Huit mois plus tard…
J’ai la trace de la lanière des tongs sur mes pieds, deux lignes blanches sur du marron. C’est en observant ça ce matin que je me suis rendue compte que je n’avais pas enfilé autre chose que des tongs depuis huit mois. D’ailleurs elles représentent nos seules dépenses « shopping » de cette année, on ne s’est rien acheté d’autre, on n’a plus besoin de rien ici.
C’est fou comment nos envies et caprices ont changé ! Fini la queue chez Zara ou H&M à dégouliner dans ta doudoune pour ensuite te geler à la sortie avec ton gros sachet. Fini aussi de regarder la météo avec désespoir, ou de la regarder tout court en fait, les PV, le coiffeur, le maquillage, les grèves de la CTS, les obligations sociales, les insultes au volant, la sonnette du tram qui te fait sursauter parce que tu traverses d’un peu trop prêt, les remises de légions d’honneur à des princes, la télé, les gants, les collants en laine, la couleur grise, le postier qui te laisse un avis de passage alors que t’étais tranquille chez toi, la liste est longue… En fait on ne ressent plus aucun stress.
Le seul moment où Geoffrey se sent désabusé par la vie c’est quand il rentre, la glacière vide, de sa pêche au Mahi-Mahi. J’ai par contre appris tellement en si peu de temps, lutter seule, comme une grande, contre les insectes par exemple, transpirer en toute dignité, manger frais et sans me faire livrer, des nouveaux fruits avec des couleurs incroyables, des nouvelles saveurs, des fleurs improbables et surtout des gens merveilleux.
Les Balinais sont d’un chaleureux inégalable, le sourire constamment bloqué sur leur visage caramel si doux, ils sont toujours prêts à partager et faire découvrir cette île qu’ils aiment tant. Je n’avais encore jamais vu des paysages aussi puissants, ça te claque les yeux direct et te colle une sensation de plénitude inexplicable. Il se passe véritablement un truc en plus à Bali, un mélange de quiétude, de spiritualité et d’émerveillement, comme si t’avais à nouveau 12 ans.
Cette expérience de vie te permet aussi de te suffire à toi même, de prendre le temps, pour soi, pour réfléchir, sentir, déguster, s’instruire naturellement. Lorsque Geo sue à frotter la coque de son bateau balinais, moi je peux lire mon Science & Vie en toute tranquillité. Je ne parle pas quand je n’ai pas envie de parler, pour une ancienne avocate brailleuse et révoltée, c’est un peu comme vivre dans un Disney.
J’aime bien aussi le fait qu’on soit tous les deux interdépendants. On compte l’un sur l’autre en permanence, pendant les moments de doutes, pour rire, kiffer, s’inquiéter. C’est devenu un peu ringard aujourd’hui à l’ère des Femen d’être en mode fusion avec son mec, pourtant ici je trouve ça cool. On n’a plus vraiment de sujet sur lesquels se disputer, on se supporte super bien, c’est ma meilleure copine et moi je suis son big pote. Les seules interrogations qu’on peut encore se poser ça se résume à « Tu te sens plutôt d’humeur brochettes de calamars pour ce soir ou je fais griller du thon ? »
On a ainsi pu trouver la réponse à notre question. Et si vivre avec 300 euros par mois sous les tropiques ça serait pas ça la vraie vie ? Le fait qu’on en ait qu’une seule, de vie, qui passe si vite, cette chienne de vie, ne justifierait pas de réaliser toutes les envies qu’on aurait à l’instant T, même si c’est pour finir par se planter ? Travailler plus pour gagner plus, dit l’autre, qui lui ne travaille pas, pour le moment, c’est terminé !
On revient à l’essentiel, on sent même une âme de vegan qui se profile en nous, doucement certes, dur d’arrêter le poisson frais ici, mais surement. Le respect de la terre et de ses habitants paraît bien plus important.
En ville, on ne se rend pas compte des coraux qui blanchissent, des mers qui se vident, du plastique qui envahit la planète et du pouvoir de l’argent dans tout ce drame que notre génération se doit de rectifier. On a échangé le lait de vache par du lait de soja, les Pringles et le Nutella par des fruits, le beurre et l’huile de palme par l’huile de coco. Ça fait très bobo de dire ça mais j’ai la sensation de faire un fuck aux cancers, à Azheimer et surtout à l’industrie agro alimentaire qui m’emmerdait tant. A l’égal de notre curiosité, l’humilité grandit aussi. C’est particulier de partir d’un pays où tu passes inaperçu, où tu te fonds dans la masse, vers un village où c’est toi le différent. Tu te dois de respecter les us et coutumes, et t’es content de le faire, n’est pas mal élevé qui veut…
Un soir, nous avions invité pour un barbecue des amis balinais. Quelques fourmis avaient osé s’aventurer sur la table en plein repas, ni une ni deux, j’ai pris ma fameuse tong en main et j’ai fait un massacre. A cet instant, je lève la tête, et je remarque les visages figés de Putu et Komang. Leurs bouches grandes ouvertes avaient arrêté de mâcher, le regard fixé sur ces pauvres cadavres d’insectes innocents que cette blanche frisée venait de condamner. Après de plates excuses pour ce comportement des plus lâches, j’ai appris à réfléchir avant d’abattre, ils ont raison ces hindous, la planète ne m’appartient pas.
