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Rencontre avec ces strasbourgeois qui jouent aux cartes Magic

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Pokemon, Yugioh, Magic ou encore Dragon Ball et Final Fantasy… des milliards de petits bouts de cartons ont été imprimés dans le monde pour les fans de ces univers. Depuis plus de 25 ans, les jeux de cartes à collectionner (JCC ou TCG pour Trading Card Game) ont pris une place de choix à côté des traditionnels jeux de famille type Tarot, Belote et autres. Un graphisme travaillé et des mécanismes de jeu complexes, accompagné d’un système économique très rodé et de communautés bien entretenues, voilà la recette magique des JCC.

Strasbourg accueille une des plus grandes communautés de joueurs de France autour du jeu Magic The Gathering (MTG ou Magic). Depuis le début de la sortie française du jeu en 1994, les passionnés se regroupaient dans des lieux comme Philibert pour discuter, échanger et jouer. Le jeu a récemment repris une envolée de vente avec le retour d’une nouvelle extension et la baisse relative de l’intérêt du jeu de carte en ligne Heartstone, qui avait fortement remis en question les entreprises de JCC lors de sa sortie. L’objectif du jeu ? Être un sorcier, accumuler du mana pour jouer des sorts et des créatures pour réduire les points de vie de son adversaire à zéro. A côté du jeu en lui même, tout un écosystème s’est développé autour de ces petites cartes à la valeur marchande très variable et à la valeur sentimentale inqualifiable aux yeux des fans.

Tournoi au Meltdown organisé par l’asso Magic TT en partenariat avec Philibert

A Strasbourg, les joueurs se retrouvent entre eux, lors d’une soirée bière-pizza, ou plutôt dans des centres de jeu ou encore lors de tournois locaux organisés chaque semaine. Rencontre avec quelques acteurs de la MagicSphère strasbourgeoise avec qui nous avons pu “taper du carton” en parlant spéculation, nostalgie, communauté et JCC dans la société.

François – Personnalité phare de Magic à Strasbourg, collectionneur, revendeur particulier et organisateur des tournois “Magic Grand-Est”.

J’ai repris après une bonne pause en 2006 à Strasbourg. J’avais du temps de libre. Étant DJ, donc du monde de la nuit, j’avais mes après-midi de libre. J’avais moyen de les tuer en « tapant » du carton avec des potes. On allait à La Caverne du Gobelin à l’époque. Depuis, je me suis mis à organiser des tournois, faire des échanges et des rachats de manière plus conséquente. Un grand tournoi du coin s’est cassé la gueule, alors je me suis mis à en organiser. Magic Tournoi Grand Est regroupe à peu près 200 personnes sur un weekend. Le prochain c’est du 12 au 14 octobre.

Ce qui est bien c’est qu’il y a des formats de jeu pour tous les budgets. En « paysan » (un format de jeu avec des cartes à bas prix) tu peux t’en sortir pour 20-30€ alors qu’en OldSchool/Vintage, ça peut monter à 50 000€. Tu n’as pas besoin de mettre 500€ dans ton deck (paquet de cartes que le joueur assemble en fonction de ses stratégies, généralement 60) pour trouver le jeu amusant. Par contre, il faut trouver des joueurs du même format que toi. Dans une seule journée je peux faire des échanges de 10 000€ ou plus avec une seule personne. Il y a des cartes qui valent 7000€ pièce. Je peux avoir plusieurs visites par jour comme une par semaine, c’est très aléatoire. L’approche de certains tournois ou la sortie d’extensions jouent sur la demande.

Des cartes à 7000€ pièce

On a la chance d’avoir une communauté strasbourgeoise très développée, surtout en Modern (format de jeu comprenant les dernières cartes sorties sur une période de quelques années). Perso, j’aime beaucoup jouer des formats en draft (format de jeu où chacun fait son deck sur place à partir de cartes distribuées aléatoirement, souvent encore scellées dans leur booster ou paquet) parce que tout le monde est à égalité et tu ne sais pas sur ce que tu vas tomber.

