Le saviez-vous ? C’est l’un des secrets les mieux gardés de l’Eurométropole : l’UFR de mathématique et d’informatique de l’université de Strasbourg abrite un atelier de reliure, par lequel passent les livres que vous malmenez à la photocopieuse de la bibliothèque mais aussi des ouvrages anciens rares, voire uniques… Rencontre avec Myriam Pepino, responsable de cet atelier aussi discret que méconnu depuis plus de 20 ans, notamment grâce au soutien des matheux strasbourgeois.
UFR de mathématique et d’informatique, premier étage. Dans le long couloir grisâtre dédié à l’administration, une porte est ouverte… S’en échappent un rectangle de lumière chaude et, parfois, des bruits étranges. Papiers, ciseaux et même burin. Ça craque, ça coupe et ça frappe ! Mais d’où peut bien venir ce doux vacarme ? Dans une faculté scientifique que l’on penserait plutôt rythmée par les crayons couchant des équations sur le papier ou les doigts codant des commandes sur le clavier, on ne soupçonnerait pas une seconde que ces drôles de sons puissent venir d’un atelier de reliure !
Mais que vient faire un atelier de reliure et de restauration de documents anciens dans une unité dédiée aux matheux et autres geeks strasbourgeois ? L’opposition entre les littéraires et les scientifiques, érigée en évidence dès le début du secondaire, serait-elle… Infondée ? L’existence de cet atelier, vieux d’une quarantaine d’années, au sein d’un UFR qui en a plus d’une cinquantaine, semble aller dans ce sens ! À sa tête depuis plus de 20 ans, la relieure d’art Myriam Pepino explique : “Ce sont les mathématiciens qui ont demandé cet atelier, et qui ont lutté pour le maintien de son activité. Les mathématiciens n’ont que le livre comme support de travail, contrairement aux chimistes qui peuvent reproduire leurs expériences… Il y a donc un historique très riche de livres en mathématique.” Un historique imposant qui nécessite des soins particuliers pour traverser les années… D’autant que la bibliothèque de mathématiques de Strasbourg est aujourd’hui classé troisième fond le plus important en la matière sur le territoire français.
- Profession relieure d’art
À l’issue de la classe de troisième, son brevet en poche, Myriam, qui n’est pas très bonne à l’école, ne sait pas trop quoi faire. Élevée dans une famille qui valorise la fibre artistique et le travail manuel, elle pense un temps à devenir luthière, mais aucune formation n’existe à proximité et l’alsacienne ne peut se résoudre à quitter sa région. Son père, qui lui a passée sa passion du livre, lui parle alors de la section de reliure au lycée Gutenberg, et c’est ainsi que Myriam se retrouve en CAP Reliure semi-industrielle. Si la discipline la séduit, mêlant à la fois vocation artistique et travail des mains, l’apprentie relieure y est néanmoins frustrée car en 1992, l’égalité des sexes n’est toujours pas au programme… : “Les hommes étaient formés à la pose de cuir, la partie la plus exigeante et donc noble du travail, et les femmes à la couture des pages pour leur délicatesse supposée. J’ai dû faire un autre brevet ensuite pour me former à la pose de cuir, et être indépendante.” Après quelques années passées à la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) qui finit par la licencier faute d’un nombre suffisant de travaux à lui confier, Myriam passe un concours à l’université… Elle devient la troisième responsable de l’atelier de l’UFR de maths-info, et la première femme à cette place !
- Un artisanat qui se perd
Au cours de ces 20 dernières années, Myriam a beaucoup diversifié son activité : en cause, la numérisation des livres qui permet de consulter des ouvrages sans risquer de les abimer mais n’encourage pas les institutions à financer des restaurations. “Aujourd’hui on ne nous donne plus vraiment de livres à restaurer sauf en de rares occasions, pour des expositions, ou quand l’ouvrage est rare. On fait de la conservation : dépoussiérage, menue réparation, et retour en stockage !” Pour ne pas devenir dispensable, Myriam s’est armée d’un diplôme supplémentaire, un Brevet supérieur en Art de la reliure équivalent à un bac +2 mais aussi au titre de Meilleure ouvrière de France dans sa discipline. Elle peut ainsi offrir ses services de relieure et restauratrice experte à toute la communauté universitaire strasbourgeoise et aux institutions affiliées… Dans ce cadre, elle a notamment réalisé de toute pièce les livres d’or des derniers prix Nobel strasbourgeois, mêlant cuir précieux et papyrus délicat.
Myriam le sait, l’artisanat du livre se perd et l’atelier de reliure dont elle est responsable au sein de l’université n’est pas dans une logique de développement, mais plutôt d’équilibre… Son poste perdura aussi longtemps que son activité ne coûte pas plus qu’elle ne rapporte à l’établissement et cela ne saurait trop durer. Aussi lorsqu’elle accueille des élèves en classe de troisième en stage de découverte, si Myriam ne veut surtout pas saper leur intérêt pour la reliure, elle les met cependant au fait de la réalité difficile du terrain : “Il n’y a pas assez de places dans les institutions, on doit être moins d’une centaine en France et on occupe le poste plusieurs dizaines d’années… Et les indépendants qui en vivent pleinement sont plus rares encore. Relier un livre, ça coûte 55€ en moyenne, une somme souvent supérieure au prix du livre à l’achat, alors à moins d’être collectionneur, ou attaché… ! De façon générale je fais un travail qui est apprécié mais qui n’est pas forcément recherché.”
Et si on montrait à Myriam que notre génération est attachée aux objets anciens comme au futur de la planète, et privilégie la récupération à la réimpression ?
Restauration de livre ancien, création de reliure originale, fabrication de carnet personnalisé… En plus de son travail à l’UFR, Myriam a sa propre activité.
Elle se fera un plaisir de poser son regard expert sur vos vieux ouvrages comme vos futurs projets. Pour toute demande individuelle, c’est par ici.
N’hésitez pas non plus à lui rendre visite à l’atelier de reliure et de restauration de documents anciens à l’UFR de mathématique et d’informatique.
intéressante découverte !