal en point physiquement pour continuer. En tout cas le fait qu’on soit une dizaine, ça me donne la pèche ! Mais le deuxième et troisième jour sont les plus durs et restent à venir. Après, l’organisme s’adapte.
C’est un engagement total et qui s’inscrit dans la durée. Les manifs, c’est bien beau. Même quand c’est non-violent, ça dure deux heures, on fait du bruit on est nombreux, mais en face ils s’en fichent un peu, alors que là peut-être ça fait sérieux, cohérent… On y pensait depuis des mois, là c’est le moment.
Elisabeth, habitante de Pfulgriesheim et contre le GCO depuis deux ans
Pour l’instant tout va bien, on est bien installé. Cette autoroute doit passer à 500m de chez moi ! Et ça fend en deux un paysage de nature… Aujourd’hui on n’a plus le choix. Les méthodes juridiques qui avaient toutes les chances d’être entendues ne l’ont pas été. Ils passent outre où ils disent que les demandes ne sont pas valides à cause des « troubles à l’ordre public ». C’est un comble, on ne sait pas qui trouble à l’ordre public puisqu’on reste dans la non-violence. Là, on va jusqu’à prendre sur nous. On espère que notre corps ne va pas être en danger, mais potentiellement c’est le cas. La grève de la faim c’est une arme.
Si l’opinion pouvait être attentive aux vraies raisons du GCO grâce à ça, ça serait bien. Les gens veulent juste la résolution de bouchons. Mais mécaniquement avec le GCO, ça ne va pas se résoudre, ça sera même pire, sans parler de la perspective du « couloir à camion » européen.
Je suis protestante. Je trouve que c’est bien que l’église s’ouvre à des actions comme celles-ci, nécessaires et humainement importantes. Pour moi, ce n’est pas politique au sens politicien, mais ça à avoir avec la vie de la cité et des gens, et donc ça a sa place dans une église. D’autant que plus que des pasteurs et plus particulièrement des femmes pasteurs s’engagent sur le sujet. L’église protestante dans son ensemble, et plus particulièrement en Alsace, vote pour des directives osées pour une justice climatique.
C’est vrai qu’on est parfois tellement motivés dans notre combat, au risque de ne pas voir les problèmes que ça peut poser sur nous. C’est notre entourage qui est le plus inquiet. Mes filles pleurent au téléphone… Ça ne sera pas facile, et pareil pour le retour à la normal. Bon après, moi j’ai le temps, je suis à la retraite. Comme quoi on est nécessaire à la société ! On permet que certaines choses se fassent. On aimerait aussi faire d’autres choses hein ! S’occuper de nos petits-enfants, nos activités personnelles etc… Mais ça reste une belle expérience. On découvre les autres aussi.
Guillaume B., habitant d’Ernolsheim sur Bruche et co-fondateur du festival du Bishnoï
Pour l’instant, ça roule, mais je minimise surement la difficulté de l’action. Personne n’a l’air consterné ou quoi. J’ai probablement la fausse l’impression que c’est plus facile qu’on ne veut bien le dire. On devait se préparer en amont, et le retour à la normale sera aussi compliqué. Mais une bonne Flam’s… Oh purée, je pense qu’elle va me manquer. Et puis la tisane… normalement à cette heure-ci on ne boit pas ça ! En tout cas, vu le nombre de variété qu’on a, on va devenir fin connaisseurs.
Une des seules grandes forêts à proximité de Strasbourg, à côté de chez moi, là où il y avait la ZAD, a été en grande partie rasée par les ouvriers de Vinci pour faire le GCO. On en est au stade où : soit on brule des machines (et je ne condamne pas ceux qui le font), soit on est non-violent et jusqu’au bout. C’est mon cas. La version la plus radicale, c’est la grève de la faim. La brutalité a toujours été du côté des forces de l’ordre. Si on commence à utiliser la violence, c’est sûr que c’est le camp d’en face qui gagne, ils ont les meilleurs armes ! Les images de Germaine gazée et poussée alors qu’elle était en déambulateur parlent d’elles-mêmes. Pareil pour les élus. On est resté clean et c’était un choix qu’on poursuit ici.
Ma vie familial en pâti un peu, mais c’est le cas depuis le début. On vit avec le GCO depuis quelques années. Je sais que cette grève de la faim n’est pas facile à accepter pour mon entourage. D’un autre côté, c’est tellement enrichissant de rencontrer tous ces gens ! Et puis on lutte plus que contre le GCO qui n’est qu’un symptôme. On lutte contre un système qui permet à des projets comme le GCO d’être construits aussi facilement. Je suis très motivé. Les gens ne peuvent plus faire l’autruche.