Les gens aiment bien venir chez moi. S’ils ont le temps ils peuvent fouiller et trouver presque tout ce qu’ils cherchent. Et puis j’organise aussi des tournois en petit comité sur la terrasse, on s’amuse et c’est bon enfant. Je peux recevoir des avocats comme des mecs au RSA, il n’y a pas de profil type de joueur. Il y a beaucoup de joueurs qui ont tout revendu quand ils ont arrêté et 5-10 ans s’y remettent par nostalgie. C’est comme quand tu retrouves ta première gameboy 20 ans après dans des cartons, sauf qu’en plus le jeu a évolué.

Et puis Magic c’est très addictif ! Le sentiment quand tu ouvres un booster… « Qu’est-ce que je vais avoir dedans ! » Ta collection sera toujours incomplète… Une fois que tu as chopé ce que tu cherchais, ça perd de l’intérêt et il faut aller vers autre chose. Mon objectif était d’avoir chacune des cartes existantes en un exemplaire. C’est fait. En ce moment je me tourne vers les cartes ayant des erreurs d’impression. Ce qui me pousse à faire tout ça c’est la passion et le fun du jeu. Va demander à quelqu’un pourquoi il collectionne les fèves ou les timbres ! Chacun à ses petits démons, je préfère celui-là que d’autres choses qui pourraient être bien plus malsaines.

Felix aka Filex – Auteur de BD et prof de BD pour enfants et adultes et nouveau joueur de MTG

 

J’ai acheté mon premier deck il y a un mois. J’y joue parce que je suis très fan de jeu de cartes et que mon pote Pierre y joue. On joue au Tarot et des trucs du genre dans ma famille. Je suis un joueur gameplay de base. L’habillage c’est un bonus. Là en l’occurrence, c’est fantasy à la Warhammer, Donjons et Dragons… et ça me plaît.

Là c’était mon deuxième tournoi, après un autre la semaine dernière. Je ne joue qu’au format paysan à cause de mon budget. De base, je ne porte pas le système des TCG/JCC (Trading Card Game ou Jeu de Carte à Collectionner) dans mon cœur… en terme de game design on peut faire mieux, il y a la spéculation… mais la communauté l’emporte un peu sur tout ça. De ce que j’en ai vu, elle est super sympa et ne ressemble pas du tout à d’autres communautés de jeu ou de sport que j’ai pu fréquenter.

Les jeux de bastons type streetfighter sont beaucoup trop compétitifs à mon sens, même en local, avec beaucoup de mauvaise foi, la tension monte très vite. Ici, pas de pression. Je suis venu avec mon deck sans trop savoir jouer et personne est venu me dire « oh t’es une chiasse ». La dernière fois, je ne m’étais pas trop amusé parce que je ne maitrisais pas trop mon deck, mais là, le fait de découvrir le deck des autres à travers le mien c’est très agréable.

« Comment vais-je contrecarrer ce qu’il vient de me sortir.. ? »

Ça reste assez mal compris de dire que tu vas passer ta soirée à jouer aux cartes. Les gens se fixent sur les clichés. C’est super labélisé « nerd » asocial, genre « tu pourrais sortir avec nous à la place », alors que ce n’est pas du tout incompatible.

Il  y a également un très gros problème de misogynie dans les milieux de jeu, c’est avéré. J’ai plein de potes meufs, c’est très difficile de leur donner envie de jouer à des jeux un peu compétitifs, où elles vont souvent être la seule nana de la salle … Pendant le tournoi là, il y a un mec qui m’a fait deux blagues de merde sur la taille des seins des personnages de ses cartes genre « ah moi je manie des gros seins lol ». Mais ça reste beaucoup moins toxique que des trucs type FPS (jeu vidéo de tir à la première personne) ou MOBAs (jeu d’arène en ligne multijoueur)… Ça dé-sociabilise clairement, le fait de se priver de la moitié de la population comme ça.

