Ils régneront sur le monde, avec ou sans votre consentement. D’ailleurs, ils ont déjà énormément de pouvoir et connaissent votre vie au clic près grâce aux milliards de données qu’ils accumulent sur votre ordinateur ou smartphone. Les célèbres GAFAMs (Google Amazon Facebook Apple Microsoft et autres géants du numérique) sont le fer de lance d’un nouveau mouvement idéologique, philosophique parfois purement politique et parfois presque spirituel à la limite du sectaire : le transhumanisme. Ils poussent la recherche autour des Intelligences Artificielles, investissent massivement dans tous les secteurs et promeuvent leurs innovations presque comme les fins politiciens défendent leur programme.
L’objectif du Transhumanisme ? « Augmenter » ou améliorer l’être humain grâce à la technologie, allant pourquoi pas jusqu’à un stade d’un « posthumain » qui aurait des capacités bien supérieures à celles prodiguées simplement par la nature ou même le dépassement et le remplacement de l’humanité par les machines.
Les progrès presqu’exponentiels de la science et l’avènement de l’ère du numérique ont accéléré les questionnements philosophiques autour de nos avancées technologiques.
Faut-il laisser le contrôle de ces technologies aux grands groupes ? A l’état ? Aux individus ? Les robots prendont-ils le pouvoir si l’on laisse faire ? Doit-on avoir le droit de modifier son génome ? Que faire si l’on développe la vie éternelle ? Tant de questions qui ne se posent probablement pas assez dans le débat public ni chez nos politiques, par tabou, méconnaissance ou flemme.
A Strasbourg, un groupe local de l’AFT (association française de transhumanisme d’environ 200 membres, elle-même rattachée à l’association internationale H+ ou Humanity Plus) s’est réunie au Graffalgar en août dernier comme ils le font régulièrement environ une fois par mois (la prochaine étant le 15 septembre). La poignée de membres de la branche strasbourgeoise laisse une libre discussion ouverte au public sur ces sujets qui lui sont chers. Entre quelques questions de deux retraités intrigués, d’une critique d’art fascinée et d’un proche de l’AFT, trois encartés de l’association sont présents ce jour-là. Rencontre avec ces strasbourgeois qui nous ont expliqué leur point de vue, en disant défendre un transhumanisme social, éthique et égalitaire et de promouvoir « l’idée que le progrès technologique actuel peut et doit aller de pair avec les avancées sociales. »
Alexandre (nb. nom changé) – 27 ans ingénieur en informatique, adhérent à l’AFT depuis 2017 et sympathisant depuis 2010/2011
J’ai découvert le transhumanisme pendant mes études et ça m’a plu. J’ai le même point de vue que Gautier (voir plus bas) dans le sens où je pense que tout est réductible et explicable par la Physique. En pratique, on a encore besoin de la biologie et des sciences sociales, mais pour nous tous les phénomènes sont explicables via les sciences physiques. Je suis un déterministe dur, je ne crois pas dans le libre arbitre. Pour moi le transhumanisme, c’est la conviction que la nature ne fait pas toujours bien les choses. Il y a des problèmes insolubles par des réponses purement sociales et non-technologiques.
Pour résumer grossièrement, à l’origine le transhumanisme était très lié au libertarianisme, l’ultra-libéralisme sans limite, et estimait que l’état et la société ne sont pas les mieux à même de gérer et devraient agir le moins possible sur les individus. L’AFT prône un transhumanisme plus « de gauche » qui dit que les technologies d’augmentation humaine doivent devenir publiques et accessibles à tous.
Le groupe local nous sert à diffuser nos idées, à débattre et discuter entre nous et avec ceux qui le souhaitent. Personnellement, je n’aime pas trop parler en public alors je n’ai pas encore fait de conférence etc. Mon intérêt pour la technique m’a attiré vers mon métier d’informaticien et vers le transhumanisme. Mon profil un peu « nerd » peut peut-être expliquer tout ça.
