Si la Terre est ronde, son monde est carré. Depuis plus de dix ans, Vincent Gabriel tire sa ville natale sur film Polaroid – moins par mélancolie que par matérialisme : “J’aime cet objet… J’aime tenir la photo dans mes mains et la voir apparaître sous mes yeux. J’aime qu’elle existe, sensiblement.” Rencontre avec un perfectionniste passé pro dans l’art complexe de l’instantané réfléchi.
Ta rencontre avec le médium photographique…
Plus jeune je faisais du skate, et ce sont des choses associées, le skate et la photographie : il y a une grande culture de l’image dans le milieu du skate. Donc je me suis mis à faire des photos occasionnellement, pour immortaliser les figures des copains, mais sans me prendre au sérieux. À partir des années 2000 j’ai aussi fait un petit peu de vidéo, toujours sans plus d’ambition que ça.
Le Polaroid c’est arrivé plus tard en 2006. À l’origine c’était pas pour faire des belles photos de paysages, je voulais juste faire des snapshots des copains, des petits portraits sur le vif, sans fioritures. Mais très vite, je me suis attaché à l’objet. J’aime cet objet… J’aime tenir la photo dans mes mains et la voir apparaître sous mes yeux ; j’aime le bruit qui accompagne ma photo quand je déclenche, j’aime qu’elle existe, sensiblement. Au début, j’avais un outil très basique, le boîtier tout bête, et puis en faisant des recherches, je suis tombé sur le SX-70… Et là j’ai commencé à faire des photos plus réfléchies, plus construites. En plus, c’était le moment où l’usine Polaroid fermait, le prix des films grimpait… Donc forcément les potes sur le vif j’ai un peu arrêté ! [rires]
Ta pratique d’hier à aujourd’hui…
Même si je fais plus attention qu’avant ma pratique reste instantanée, spontanée. J’assume une pratique plus intuitive que technicienne, de toute façon impossible avec le Polaroid : on apprend à comprendre le film, comment il va réagir dans telles situations, telles conditions, mais ça reste un peu magique ! Je cherche pas les paysages que je photographie, c’est eux qui me tombent dessus… Sauf quand j’ai un modèle et une idée derrière la tête, je vais pas aller quelque part dans le but de faire des images… BON, sauf les jours de brouillard, parce que je connais des spots qui en sont transformés autour du Canal du Rhône au Rhin. [rires] Pendant longtemps j’étais obsédé par le ciel bleu au film SX-70, qui n’est plus produit, mais aujourd’hui j’aime bien les conditions un peu pourries. C’est plus compliqué à capturer mais ça donne une atmosphère, pas magique mais un peu mystique ; et je suis d’autant plus fier que c’est dur d’obtenir une belle image dans ces conditions. Ça me parle sûrement pour ça, le Polaroid, par perfectionnisme.
Dernièrement, j’ai une pratique plus réfléchie donc, parce que j’ai envie de l’image parfaite, enfin, de l’image parfaite à mes yeux, selon mes critères du moment… Parfois je tombe sur un vieux Polaroid et je me demande pourquoi je l’avais pas publié. Et puis en dehors de ma pratique disons habituelle, je fais des expériences… Par exemple, j’ai essayé les mosaïques après avoir vu le travail de Thomas Zamolo. J’ai aussi testé le transfert d’image sur papier aquarelle, mais ça peut se faire sur d’autres papiers : tu coupes ton Pola, tu le colles sur un support et tu transfères au sèche-cheveux. Souvent ça donne rien mais j’aime bien essayer des choses. Ça marche par période. Les paysages sont permanents, les portraits ponctuels, et les expériences passagères.
Le partage de tes images…
En ligne, je partage surtout via Instagram. J’ai un site mais je suis plus actif sur Instagram, qui m’influence… Oui et non. Je constate que je deviens plus difficile, plus exigeant, chiant, franchement. [rires] J’ai envie d’un feed cohérent visuellement, mais ça a un côté… Un peu pervers. Là ça doit faire quelques jours que je me retiens de publier des portraits parce que ça ferait tache parmi les paysages… C’est bête. Donc je suis influencé dans la présentation, mais pas dans l’image en tant que telle par contre. Les modes Instagram, je m’en fiche : je suis un peu hors concours avec mon vieux machin de toute façon !
Y a une autre plateforme que j’aime bien c’est Polanoid.net. Le but original de ce site c’était de créer la plus grosse bibli en ligne de Pola. Aujourd’hui, ce sont surtout des photographes très forts qui postent, mais à l’origine on trouvait un peu de tout. Ça m’a poussé à faire des belles images, d’autant que chaque jour une photo était mise en avant en front page, Pic of the day. C’était un peu le but ultime, j’ai eu cet honneur quelques fois et ça donne envie de continuer à bosser tes images. J’ai aussi fait des expos, toujours des expos collectives avec d’autres alsaciens qui font du Pola, avec lesquels on s’est retrouvés pour former Polalsaco. On s’est vus au Chariot, on y a fait une première expo en 2008/2009, et depuis ça continue avec Expolaroid notamment.
L’avenir : profession photographe ?
Comment je me place dans le paysage strasbourgeois… Je me place pas. [rires] Je fais rien pour être suivi, j’aime juste partager avec la communauté Polaroid, on est nombreux et pas nombreux en même temps, on se connaît tous un peu. Je vois pas de concurrence. En plus, moi, je me considère pas photographe. Je suis… Polaroïdeur ? Polaroïste ? C’est du plaisir… En vivre ça me mettrait de la pression là où il n’y a que du plaisir, alors je vends des tirages qui me restent après les expos mais ça s’arrête là : j’ai pas envie d’être vendeur, d’avoir cet impératif, ce but. Je veux rester dans l’instant.
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