Laurent – Photographe/vidéaste professionnel et joueur régulier de tournoi 

Je ne connais la communauté strasbourgeoise de Magic depuis seulement 1 an. Auparavant, j’ai fait un gros break de 7 ans. Tous mes anciens potes se sont installés à Strasbourg et ils s’y sont remis avec le même état d’esprit. On m’a invité à une soirée et quand j’ai repris les cartes en main, j’ai ressenti un truc, une vague de nostalgie. C’est un peu ma génération aussi, 1994 les premières cartes… ça a ravivé tellement de souvenirs… Depuis un an, c’est ouf j’ai l’impression qu’il y a une résurrection de Magic. Les anciens se chauffent entre eux pour reprendre et il y a pas mal de nouveaux joueurs.

Laurent affrontant un nouveau joueur lors d’une session nocturne chez un ami

 En ce moment, je joue 1 soir par semaine seulement, parce que je travaille beaucoup l’été, sinon 2-3 soirs par semaine, avec souvent le tournoi du mercredi soir au Meltdown. C’est vraiment à la cool comme endroit pour jouer parce que c’est un bar. Tu peux y aller, manger, boire un coup et discuter avec les gens tranquillement. Vent Divin c’est assez spécial, c’est moins mon truc. C’est juste une salle, sans musique… tu y vas uniquement pour jouer à Magic et t’entrainer. La Maison des Jeux c’est parfait le dimanche soir pour finir la semaine…

En général les gros joueurs de Magic gardent leurs cartes depuis longtemps. Moi c’est différent. Il y a 7 ans je venais de finir la fac, il me fallait de l’argent pour acheter une caméra pour commencer à bosser. Je n’avais pas un rond, mes cartes trainaient inutilement chez moi, donc je suis allé les vendre en magasin, le tout à 350€. Ça m’a brisé le cœur, j’avais une collection de ouf. Aujourd’hui, le prix de ce que vaut une seule de ces cartes peut monter facilement à 300€ l’unité.

Mais, j’ai bossé pendant 7 ans comme un malade, j’ai la chance de bien gagner ma vie, la vente de mes cartes m’a permis de me lancer et d’évoluer professionnellement. J’ai pris une revanche puisque maintenant j’ai les moyens de les racheter et de rejouer à Magic, ce que j’ai fait.

C’est quoi ton rapport aux cartes ?

J’adore tout simplement avoir des cartes en main. Quand j’étais gamin, ma mère me donnait de l’argent pour choper des cartes panini. Une fois quand elle m’a envoyé chercher des baguettes avec un peu d’argent pour les paninis… évidemment je ne suis pas revenu avec le pain et je me suis fait engueulé, mais j’étais content, j’avais mes cartes ! J’adore tenir les cartes et avoir le visuel. C’est comme la photographie, le numérique c’est cool mais ça ne vaudra jamais l’argentique ou un tirage où tu peux avoir la photo en main.

Je ne suis pas un collectionneur. Je ne vais pas chercher à remplir mon deck de cartes brillantes. Je m’en fou complètement. C’est plus l’univers, à la fois au niveau du gameplay et de l’esthétique médiéval-fantastique. Les dessins sont trop beaux ! Le jeu en lui-même est complexe et cohérent. Le blanc c’est un peu le camp du bien, le noir le mal, le bleu la magie, le rouge le feu les goblins etc, le vert l’esprit de la forêt…

Comment la société perçoit les joueurs de ton point de vue ?

Chacun sa vision des choses. Si des gens trouvent que « c’est pour les gamins », Ok. Super. S’ils trouvent que c’est abusé de payer 60€ pour des cartes, je les comprends, c’est un bout de carton. Il y a des gens qui crèvent de faim et qui n’ont pas assez d’argent pour s’acheter quoi que ce soit à côté. Après, un billet de 100€, ne vaut pas 100€ à la production, c’est la valeur qu’on lui accorde qui importe. C’est la même chose pour les cartes. Certains fument et s’alcoolisent, ce n’est pas trop mon délire, je préfère me faire plaisir en achetant des cartes. Après, c’est vrai que c’est un jeu qui coute super cher. Mais quand t’es dedans c’est un vrai plaisir.

