Alors que septembre se conclue doucement et que les folies de la rentrée laissent place à une morne routine qui s’installe pour de longs mois, que diriez-vous de rompre la monotonie en allant au théâtre ?
Oui ? Parfait, alors voici un petit guide pour vous aider à guider vos pieds frigorifiés vers les salles obscures du spectacle vivant. Et aujourd’hui, parlons du plus illustre théâtre de notre ville : le Théâtre National de Strasbourg.
Dirigé par Stanislas Nordey depuis 2014 (2015 en réalité, vu la difficile passation de pouvoir avec l’ancienne directrice, Julie Brochen) le TNS accueille la fine fleur du théâtre français. Il faut dire que le directeur fait partie d’un réseau assez marqué de metteurs en scène qui tournent à la tête des grands théâtres depuis quelques années maintenant. Les équipes artistiques s’entremêlent au fil des projets, et cela assure au public strasbourgeois une programmation solide et qualitative.
Alors que peut-on attendre au TNS cette année ? Déjà, notez qu’il s’agit des 50 ans de la structure, et qu’on peut donc s’attendre à une foule de célébrations, et surtout des événements dédiés à une réflexion au service de l’avenir. Comme a pu le souligner Stanislas Nordey, il est plus important de se projeter vers les 50 prochaines années plutôt que de replonger dans un passé révolu. Je ne vais pas vous rejouer toute la présentation de saison (d’autant que sa captation vidéo est trouvable en ligne) alors penchons-nous plus spécifiquement sur cinq spectacles qui me semblent particulièrement alléchants.
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Saigon – du 6 au 16 novembre 2018
En voilà un qui a suscité une adhésion unanime. Créé par Caroline Guiela Nguyen (ancienne élève du TNS) à Valence et présenté à Avignon en 2017, c’est un spectacle avec une scénographie assez courante sur les plateaux contemporains : un intérieur froid, morcelé en plusieurs espaces, s’étendant sur un large plateau. Cet espace est un restaurant qui se situe tantôt à Saïgon en 1956 et tantôt à Paris en 1996.
Avec un mélange d’acteurs français, vietnamiens et français d’origine vietnamienne, le spectacle est en mesure de narrer son récit avec un réalisme déstabilisant. L’histoire racontée est celle d’un passé colonial français encore très frais, et étrangement bien moins mis en avant que celui de l’Algérie. Il est vrai que nous oublions trop souvent l’Indochine, et sa guerre. Ce spectacle aux allures fantomatique est là pour nous le rappeler. Alors oui, ce ne sera visiblement pas une franche partie de rigolade, mais mieux vaut en profiter pour s’instruire sur cette part sombre de notre histoire nationale.
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Les Terrains vagues – du 14 nov au 24 nov 2018
Nous venons de parler d’une élève qui quitta le TNS en 2008, à présent en voici une sortie plus récemment : Pauline Haudepin. C’est un spectacle écrit et mis en scène par ses soins. Elle en avait déjà présenté une première version dans le cadre de l’Autre Saison en 2016. J’avais pu la voir et c’était déjà très prenant. L’histoire se présente comme une variation autour du conte de Raiponce. Alors oui, nous sommes assez submergés de variations de contes sur les scènes théâtrales ces dernières années, mais si toutes étaient de ce calibre je ne m’en plaindrais pas.
La mise en scène reste sobre malgré une scénographie très expressive, à base de découpages lumineux bruts et d’alambics vomissant leurs fumées. J’en garde un bon souvenir, mais ce n’est évidemment pas le même spectacle qui sera présenté cette saison. Cela me rend donc fort curieux quant à la version, disons, finalisée des Terrains vagues.
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Thyeste – du 5 au 15 décembre 2018
L’enfant chéri de la mise en scène française revient au TNS pour un nouveau spectacle qui a déjà enflammé la cour du Palais des Papes cet été. Bien que j’ai pu rester assez dubitatif devant Le Radeau de la méduse où la scénographie élégante contrastait avec les acteurs excessifs, j’ai de grandes attentes.