Ce qui m’intéresse le plus, c’est peut-être la génétique. J’aimerai que les inégalités d’origine génétique soient réduites. Pour beaucoup de gens, quand on change la génétique, on change fondamentalement la personne, donc ce n’est pas bien. A mon sens, c’est comme dire à un cancéreux, que lui enlever son cancer c’est mal parce que ça fait partie de lui. Pour moi, il faut dissocier la personne de ses gènes. Pour l’être humain augmenté, ça dépend. J’envisage surtout des augmentations à court terme et qui ne sont pas tant des augmentations que des optimisations de fonctions humaines déjà existantes. Je suis évidemment POUR rendre la société plus égalitaire d’un point de vue social, mais à un moment on va buter sur des inégalités biologiques. Le transhumanisme peut répondre à ça.
« Les gens ont tendance à penser que c’est une secte »
Je ne dis pas aux gens que je suis transhumaniste en général. Avec tout ce qui se dit dans les médias, sur internet etc, les gens ont tendance à penser que c’est une secte, ou qu’on est des nazis ou je ne sais pas quoi. Médiatiquement le transhumanisme est toujours présenté sous un aspect ésotérique voire anxiogène. Au mieux, on est un peu fou fou et au pire on est des nazis. Je ne tiens pas à être associé à ces images. Comment changer ça, je ne sais pas.
Il y a évidemment des préoccupations qui sont légitimes, même si elles ne sont pas forcément valides. Vis-à-vis des inégalités sociales, des questions existentielles voire de survie de l’espèce humaine etc d’accord… mais il y aussi par exemple la manipulation génétique, certains y sont opposé sous toutes ses formes quels qu’en soient les potentiels bénéfices. Par principe, nous on est contre ce genre d’arguments.
Gautier Kiln 26 ans – ingénieur en informatique dans le milieu bancaire, membre de l’AFT depuis 2 ans et gère le groupe strasbourgeois qui existe depuis 1 an et demi
Ce que promeut l’AFT, c’est d’expliquer que ces évolutions doivent se faire de la manière la plus égalitaire possible. Aux USA, ils ont du mal avec la Sécurité Sociale. Au niveau du transhumanisme, de notre point de vue européen, les Etats et l’UE ont leur mot à dire là-dessus et on pourrait viser un transhumanisme qui bénéficierait à tous, mais on a pris du retard.
J’adorerai pouvoir connaître mon génome. Aujourd’hui pour des informations sur mes ancêtres ou sur de potentielles maladies je dois envoyer mon sang aux USA alors que ce ne sont pas des informations que je veux donner à n’importe qui. Malheureusement l’Europe préfère souvent interdire que comprendre et contrôler des technologies trop «nouvelles ». Ça pose des soucis, par exemple les chercheurs qui partent ailleurs. Ils sont limités en Europe, il y a une vision très fixiste.
Le risque qu’il y aurait avec un transhumanisme capitaliste c’est de diviser la société entre ceux qui ont accès à la technologie et les autres. Ca causerait énormément de malheur et j’estime que ça serait mauvais. Il faut vraiment pousser la technologie partout, ne pas l’imposer mais permettre son accès à chacun.
Rendre accessible la technologie pour tout le monde
Je ne suis pas transhumaniste à la base. Je suis avant tout quelqu’un de passionné par le fait de comprendre des choses. Et l’être humain c’est l’une des choses les plus complexes que je connaisse. De mon point de vue, les technologies vont de toute façon avancer à moins qu’une météorite ne nous tombe dessus. Ça me paraît complètement utopique de dire que le transhumanisme va être interdit à jamais et que plus jamais personne ne changera quoi que ce soit. Le transhumanisme arrivera quoi qu’il arrive. Du coup, il faut informer les gens le plus possible (les politiques aussi) pour que ça se passe BIEN et qu’on puisse limiter des choses et ne pas se retrouver avec des yeux lasers à la X-Men. Si on interdit tout, on risque d’arriver à des choses pires que si l’on les intègre en les contrôlant.
La vision du grand publique est très mauvaise. Les films sont peut-être un peu à blamer. On a peu d’utopies transhumanistes, on ne voit que des dystopies. On ne voit que ça ! La société n’imagine pas que ça puisse aller mieux. On a tellement tout aujourd’hui qu’on se dit que ça ne peut qu’aller pire. On imagine l’avenir très très sombre et ça me fait peur parce que si on n’a plus d’espoir, on va dans le mur ! L’espoir, l’amour pour la connaissance et la science, c’est salvateur !
