La vie est éphémère, la rotation d’un handspinner aussi.
Comme toute bonne mode, il nous faut en parler avant sa fin. Parce qu’il nous faut à tous des petits éléments de divertissement pour oublier le vide intersidéral de l’existence et s’évader quelques instants de notre quête de sens perpétuelle. Depuis la nuit des temps, l’Homme s’est ennuyé avec des objets inutiles. La société de consommation productiviste en est l’apogée. Du bilboquet aux billes en passant par le légendaire bout de bois et le tamagotchi, on arrive aujourd’hui au (in)fameux handspinner. Et le phénomène n’épargne pas Strasbourg, loin de là.
Certains profitent de la vague, quitte à l’amplifier. Que laissera derrière lui le tsunami du Handspinner ? Les Handspinners Shops fleurissent. Sur internet, dans les mains des petits comme des grands, les handspinners sont partout. Parfois, ils se cachent, à l’abri des regards, légèrement honteux, comme un joueur de Pokémon Go levant la tête de son téléphone lors de l’été 2016. Il n’est plus rare d’entendre le doux bruit de ventilation reconnaissable parmi mille, celui de la rotation du handspinner.
Celui-là même, qui agace Elisa, 22 ans. Elle subit l’invasion du handspinner dans sa vie personnelle. « Mon frère, mon mec, leurs potes … J’en peux plus ! Franchement c’est relou, t’es posé tranquille en train de regarder une série et là, au paroxysme de la tension, tu entends juste un petit « pffrtttpfffrttttpfffrtttt ». Je sais qu’il y en a des plus silencieux que d’autres, mais celui de Pablo il fait du bruit. » Son copain était en avance sur son temps. Il a acheté son premier handspinner il y a quelques mois, après avoir vu une vidéo de Dr.Nozman. « Il a carrément essayé d’en fabriquer un ! Mais ça s’est soldé par un échec. Sans superglue, il s’est vite décomposé. » C’est peut-être pas plus mal. Le petit frère d’Elisa en a 4. « Ils font des combats avec ses potes, je n’arrive juste pas à comprendre comment ça marche. Ça doit être un peu comme les toupies beyblade… ou les tricks avec les stylos ou des yoyos mais en moins stylé. »
La forme fascine.
« Quand ça tourne, c’est symétrique. On peut avoir l’impression que ça tourne dans le mauvais sens… c’est super bizarre. » A partir de là, la conversion dévie. « Et puis c’est vrai que c’est très… triangulaire. Peut-être les illuminatis sont derrière tout ça ! Si on considère que leur objectif c’est d’influencer la société, la population… ce n’est pas un mauvais moyen. Tu donnes un gadget à tout le monde, même s’il ne sert à rien c’est une façon d’occuper et de ne pas réfléchir. C’est possible qu’ils l’utilisent pour asservir le peuple… en tout cas pour les enfants ça marche bien (rires) ! »
Pour certains, le handspinner devient presque obsessionnel. Jean-Marcellin a développé une réelle relation avec l’un d’entre eux : « Je pense pas qu’il ait de bons ou de mauvais jours pour spinner. C’est un état d’esprit avant tout, il y a des jours avec et des jours sans. Parfois je le prends en mains et je le spin sans m’en rendre compte et parfois je passe quelques jours sans y toucher. Mon deuxième spinner était magique. Le coup de foudre de la rotation parfaite. Je l’ai donné à un ami qui le voulait. Ça tombe bien, je commençais à développer une addiction.»
Les grands enfants aussi, ça joue ! David, 38 ans, sportif de haut niveau en haltérophile, passe à la boutique Handspinner rue du Vieux Marché au Vin pour voir s’il y avait de nouveaux modèles en stock. « Je suis aussi à la recherche du handspinner le plus performant. Celui qui tourne le plus longtemps et qui fait le plus de tours. Je les chronomètre. Le fonctionnement, le ressenti en main joue beaucoup. Ca varie selon les modèles et les roulements à billes », explique-t-il. « Après au boulot, avoir quelque chose dans la main c’est déstressant, quand t’es avec des clients… c’est plutôt ça qui me plaît. »
« On chope vite le virus »
En bonne mode cancer de l’été, la maladie du handspinner semble plutôt contagieuse, à l’instar de la viralité de certains phénomènes sur internet. « Ma copine se fout un peu de ma gueule, admet David avec un rictus. Mais elle a essayé et elle se prend de plus en plus au jeu malgré elle. Dès que j’en achète un elle l’essaye ! Par contre, je ne le sors pas devant les potes du sport … »
Les raisons du choix du handspinner sont multiples. Pour Gaël du Handspinner Shop, ça se joue sur trois points : l’esthétique, la performance du roulement et les caractéristiques particulières. « Certains font des effets d’optique quand on les fait tourner, d’autres font de la musique en bluetooth ou ont des LEDs… ».