Déjà, c’est du Sénèque, c’est une valeur sûre. Ensuite, le texte est une nouvelle traduction assurée par Florence Dupont, la papesse des latinistes. Notons aussi une esthétique visuelle très SF, à l’image de ce qu’on pourra voir dans Les Terrains vagues d’ailleurs. Enfin, c’est une histoire horrible, un des plus grands mythes grecs, à l’origine de la célèbre famille maudite des Atrides. Une histoire de meurtre, d’adultère, et de lutte pour le pouvoir. Certes, il n’y a pas de dragons, mais qui a besoin de dragons quand on peut avoir des meurtres d’enfants et du cannibalisme ?
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La Dame aux camélias – du 28 mars au 4 avril 2019
Petit bond dans la poitrine en découvrant le nom du metteur en scène : Arthur Nauzyciel, indubitablement un des hommes de théâtre les plus admirables du paysage contemporain (et je ne dis pas ça parce que j’ai vécu à Orléans pendant qu’il dirigeait le CDN local, non non non). Le public Strasbourgeois avait pu découvrir Jan Karski (Mon nom est une fiction) en 2016, un spectacle majeur. Pour cette saison, ce sera une autre adaptation de roman : La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils donc.
Le roman fut si influent qu’il a changé l’orthographe de la fleur (suite à une erreur de Dumas qui fut donc largement diffusée). Il adapta également son texte en pièce de théâtre plus légère quelques années après. Le spectacle est un aller et retour permanent entre ces deux versions d’une histoire tirée du propre vécu de l’auteur. Il porte une réflexion sur l’institutionnalisation de la prostitution par la bourgeoisie au milieu du XIXe. Une époque où les maisons de passes sont pensées comme des lieux initiatiques pour la construction de l’identité masculine. C’est notre héritage, et il résonne particulièrement en ces temps de bouleversements sociaux.
La saison dernière était, selon Stanislas Nordey, « plus complexe, plus à risques que la 18-19 ». Les spectacles de cette année sont pour beaucoup déjà créés, assurément de qualité et reposent sur des textes forts du répertoire culturel, même s’il s’agit peu de textes proprement théâtraux. Et pour cause, le dernier spectacle dont je veux vous parler est lui aussi une adaptation de roman.
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Le colonel des zouaves – du 14 au 24 mai 2019
Je l’attendais, depuis longtemps. Ce spectacle est une reprise bénie, réminiscence du début d’une aventure commencée il y a 20 ans. C’est la première collaboration du trio maintenant fameux Ludovic Lagarde (mise en scène) Olivier Cadiot (écriture) et Laurent Poitrenaux (interprétation). Ce premier spectacle fut créé en 1997, et fut suivi d’autres travaux (Un mage en été, Lear is in town, Providence).
À proprement parler, Olivier Cadiot n’écrit pas du théâtre. Il écrit des romans en sachant qu’ils seront adaptés pour la scène, et à Ludovic Lagarde de se débrouiller. Malgré tout, l’auteur est lié au plateau, et lorsqu’il écrit il raconte entendre la voix de Laurent Poitrenaux réciter le texte.
Ce Colonel des zouaves, préparé avec l’aide de la chorégraphe Odile Duboc, aujourd’hui disparue, c’est un dispositif minimaliste, une économie de mouvements et pourtant une très puissante expressivité. Robinson le domestique plonge dans un monde issu de sa propre construction mentale. Laurent Poitrenaux, pour qui le travail sur ce spectacle à beaucoup influencé le reste de sa carrière, est très habile dans les seuls en scène. Il sait parfaitement retranscrire les puissantes émotions de son personnage sans pour autant devoir se livrer à une débauche de sueur, de larme et de salive.
C’est à mon sens le spectacle à ne pas louper de cette saison, même s’il faudra attendre mai pour le voir !
J’espère que vous êtes à présent tout chaud bouillant. Je vous laisse en découvrir plus sur cette saison et les autres spectacles sur le site du TNS, et à bientôt dans les halls de pierre !