La plupart des opposants avec qui je discute ont très peu d’arguments et une vision biaisée et fixiste de ce qu’est un humain ou la pensée… Pour eux, ce ne sont pas des choses modifiables. Ils ont peut-être l’impression que nos discussions sont dénuées de réalité, alors qu’on est juste un groupe de rationalistes… Si demain on me prouve que le transhumanisme ce n’est pas la solution et qu’il faut plutôt faire ça, je écouterai et si je ne peux pas contrer ses arguments, je me devrais de changer d’avis, et je pense que je ferais une association avec lui.
Arnaud – fondateur du groupe local strasbourgeois de l’AFT, militant écologique, notamment pour les droits des animaux et anti-nucléaire
L’AFT est une association francophone rattaché au H+ (humanity +), l’association de tous les transhumanistes du monde. A 80%, ces gens ont tous le cœur à gauche. Ils sont conscients que la technologie doit être partagée et que tout le monde doit en bénéficier. L’idéologie globale du transhumanisme est vraiment de gauche ! Par rapport aux anglo-saxons, en France, on a la nuance d’être encore plus à gauche… Eux disent « on fera ce qu’on pourra et si les gens peuvent en bénéficier, tant mieux », nous on veut au moins que l’état paye la recherche et que via la sécu tout le monde bénéficie de ces innovations. Il y a déjà plein de trucs qui restent dans les laboratoires. Et le prix brut de la recherche et de la mise en œuvre reviendrait moins cher que la prise en charge des malades.
Le soucis avec les milieux alternatifs dits « de gauche » c’est qu’ils ne sont pas tous au même niveau de compréhension des sujets qu’ils défendent. La plupart des végans par exemple ne savent pas qu’ils sont transhumanistes. Pour ceux qui prennent de la vitamine B12 en pilule sortie d’une usine Sanofi, ils sont dépendants d’une technostructure pour pouvoir vivre la vie qui leur convient moralement. Dans ces milieux, la plupart sont hostiles au transhumanisme et ce par dogmatisme. Ils pensent que la science est en complète contradiction avec la nature.
Sans la science on ne pourra jamais remplacer nos centrales nucléaire par quelque chose de mieux ni détruire nos déchets radioactifs. On est obligé de développer des solutions alternatives via la science ! Cette dernière est indispensable. Mais certains pensent qu’il faut tout arrêter et qu’il faut revenir à la charrue presque. Le transhumanisme est avant tout social. La minorité des transhumanistes que les gens voient dans la presse, c’est le transhumanisme ultra-libéral qui dit que le progrès, c’est uniquement pour les capitalistes supra-riches. Attention, je ne parle pas forcément des GAFAs, les Zuckerberg, Larry Page et compagnie. Eux, ils font aussi des IA (intelligence artificielle) en accès libre (open souce) pour que ça aille plus vite, laisser les jeunes bosser dessus, mais aussi pour avoir les innovations parfois indispensables des autres compagnies en échange. Certes ce ne sont pas des humanistes, mais je ne pense pas qu’ils soient non plus le véritable problème/danger. Certains veulent s’emparer de ces technologies pour les garder pour eux pour rester éternel et en bonne santé etc pendant que nous on croupira dans la misère. C’est eux le problème.
Les gens ont peur que l’on modifie le corps. Nous, c’est un espoir que l’on a. Le corps, il n’est pas bon, il est fragile. Mourir à 20 ans d’un cancer, c’est pas bon. On a des propositions pour faire en sorte que tout le monde puisse vivre bien et longtemps.
« Ce n’est pas de la magie c’est de la science »
On n’est pas des gourous chez les technoprogressistes, on est des gens tout à fait sérieux. Les solutions existent, mais les gens ne le savent pas ! C’est pour ça que l’extrême gauche déprime. Ils pensent que le monde est foutu. Nous, on ne peut pas faire plus que de passer l’information. Les gens nous prennent pour des fous. Ils pensent que nos propositions sont surréalistes. On a plein de scientifiques avec nous ! Des ingénieurs, des chercheurs en génétique en informatique etc… Les fonctionnaires européens nous écoutent dès fois, même s’ils sont lents. Quand on leur fait une proposition, ça tombe souvent au fin fond de la boite aux lettres.