Joel –  jeune développeur de 23 ans et fan de Magic depuis Mai 2018

Je suis malheureusement tombé dans la grave maladie qu’on appelle Magic il y a maintenant un peu moins 3 mois. Dans mon groupe de potes, tout le monde s’y est mis ou remis presque la même semaine et ils m’ont introduit au jeu. Les gens se sont grave chauffés pour s’impliquer dans le jeu et je voyais que les soirées de l’été allaient se passer là-dedans. Ça m’intéressait. J’ai toujours vu les jeux de cartes un peu de loin, mon seul contact étant une petite collection de yugioh et des amis qui jouaient à Magic quand j’étais enfant. Malgré le fait d’être un gros gameur, je n’ai pas suivi la vague Heartstone.

Magic m’a toujours semblé vachement mature comme jeu, ça m’impressionnait et me paraissait compliqué. Là, c’était l’occasion, et j’ai adoré. Je ne m’y attendais pas du tout. En apprenant les règles ça semble vachement fastidieux, mais dès que tu joues ta première partie, si t’es dans un bon cadre bien entouré, ça passe crème ! Je ne suis pas très collectionneur. Je n’achète pas les jeux vidéos en boite, je prends le plus possible en dématérialisé, mais… il y a quelque chose avec le fait d’avoir des cartes qui est vraiment… engageant, plus que dans un jeu pc par exemple.

Je n’ai fait qu’un seul événement officiel au Vent Divin. C’était dans le cadre d’une sortie d’une nouvelle série de cartes. Ils font des avants premières où tu ouvres 6 paquets (boosters) et tu fais un deck avec. Les gens étaient sympas. Bon, bien sûr quelques personnes sont un peu étranges… mais tu es là pour jouer. Il n’y a pas forcément le temps de faire plus connaissance que ça. Les parties s’enchainent assez vite avec un temps limité.  Par contre, j’ai rencontré beaucoup de gens via Magic grâce à des amis d’amis. Il y a vraiment un esprit de communauté. Tout le monde est dedans, tout le monde parle de la même chose. Tant que mes amis sont motivés dedans je pense que je continuerais… Après si l’enthousiasme baisse on se rapatriera sur les jeux onlines.

Pas longtemps après ma première nuit de Magic, je suis allé dans un LGS (local game store, ou magasin de vente de cartes approuvé par la compagnie Wizard pour vendre du Magic). J’ai chopé deux decks préfaits, parfaits pour commencer, simple à jouer. Je me suis bien amusé avec mais j’ai très vite eu envie de pousser plus loin, surtout quand tu fouilles sur internet et que tu tombes sur des youtubeurs ou des sites spécialisés… là tu découvres tout un monde avec l’infinité de possibilités que tu as devant toi. Tu peux y passer une vie et mettre autant d’argent que tu veux. Il y a plus de 16 000 cartes différentes quoi. Et puis quand tu vois tes potes qui ont tous chopé des cartes plus chères et plus fortes… c’est vite l’escalade. J’ai chopé un deck vert agressif avec des grosses créatures, il m’a coûté 120€ avec les frais de port. C’était sur un site américain très bien organisé, centralisant différents vendeurs pour que tu reçoives tout en même temps.

L’escalade des dépenses

Ensuite, je suis allé voir un collectionneur-revendeur strasbourgeois bien connu (un particulier), François Corpef, et j’ai pris plus de 200€ chez lui. Je dois être à plus de 600€ en tout depuis le début. Mais ce n’est pas quelque chose que je referai avant plusieurs mois. Chez François c’est super cool, ce n’est pas en mode marchant, le gars c’est ton pote, il t’accueille super bien chez lui, ça collection est impressionnante, classeur après classeur…

Comme toute passion, une fois que t’en parles, tu ne t’arrêtes plus. Dès fois ça devient ton seul sujet de discussion parce que t’y penses toute la journée. Quand tu n’es pas joueur, la valeur des cartes est très dure à comprendre… C’est assez mal vu. Mais quand tu leur montres l’esthétique fantastique avec parfois des choses vachement sombre genre des cadavres en décomposition etc…ça ne passe pas trop pour un jeu de « gamin ».