On a l’espoir d’avoir une réponse du président. Les cabinets des ministres, c’est difficile. On va voir, je n’ai pas de certitude, mais il faut peut-être en passer par ces moyens là pour avoir son attention. Nous, on fait ce qu’on a à faire, on est droit dans notre bottes. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde à l’Eurométropole.
Je trouve l’implication des pasteurs tout à fait cohérente. Ils protègent la « Création ». Dans la Bible, personne ne dit que le chrétien doit rester en dehors de tout débat politique… Aux moments les plus sombres, certains ecclésiastiques ont su s’engager. Pourtant sur le GCO, les pasteurs engagés étaient considérés comme des hurluberlus au début ! Dans une société où les gens relativisent beaucoup, ne prennent plus parti, ceux qui sont engagés dans leur foi, c’est peut-être eux qui peuvent les premiers s’engager dans des causes comme celle-ci.
Marc, strasbourgeois 57 ans, membre d’Alsace Nature
Je me suis dit qu’il fallait maintenant, rentrer dans une nouvelle forme de militantisme. Manifester, c’est très bien et il faut le faire. C’est un mouvement de masse, ça frappe l’opinion, ça mobilise les gens et ça peut peser sur les décideurs. Sur des dossiers comme le GCO, les citoyens (et les experts) se sont exprimés à plusieurs reprises. A aucun moment, on a été entendu. Ça nous pousse à changer nos méthodes, toujours non-violentes, mais extrêmement déterminées. On n’est pas là juste pour faire un jeûne thérapeutique. On est là pour aller au bout.
Nul ne sait l’issue, côté gréviste comme côté institutionnel. Des grèves de la faim ont eu des issues tragiques, d’autres ont abouties. Pour nous c’est le moment. Il faut vraiment, encore plus avec le champion de la Terre qui est français, que ça se traduise par des décisions historiques, inédites etc. Là, on lui donne l’occasion. On arrête les grands projets autoroutiers et la bétonisation des terres agricoles.
On a peur. Objectivement, ça fait des années que le combat dure. En face, c’est un rouleau compresseur, mais la résistance est là et jusqu’à la dernière cartouche. Peut-être que celle-ci l’est ou la sera. Ne serait-ce que pour se dire qu’on a combattu contre, pour pouvoir regarder ses enfants et se regarder soi-même dans la glace.
Fabien, étudiant ingénieur à Strasbourg
Pour moi, ce projet ne vaut rien au vu de toutes les possibilités pour désengorger Strasbourg. Le vélo, les transports en communs peuvent désengorger plus facilement la ville. C’est un projet qui va juste enrichir des gros comme Vinci.
Si je suis là ce soir, c’est pour savoir, comment à ma place en tant qu’étudiant, je peux encourager d’autres personnes à faire un jeûne, ne serait-ce que d’un repas. Beaucoup aujourd’hui ont une conscience écologique, sans pour autant être au courant de ce que c’est que le GCO et de son impact. Il suffit de se dire « aller on le fait » et de voir où est-ce que ça nous mène. La grève de la faim, ce n’est pas simple. Dire à quelqu’un : « aujourd’hui je ne mange pas, parce que je me bats pour quelque chose », généralement en face les gens réagissent par un « wow. Là c’est vraiment important pour lui. S’il va jusque-là contre un projet, c’est que ça doit être une belle saloperie. »
Après c’est mon premier jeûne, donc je vais déjà tenter 3-4 jours. Les gens autour de la grève vont nous aider donc je suis assez confiant. Il faut boire beaucoup d’eau et se combler le ventre. Au début, je voulais aller courir, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas la meilleure des idées… Je vais y aller molo, me reposer, écouter mon corps.
On m’a posé beaucoup de questions, mais aucun jugement ! J’explique pourquoi je milite, sans demander aux autres de le faire. Ma famille me soutient, mais me dit de faire attention à moi.
J’espère que l’État va se rendre compte que demain si on continue avec des projets comme le GCO, ça va être une catastrophe. Là des gens prennent des vrais risques pour montrer à quel point c’est n’importe quoi de faire ça. C’est une belle façon non-violente de manifester. Dans la rue ça peut toujours déraper.