On a beaucoup de sympathisants… mais pas beaucoup d’encartés, forcément. On a participé au forum de la bioéthique, on fait des tables d’information, des conférences… mais on n’est pas accepté partout. Chez les verts ou dans des présentations de films de science-fiction par exemple, c’est compliqué… On espère vraiment pouvoir enfin passer avec un stand place Kléber, même si on a un peu peur de se faire lyncher par ceux qui nous prennent pour des méchants (droitards religieux ou extrémistes de gauche). Certains ont pour habitude de ne pas parler, mais de commencer par frapper en premier. Mais ça ne m’empêche pas d’aller et de dialoguer avec eux. Leur vie en communauté autonome ne marchera pas si la Terre est déjà polluée et détruite tout autour d’eux. Un nuage toxique ça ne s’arrête pas aux frontières. Il y a la science-fiction et les choses qui existent déjà. Si l’Etat en avait la volonté, on pourrait faire des opérations de thérapie génique dès demain par exemple, et sauver des vies ou en améliorer d’autres considérablement.
Une réunion associative et politique banale, intéressante mais sans surprise
La réunion s’est déroulée de manière assez morne, dans une ambiance tristement bon enfant. On écoute chacun mettre en avant son point de vue. Le débat dérive entre croyance religieuse, fake news, risque d’eugénisme, changement climatique et les dernières avancées technologiques. On sent que les adhérents ont beaucoup réfléchi sur ces sujets et qu’ils connaissent les dossiers presque sur le bout des doigts avec les détails techniques. Rationalistes de la tête aux pieds, leur point de vue est parfois déroutant, souvent très autocritique, et s’ils sont peut-être pas les plus à l’aise devant un public, on est loin de la caricature de la secte galvanisante de foule, fanatique des nouvelles technologies à outrance. Rassurez-vous, les vendeurs de puces biologiques ne courent pas encore les rues strasbourgeoises.
Pour autant, si le mouvement de l’AFT prône un “transhumanisme social”, on est en droit de se demander si cela est réalisable politiquement ou si ce n’est pas qu’une façade acceptable pour pousser l’adhésion aux idées du transhumanisme en général, comme “l’idiot utile” du transhumanisme vicieux. Sans oublier que les technologies avancent souvent bien plus vite que nos législations. Il est de toute manière crucial de (re)mettre en avant ces problématiques au devant de la scène.
Et vous qu’en pensez-vous ? Comment doit-on apprécier et gérer les nouvelles technologies qui bouleversent et bouleverseront nos habitudes, nos comportements voire notre rapport à la mort et à l’existence ?
Pour aller plus loin:
Le lien de la prochaine réunion à Strasbourg le 15 Septembre au Graffalgar
Quelques personnalités françaises autour du transhumanisme:
L’article est presque bon sauf la fin ou il y a toujours (quel que soit l’auteur) la même erreur d’attribuer à tort un sens politique à la technologie (globalement au progrès) car ce n’est pas la “nature” du transhumanisme d’être ou pas vicieux (dangereux) puisque son orientation (application en bien ou en mal) dépendra essentiellement du mode de gestion capitaliste ou non de la société. Un transhumanisme social (qui a pour nom Technoprogressisme comme le propose l’A.F.T) s’imposera par la volonté du peuple. Concernant “les personnalités françaises autour du transhumanisme” ; l’article ne propose que 2 cas extrêmes entre un néolibéral Laurent Alexandre (qui n’est pas membre de l’A.F.T) suivit d’un bioconservateur Jacques Testart (anti transhumaniste) alors qu’il y avait à minima les co-fondateurs de l’A.F.T qui sont Marc Roux & Didier Coeurnelle, auteurs du livre : Technoprog, le transhumanisme au service du progrès social.
Pour savoir ce que promeut L’A.F.T => https://transhumanistes.com/declaration-technoprogressiste/