Arthur, 22 ans, trouve qu’il « faut dire ce qui est : le Handspinner c’est le penspinning [ndlr : faire tourner un stylo autour de sa main] pour les noobs [novices]. En plus le potentiel de ‘tricks’ que tu peux faire reste très limité… » Socialement, le jeune étudiant trouve que la mode a beaucoup moins d’intérêt que Pokémon Go. « Quand tu ne sais pas quoi faire de tes mains, bah tu handspines. Le problème c’est que tu n’es qu’avec toi-même quand tu handspines. Soit tu t’isoles, soit tu casses les couilles aux gens, parce que t’es plus concentré à le faire tourner qu’à prêter attention à ce que les gens disent et communiquent. En vrai, tu peux multitask mais bon… » Son pote Louis rajoute « Beaucoup de gens ont des handspinners parce que c’est devenu un ‘meme’, et ils l’utilisent de manière ironique. » Mais la frontière entre l’ironie et l’appréciation réelle est toujours très fine… En tout cas ils n’adhèrent pas à la théorie de l’œuvre illuminati. « Pas assez triangulaire, y’a trois pointes mais, c’est des cercles ! »
Je handspine, tu handspines, il, elle handspine, nous handspinons…
« Un pote me l’a passé, je l’ai fait tourner et j’ai attendu qu’il se passe quelque chose de plus. En fait non. Je lui ai demandé: ‘c’est tout ce que ça fait?’ -Oui. Je me suis perdu dedans pendant 10 minutes » raconte Suzanne, désabusée. « Je lui ai demandé s’il y avait vraiment des gens qui achetaient ce truc. Il m’a dit oui. Je suis resté encore 10 minutes et j’ai eu envie d’avoir le mien. »
Le handspinner est là pour combler tout moment de vide dans la journée. Chaque moment d’ennui, d’attente, est un moment pour handspinner. « C’est le truc le plus « pourquoi pas? » que j’ai jamais eu. Je comprends les collectionneurs pour les couleurs et les effets d’optique. Je l’ai fait tourner une fois sous champignons hallucinogènes et il se rapetissait et s’agrandissait avec la rotation. C’était hypnotisant. J’ai aussi essayé de voler avec. » Suzanne aime bien voir la réaction de ses amis par rapport à cet objet tournant non-identifié: « La plupart font les gros hypocrites. Ils trouvent tous ça stupide mais jouent quand même avec ! Mais le mien ne roule plus bien, du coup je ne peux plus le faire tourner aux autres… »
« Tourne, tourne, petit spinner »
Eliot a volé le sien à son petit frère. « En fait ça existe depuis longtemps, mais c’était pas assez ancré dans son époque. Aujourd’hui, c’est un phénomène typique du 21e siècle, buzz sur internet et ça se retransmet dans la vie réelle. » Par contre, il est confiant que c’est un complot illuminati. « Une fois que tout le monde en aura un chez soi, ils vont activer leur plan machiavélique (comme l’ordre 66 dans star wars). Tout les handspinners vont se combiner et transmettre les métadonnées du spin. Mais je ne sais pas encore dans quel but. Je ne sais pas non plus si ça va durer, je donne la même durée au handspinner qu’aux ‘memes’ de nos jours. » C’est à dire peu de temps.
Et vous, comment vous percevez l’omniprésence des handspinners? Le grand remplacement de PokémonGo par le Handspin? Est-ce réellement un complot des illuminatis pour asservir la population et abrutir la masse à coup de rotation hypnotisantes? Ou est-ce qu’au contraire c’est un moyen efficace de réduire le stress et de réduire l’impact de l’autisme ou des troubles de l’attention? Racontez-nous vos expériences avec ces objets du diable dans les commentaires.
Attention, cet article est teinté de philosophie, sociologie, psychologie de comptoir, de mauvais humour et de faux complotisme au 2nd degré.