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Des fresques « sexistes » sont apparues sur les murs de l’Université

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Internaute de mon cœur, laisse-moi te conter une trépidante aventure, riche en rebondissements, dont la savante morale saura éclairer tes pas dans les heures les plus sombres. Je me promenais comme à mon habitude sur les belles dalles du campus universitaire. Le temps était clair, l’air bourdonnait du ramdam joyeux des étudiants en linguistique qui se lançaient des déictiques chantants et autres joyeux morphèmes. Espiègles, les étudiantes de lettres modernes brûlaient des Gaffiots à l’ombre du Patio. Et c’est alors que je les vis, je rougis, je pâlis à leur vue, un trouble s’éleva dans mon âme éperdue.

, sur les murs chéris de la juste institution, en larges formes bariolées tranchant sur le velours du gris, deux fresques se dressent, Charybde et Scylla aux portes du détroit académique. Interloqué par ces mastodontes colorés dont je n’avais nulle connaissance, j’approchais d’un pas prudent pour en découvrir le détail. Et là, horreur, stupéfaction, le propos semblait parler… des femmes. Regardant aux alentours, je vis par bonheur l’endroit désert, et j’entrepris donc de ne pas m’attarder d’avantage près des graphitis suspects. On ne sait ce qui peut se passer lorsqu’on vous surprend à contempler une citation de Rousseau.

©Tristan Kopp

« La femme observe et l’homme raisonne »

Une citation signée J.J. ROUSSEAU & many others. Avant d’avoir pu m’interroger plus avant sur la nature du propos, j’ai pu remarquer que j’avais été précédé par un farouche combattant des libertés (quel que fut son genre). La fresque était d’ores et déjà ornée d’un tag vengeur : « SEXISTE ! La femme raisonne & observe ! ». Le justicier de la pensée — qui demeure encore inconnu de son service —  avait cependant délaissé la seconde fresque, trop comique peut-être pour mériter son courroux : « A woman without a man is like a fish without a bicycle ».

Bref, en bon millenial, je décidais de chercher conseil chez les plus fins esprits de mon temps : le groupe Facebook de l’Université de Strasbourg.

Pour tout dire, l’avis général semblait de prime abord assez tranché. Ces fresques sont sexistes, et il est honteux qu’en nos temps modernes pareils propos puissent subsister. D’ailleurs elles avaient était faites sans la moindre communication. Pourtant, cet emplacement, ce niveau de détail suggérait que l’Université avait autorisé la démarche. Quid alors du fond de ce sujet ?

Mon idée première fut de voir dans ces fresques un message antisexiste. La citation de Gloria Steinem, journaliste féministe américaine me semblait assez évidente là-dessus. Quand à celle de Rousseau, je remarquai qu’elle était recouverte des noms de nombreuses figures de femmes lui donnant tort. Les deux peintures semblaient devoir porter un propos à l’exact opposé de celui qu’on lui attribuait pourtant largement.

Et bingo.

©Tristan Kopp

Sous l’apparence sexiste pour certains, une démarche féministe

Ces fresques sont en réalité une partie du projet WOM-COM — Women Communication for solidarity. Ce projet, financé par la commission européenne et tiré du programme Erasmus + a permis de regrouper des femmes d’horizons divers et de plusieurs pays. Il y eut une rencontre en Serbie avec des jeunes des pays partenaires (Serbie, Bosnie, Croatie, Italie, France). Le projet vise les femmes qui, notamment en Europe de l’Est, au sein de contextes particulièrement oppressifs, peinent à faire entendre leur voix. En se mettant en relation avec des jeunes femmes de milieux plus urbains, de France et d’Italie, elles ont pu développer des discussions et des réflexions autour de la communication assertive. Cette communication est dénuée de toute forme d’agression, et consiste à se faire entendre efficacement dans la non-violence.

©Tristan Kopp

Avec l’ALDA (association pour la démocratie locale et partenaire de ce projet), Strasbourg accueillit un atelier d’initiation aux graphitis en mai 2018, et c’est une vingtaine de jeunes femmes — encadrées par des pros de l’association L’Atelier du Club et notamment le grapheur Seku Ouane, mais sans expérience préalable — qui ont réalisé ces fresque, notamment au pochoir. Des fresques similaires ont été en fait réalisées dans 6 villes à travers l’Europe, avec une inauguration prévue le 15 octobre. Chez nous, elle se déroulera au Molodoï.

La responsable du projet rationalise néanmoins les incompréhensions qui ont pu toucher les fresques. Une plaque explicative aurait dû être apposée sur le mur pour clarifier la démarche, mais elle accuse un retard dû au fournisseur. Elle reconnaît également que la citation de Rousseau peut sembler trop massive en comparaison du message implicite et biaiser sa compréhension. Mais l’idée d’origine était bel et bien de prendre une citation misogyne d’un des plus grands noms de la culture française, et de la contredire par des exemples concrets. La deuxième citation, plus légère, recouvre les noms des femmes non pour les invisibiliser mais parce qu’elle s’appuie sur elle — et cela crée un effet de contraste entre les deux fresques. Même les polices utilisées sont parlantes : la lourde rectitude de Rousseau, et la fluidité colorée de Steinem.

L’ALDA ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là, et dans les prochains mois se mettront en place des activités avec des femmes de la communauté locale, des ateliers artistiques et des sessions de mentorat afin de soutenir les situations les plus fragiles

La morale de cette chanson

À titre purement personnel, je considère cette démarche comme excellente dans ses intentions mais maladroite dans sa forme. L’emplacement de ces fresques dans un couloir de passage important assure leur bonne visibilité, mais implique que nombre de passants n’y prêtent qu’une attention limitée, les rendant plus sensibles à la citation rousseauiste qu’au message global de l’œuvre. L’Université est pourtant un cadre judicieusement choisi, car lieu de réflexion et de mûrissement des têtes pensantes de la société à venir.

Oui enfin, tout le monde ne mûrit pas à la même vitesse, qu’on se le dise ©Tristan Kopp

Le plus intéressant en définitive dans toute cette histoire, c’est que qu’elle nous dit de notre rapport aux informations. Notre hyper-connexion a sans doute développé chez nous un traitement très rapide des données, trop rapide même. S’arrêter au premier coup d’œil et en tirer des conclusions radicales — au point de dégrader une œuvre en l’accusant de porter un propos aux antipodes de son réel message est une dérive qui correspond à nos usages. Les journaux d’information en ligne vendent plus avec leur titre qu’avec leur corps de texte, et dans une surabondance de l’offre médiatique, nous avons bien trop souvent tendance à nous arrêter aux apparences et à y poser un jugement péremptoire.

Mais des histoires telle que celle-ci nous rappellent qu’esprit critique n’est pas un concept abstrait, mais une réalité applicable. Les fresques quant à elles perdureront, restaurées et recouvertes d’un vernis pour les protéger de futures dégradations.

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Commentaires (4)

  1. D’où provient l’hypothèse farfelue selon laquelle l’université aurait donné son aval? Et les ABF?
    Moi, je parierais pas sur un parfait respect des autorisations nécessaires…

    • Alors ce n’est pas une “hypothèse”, c’est une information confirmée conjointement par la direction de l’Université et l’association porteuse du projet. 😉

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