Hervé- Vice-Trésorier de l’association Magic TT (TeamTocards) et organisateur de tournois

On était juste entre nous puis on a trouvé une salle et on a pu organiser des tournois. Le but principal étant de regrouper les joueurs de magic autour de leur passion. L’asso existe depuis un peu plus de deux ans. A Strasbourg, il y a plusieurs petites communautés (notamment en fonction des boutiques) qui se regroupent en une grosse communauté lors des événements. Il y a une réelle perméabilité entre les boutiques sur les événements. Dans Magic, il y a une grosse inspiration jeu de rôle, univers fantastiques à la Tolkien etc…  On a décidé de faire des tournois au Meltdown parce que c’est un peu la même communauté. Les gameurs trainent souvent avec les joueurs de JDR, fans de fantasy etc… Ça se recroise facilement.

Pourquoi Magic et pas Yugioh les gars ?

Parce qu’on est plus grands. Non, je trouve que c’est plus fédérateur Magic. Le jeu nous a touché en plein cœur. J’ai aussi fait du Yugioh à une époque mais je n’ai pas accroché, et puis aujourd’hui c’est un peu « je te montre ma main, j’ai gagné ». Il y a toujours une petite rivalité… Yugioh, on perçoit ça souvent comme un jeu pour les plus jeunes. Moi j’aime bien, mais je trouve qu’il n’y a pas assez de joueurs à Stras’. Là, il y a FinalFantasy qui a débarqué, Dragon Ball aussi, suite à la sortie du nouvel anime… C’est en train de bien monter d’ailleurs.

Frank – Bientôt quarantenaire et responsable administratif dans une grosse boite

J’ai commencé à jouer à Magic à Strasbourg il y a quelques années, en aout 97. Tous les vieux joueurs ont arrêté pendant quelques années, objectifs professionnels et vie familiale obligeant. J’ai repris récemment et je trouve que le jeu a plutôt bien évolué. Il y a des jeunes sympas avec l’envie de s’investir, des vieux qui sont là pour les guider… l’entraide est là.  C’est quelque chose que tu ne trouves pas partout et je pense que c’est surtout parce que Magic a cette aussi longue durée de vie. Les gens ont toujours envie de s’impliquer dedans et tu le ressens au niveau des différents joueurs que tu peux recroiser ici ou ailleurs.

Strasbourg c’est un des noyaux durs de Magic en France. Strasbourg a suivi Paris peu de temps après que le jeu soit arrivé en France. On a toujours eu des joueurs ici. La communauté est solide et existe depuis longtemps. Le droit local joue beaucoup en faveur de la création d’associations de ce genre. Là depuis trois ans ça se relance bien, après une période de mou suite à la hype de Heartstone. Au collège, c’était la hype, j’étais en plein dedans. A l’époque, on jouait et échangeait sur les bancs en face de Philibert à côté de la Fnac. Une petite communauté locale s’était créée autour de ça. J’ai des copains vieux de 15 ans que je vois encore que j’ai rencontré en jouant à Magic ! On allait faire des tournois en Allemagne, en Italie…

Qu’est-ce qui te plait le plus dans Magic?

Je suis collectionneur. J’ai beaucoup de cartes et j’aime beaucoup les belles cartes. J’aime quand ça brille et la rareté. Il faut que mon deck soit en brillant. Je suis un peu connu pour ça dans le coin. J’ai un boulot qui me permet cette liberté, c’est un véritable budget ! Sinon, le côté stratégique ressort beaucoup également. C’est vraiment poussé au paroxysme dans Magic. Enfin, la communauté : je suis un vieux joueur ; quand je vais jouer à Magic, je vais voir mes potes en fait.

Ton deck principal il vaut combien ?