Bien sûr, tout n’est pas soleil et jus fruités, il nous manque aussi une part de notre essentiel. Ma famille me manque, mes amis me manquent. Je languis les soirées à la coloc, où les potes passaient après une journée bien relou à bosser, chacun racontait ses petites histoires du jour et on riait. Je riais plus avant, c’est une évidence. Je rêve de fous rires tout en me gavant avec classe d’un émincé de dinde spätzles sauce crème champignon. Je me suis d’ailleurs refait toutes les saisons de Friends sur Netflix pour m’imaginer avec eux, entre amis. Nous avons évidemment des potes ici, avec qui on peut discuter, débattre, échanger, et donc apprendre aussi une autre façon de penser. Mais rire, rire à s’en faire mal au bide, non. Rire en VO c’est pas pareil.
J’essai aussi de me remémorer les repas de famille, les expressions faciales de mes parents, les blagues de ma sœur, le rire de ma nièce, le goût de la soupe de poids cassés de ma belle sœur, ou encore les bouchées à la reine de ma belle mère. On s’appelle en Facetime bien sûr, il n’empêche qu’on a loupé beaucoup d’évènements, des crémaillères, des anniversaires, des repas de Noël, des moments de partage avec les personnes qu’on aime le plus au monde. Quand je pense aux soirées entre pincs et le bonheur qu’on ressentait en entendant le livreur de sushi sonnait, je me sens tristounette. C’est le revers des cocotiers.
Pour autant, tous les matins, les angoisses de la veille disparaissent. J’ai juste à ouvrir les yeux pour réaliser que je ne pourrai plus jamais faire marche arrière et revivre le réveil matinal comme une plaie. Ici, c’est mon moment préféré de la journée.
Les oiseaux chantent, les coqs se la pètent définitivement trop d’ailleurs, le soleil brille sur un fond bleu profond et le bruit des vagues rythme mon café. Après ça, rituel obligé, on enfile nos palmes et masque sur la tête, direction la barrière de corail juste en face de chez nous. On a même passé notre open water de plongée sous-marine à Ahmed, activité qui te rend accro dès les premières respirations sous l’eau. Le genre de hobby improbable à Strasbourg, t’y penserai pas en allant te baigner au Baggersee. Je me sens refaite tous les matins, et ce sentiment si agréable de vivre enfin ce que j’osais à peine imaginer, plus rien ne pourra venir le remplacer.
« J’ai quitté Strasbourg pour Bali », c’est fini.
Pour relire les premiers articles de la série, il vous suffit de cliquer ici :
- J’ai quitté Strasbourg pour Bali, l’envie d’ailleurs ✈ 1
-
J’ai quitté Strasbourg pour Bali : liquidation totale avant le grand départ ✈ 2
Ex-avocate devenue la proie des moustiques.
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Super témoignage ! Quel plaisir cela doit être pour vous d’avoir pu réaliser un rêve. Tout plaqué et partir à l’autre bout du monde
Je découvre ton blog aujourd’hui, avec cet article et ‘adore “Vivre en vo c’est pas pareil” . Je vous admire tous les deux d’etre parti a l’aventure, et j’ai adoré lire ce que te sembles mieux comme ce qui te manque. Adoré.
Bonjour
Je vais à Bali du 30 mai au 15 avril avec mon amie, serait il possible de profiter de votre expérience en nous conseillant les lieux insolites et indispensables à voir ?
Merci beaucoup =)
Voici mon mail pour échanger : [email protected]
Bravo Geoffrey,
Ça me fait énormément plaisir de vous voir heureux car en bon ami de la famille je me suis inquiété lors de ton départ.
Éclate toi et remplis toi de toutes ces bonnes choses, ces découvertes , cette culture.
Je passerai te voir avec ma petite famille bientôt.
La bise mec!
WOW! superbe, merci beaucoup à vous, je vous suit à présent, merci aussi pour les belles images ça donne envie, j’habite à Montréal et l’hiver est un peu long 4 mois…
bonne chance à vous
au fait, vous dites que vous vivez avec 300 euros par mois, alors les loyers ne sont pas aussi chers qu’à Strasbourg,
😉
Bonjour,
très chouette vos photos et texte, moi aussi j’étais parti de Strasbourg il y très longtemps, j’en garde un très beau souvenir, Strasbourg ma ville de naissance, à présent j’habite à Montréal au Canada depuis…20 ans que j’y suis revenu
après Paris etc.
j’espère qu’a Bali les loyers ne sont pas aussi chers qu’à Strasbourg
je vous souhaite beaucoup de chance
Cela fait deux années de suite que je me rends à Bali
C’est vraiment un endroit où il fait bon de vivre sans être bousculé. Bravo à vous deux d’avoir réaliser votre rêve et qui sait peut être on ce croiseras en décembre sur une des magnifiques plages….. Merci vous m’avez convaincu qu’il fait bon de vivre la bas sans être poussé à la consommation une paire de tongs un short et tee shirt et en route pour ce baladé à travers les villages et les rizières. Profiter un max …
merci de nous remettre en tete l’essentiel!!
profitez
C’est super.
Salut les Alsaciens. Suis au Vietnam, mais Bali est notre 2 eme home.
J’y serai bientot, on se voit pour in ptit dej ?
Cheers Marc de Hagenthal
[email protected]
Belle aventure 🙂
Je serai à Bali avec ma copine du 21 mai au 4 juin. Preneur de tout conseil pour les gens qui connaissent l’île et si jamais Talia et Geoffrey lisent les commentaires, ça sera avec grand plaisir de vous rencontrer autour d’un verre !