Depuis maintenant deux ans (à quelques jours près seulement), cet architecte de formation transforme les corps en paysages et leurs défauts en mirages…
Couverture photo des IS, campagne d’abonnement du RCS : ces derniers mois, le travail de Michel Grasso s’est fait plus public en touchant à deux gros rendez-vous strasbourgeois. Mais derrière les missions en photographie numérique de plus en plus nombreuses, il y a aussi, ou plus justement surtout, vingt-deux ans de passion pour la pellicule, dont les deux dernières années se sont avérées fulgurantes de productivité et d’évolution. Posés dans l’une des rues les plus solidaires de Strasbourg, on parle de son parcours du milieu de l’architecture qui le fâche au milieu de l’image qui le ravit, de sa toute première série vouée à sublimer des caractéristiques physiques habituellement cachées, et de son envie actuelle de faire des images à la fois crues et désinvoltes.
Âmes sensibles à la nudité s’abstenir (d’aller plus loin) ; vous êtes prévenus.
Ta première rencontre avec le médium photographique…
J’ai commencé la photo à 16 ans je crois, au lycée. On avait un prof d’arts plastiques super qui nous a proposé de visiter le labo, parce qu’il avait un labo photo dans le lycée. On était que deux à être intéressés, du coup c’était privilégié. Et ça m’a plu d’être dans la chambre, il y a quelque chose dans l’ambiance, l’odeur, qui m’a accroché… J’ai toujours aimé les arts plastiques mais j’étais très fainéant de base et j’ai retenu qu’on pouvait produire beaucoup rapidement en photo ; forcément, ça m’a intéressé ! [rires] Au final c’est le développement qui m’a vraiment accroché sur le long terme, l’étape la plus exigeante – beaucoup plus que la photo en elle-même… J’avais un petit réflex mais pas trop de technique. Moi, on m’avait mis un appareil dans les mains, mais on m’a pas parlé de réglages alors j’ai pas demandé ! [rires] Du coup c’était souvent pas bon, très flou ou très sombre, mais j’aimais la magie de la chambre noire.
… Et ta deuxième rencontre avec le médium photographique ?
Après le lycée j’ai continué à me former au médium en autodidacte, mais ma pratique s’est faite moins intense parce que mes études d’architecture prenaient de plus en plus de place dans ma vie. J’ai vraiment repris il y a quatre ans, à trente-quatre ans ; c’était une période où j’avais moins de boulot en archi, une discipline qui me passionnait plus vraiment, c’était devenu alimentaire. Et puis en parallèle, je venais d’intégrer un groupe de musique, j’avais envie de trucs plus artistiques de façon générale. L’élément déclencher ça a été une copine qui m’a prêtée son appareil. J’ai fait une photo, une seule, je l’ai développé et quand je l’ai vu ça m’a remotivé. J’avais quelque chose à dire.
Ta première série…
J’étais assez seul à cette époque donc je prenais surtout des photos sur le moment, en me baladant, quand je voyais quelque chose qui me plaisait… Et puis il y a deux ans j’ai fait la rencontre de Ruby, ma copine depuis, qui est comédienne et modèle. C’est drôle parce que six mois avant qu’on se rencontre par hasard, dans notre jardin partagé, j’avais commencé à avoir envie de modèles pour faire des photos plus construites et j’avais repéré le book de Ruby ! Mais comme je savais pas exactement ce que je voulais faire, j’osais pas, je voulais pas emmerder les gens… Ruby a été mon premier modèle, elle m’a permis d’expérimenter sans pression. Et puis un matin j’ai pris une photo de Ruby qui dormait en freelensing, une technique qui implique de photographier sans objectif. Ça a donné un rendu très doux, très ambiant qui m’a beaucoup plu, et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de ma première série…
“1 pose 12 poses” pour un modèle qui tient une même pose et que je photographie 12 fois sous autant d’angles différents ; c’est un projet très cadré, et c’est grâce à ce cadre que je me suis senti légitime à faire poser des gens nus pour moi. Alors qu’à la base j’aime même pas ça moi le nu ! [rires] Je trouve ça rarement fort et souvent facile. Mais j’avais envie de peau, de rendre beau ce qu’on ne montre pas, et ça nécessitait de dépasser le vêtement… Et je m’y attendais pas du tout, peut-être naïvement, mais ça a été des rencontres fortes ! La grande majorité des modèles n’avait jamais posé, encore moins nu et ils ont tous pris le projet comme une thérapie, une occasion de faire la paix avec leur corps. La série a fait du bien et ça je ne l’avais pas réfléchi – comme le développement. Je fabrique mon révélateur moi-même avec du café du coup il n’y a pas de garantie. Et j’adore ça, les accidents.
… Et ta nouvelle série ?
C’est une série que je peux faire toute ma vie, j’y reviendrai, mais depuis quelques mois je suis sur autre chose. J’ai envie d’improviser, d’instantané, de sortir du cadre en fait. [rires] En ce moment je suis sur une série, enfin c’est surtout un thème érotico-comique ; ce sont des images assez crues, mais pleines d’humour, en tout cas j’essaye d’y mettre la dose. Ce sont des images que j’ai envie de faire depuis très longtemps, mais ça passe beaucoup par les modèles, leur expressivité. Du coup cette fois-ci, je m’oriente surtout vers des modèles déjà expérimentés – souvent des femmes parce que je trouve rarement des hommes prêts à poser, alors que j’adorerais. On se rencontre, on discute de nos envies et on improvise. Il y a de moins en moins de nudité, j’essaie de me concentrer davantage sur l’expressivité et la technique. J’essaie de faire l’image que je veux plutôt que me laisser surprendre par elle maintenant. La surprise, c’est l’énergie du moment.
C’est quoi la suite ?
Ces derniers mois en dehors de ma pratique argentique, j’ai aussi développé une pratique numérique, pour des prestations uniquement ! J’ai participé à la campagne d’abonnement du RCS, j’avais couvert les Internationaux de Strasbourg. C’est l’agence de communication “C’est qui Maurice” qui m’a sollicité et on devrait faire d’autres choses ensemble. La photo prend de plus en plus de place dans ma vie, et ça me rend heureux !
Michel Grasso
instagram.com/migrrrr
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