Wow euh, ça dépend du format… Sur du moderne, ça tourne autour de 500-600, le double voire plus si tu cherches à faire briller. Après, j’en ai un en « vintage »…

3000€ ?

Combien ? Rajoute un zéro stp mec.

Pardon ?

Ouais 30 000€ facile. Mais comme dit je suis un vieux joueur, donc j’ai beaucoup de vieilles cartes qui ont pris de la valeur. A l’époque ça ne coûtait pas aussi cher que maintenant, même s’il y a eu énormément de rééditions.

Comment ton entourage voit le fait que tu joues à Magic ?

Ma femme est plutôt cool à ce niveau-là. Je peux faire mes soirées Magic de mon côté sans soucis. A l’époque peut-être qu’il y avait ce jugement un peu « jeu de gamin ou de geek », mais aujourd’hui on est une génération où tout le monde est ou a été un peu geek. J’ai une gamine et je compte bien lui apprendre à jouer. Mon père jouait à Mario quand j’étais gosse… bref ça fait partie intégrante de notre société maintenant. Pour ceux qui me font des réflexions sur l’argent que je dépense, je leur réponds tout simplement que j’ai les moyens.

Gauthier – Responsable de la communication et gérant associé chez Philibert

On a du mal à organiser du tournoi « fun » alors qu’il y a plein de formats possibles dans Magic. Par contre, les avant-premières où tu peux récupérer les cartes en avance et pour moins cher ou encore des tournois avec des cartes collectors en récompense… ça marche bien.

Depuis la dernière extension (sortie il y a environ un mois) beaucoup s’y sont (re)mis, les ventes remontent. C’est lié aussi au fait que Magic fait évoluer sa communication autour de youtubeurs/influenceurs etc, ils ont ressorti de nouveaux decks préconstruits, de meilleurs logiciels en ligne… Les ventes de Magic restent un peu cycliques. Le jeu reste en tête de nos ventes, mais il y a des grosses périodes de mou. Ça dépend pas mal des extensions et des cartes qu’ils mettent dedans. Les nouveaux joueurs s’en fichent, mais les anciens vont regarder les cartes potentiellement intéressantes pour leurs decks, pour la méta, les rééditions etc… Le joueur aguerri n’achète presque plus de cartes. Il les gagne, les paye à l’unité, échange ou fait des drafts. Ce n’est plus un acteur économique du Magic d’aujourd’hui.

L’arrivée d’Heartstone (nouveau jeu de carte très populaire, mais en ligne) n’a pas coupé nos ventes de TCG (Magic, Yugioh, Pokemon etc), mais ça a fait travailler les entreprises, notamment Magic. Les nouveaux decks d’introduction au jeu ressemblent à la logique de Heartstone. Les commerçants locaux font vivre une scène aussi. Ils créent les nouveaux joueurs et font gagner de l’argent à Magic. A Strasbourg, on n’a pas de concurrence niveau vente de Magic. En tout cas, elle ne vient pas des autres boutiques, mais plutôt des gros sites en ligne. Pour gagner de l’argent, ils commandent énormément de boites et vont complètement en casser les prix. Vendre des boites de Magic, c’est presque perdre de l’argent aujourd’hui. On ne vend  pas à perte bien sûr, on a fait 100 000€ de CA sur les cartes à jouer et à collectionner en 2017 (dont 50% de Magic, 20% Pokemon, 20%Yugioh et 10% du reste), mais c’est une des plus mauvaises marges du magasin.

Quand j’ai commencé Magic, internet ne donnait pas les côtes des cartes. C’était un magazine nommé le Lotus Noir (référence à une des plus célèbres cartes du jeu) qui donnait la valeur « officielle » des cartes. On ne pouvait pas faire des échanges par internet, alors on se donnait rendez-vous. Au début c’était devant Philibert, le long de la Fnac, des gens se posaient avec leurs classeurs et feuilletaient ceux des uns et des autres pour échanger et revendre. C’était une communauté  présente physiquement. Avant il fallait trouver le gars dans ta ville qui avait la carte que tu cherchais. Aujourd’hui en deux clics tu en as plusieurs à des prix différents. Résultat, les joueurs se regroupent aujourd’hui beaucoup plus à travers les tournois, ce qui ne les empêche pas de venir avec leurs classeurs et échanger, mais il n’y plus cet espèce de marché parallèle qu’on avait devant la boutique. Même nous, on ne vend presque plus de carte à l’unité.

Ça reste un univers très peu féminin et très geek, de passionnées. Quand tu vas à un event Magic, t’es là pour jouer Magic, pour parler Magic, débattre de deck etc. Souvent les bons joueurs de Magic sont aussi de bons négociants, commerçants et collectionneurs. En débutant on ne fait pas trop attention à la valeur des cartes. Une fois qu’on se rend compte que tu as lâché pas mal d’argent dans le jeu, tu vas vraiment échanger en regardant la valeur des cartes, souvent même sans qu’elles n’aient d’utilité pour tes decks. Le comportement du joueur devient de plus en plus commerçant au fil de sa progression.

La majorité de la communauté est dans cet état d’esprit, ce qui influe sur les nouveaux joueurs. Ce n’est pas forcément mauvais, mais c’est parfois un peu plus tendu, un peu moins bon joueur… Quand tu peux repartir avec des cartes à 60€, ça met tout de suite un peu de tension dans les matchs.

Nos tournois ne sont pas pendant les horaires d’ouverture de la boutique. Ça évite l’image un peu négative qu’on peut avoir parfois du geek qui sait ne pas trop se laver et qui est juste concentré sur son jeu etc… On n’a pas choisi d’être un centre de communautés comme peut l’être Vent-divin, mais quelque chose de plus familial et grand public sur tout ce que le jeu peut proposer, on est concurrents mais aussi complémentaires. Un gros joueur de Yugioh ou de Magic se retrouvera peut-être plus à l’aise chez Vent-Divin que chez nous.

On a tendance à imaginer le joueur de cartes à collectionner comme quelqu’un de renfermé et qui fait pas grand-chose d’autres que de s’occuper de ces cartes, mais ça reste faux. C’est des gens qui ont grandi avec le produit Magic, qui arrêtent et reprennent. On a pas mal de jeunes papas qui ont arrêté il y a 10-15 ans et qui se retrouvent avec quelques copains. C’est comme partout, il y a quelques extrêmes, mais la plupart des joueurs cherchent juste à passer un « moment Magic » et on peut les retrouver en boite de nuit le lendemain, avec un(e) copin(e) très joli(e) et une vie très épanouie.

Un jeu qui rassemble, aux joueurs aux profils différents

Lors de notre passage en tournoi, chez les collectionneurs ou en soirée privée Magic, les joueurs nous on très agréablement ouvert leur portes, ravis de pouvoir partager leur passion. On se prête des decks, se donne des conseils sur comment le construire ou comment faire moins d’erreurs en jeu… Les affinités se créent facilement du moment qu’on connait bien le jeu ou qu’on y met un peu de bonne volonté. D’un point de vue extérieur, il est vrai qu’une conversation de joueurs de Magic paraît souvent très élitiste et peu compréhensible.

Quand on vient vous parler de “bi-land” ou de “plainswalker”, de “burn”, d'”instant” ou d’un nom de carte farfelu, on est vite perdu. Un peu comme n’importe quelle autre passion au final… Pas sûr qu’ils comprennent grand chose si on leur parlait des moteurs de formule 1 ou de la nouvelle tactique du PSG. L’aspect spéculation et marché parallèle du jeu rajoute un peu plus au mystère de cet univers. Il est parfois difficile de comprendre comment certains joueurs peuvent mettre plusieurs dizaines de milliers d’euros dans ces jolis bouts de carton… C’est un peu plus facile quand on voit les étoiles dans leurs yeux quand ils regardent leur classeur ou qu’ils battent enfin leur adversaire après une partie acharnée.

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