Julius Pepperwood respire enfin un peu. Whisky à la main, il profite d’une pile de dossiers un peu moins grande qu’à l’accoutumée. L’occasion de se plonger dans des enquêtes moins sérieuses. Mais avant même d’en ouvrir un, une ombre passe sur son visage. Alors qu’il se lève pour fermer sa fenêtre, il remarque quelque chose au loin : un édifice impressionnant, au style pour le moins intrigant. Ni une ni deux, il se met en route ; bien curieux de découvrir l’histoire que ce bizarre bâtiment renferme.
Dans cette édition de Pokaa Quizz, une nouvelle question : la fac de droit de Strasbourg : moche, symbolique, ou les deux ? Il faut dire que l’édifice ressort dans le paysage du campus de l’université avec ses couleurs rouge et bleu vif quelques peu criardes. Situé juste à côté de l’imposante tour de chimie – elle aussi avec un style bien à elle – le bâtiment avait été mis en avant par le compte Twitter La France moche le 7 février dernier.
Un sujet remis sur la table lors d’une publication sur le groupe Facebook Étudiants de Strasbourg du 12 septembre, mettant à nouveau en avant le peu de style de l’institution, l’assimilant à « un mélange entre le costa concordia et le titanic ». Un post qui n’a pas manqué de créer le débat sur la forme du bâtiment, son historique et son esthétique. L’occasion de revenir justement sur le destin de la fac de droit, du 16e siècle à maintenant.
Une fac de droit d’abord mineure
À bord de notre TARDIS, on remonte au 16e siècle pour débuter notre histoire. En 1526, le maire de l’époque, un certain Jean Sturm, crée les « Écoles latines ». Elles sont transformées en Gymnase en 1538, puis en Académie en 1556 et enfin en Université en 1621. Dès le départ, on y dispense des enseignements de droit romain.
Mais jusqu’à la fondation de l’Université en tant que telle, le droit reste une discipline « mineure ». Pour une raison : lors de la transformation en Académie, seule la philosophie accueillera sa propre faculté, et donc la possibilité d’accorder des grades.
Il a donc fallu attendre 65 ans pour que Strasbourg ait sa propre université. Et ce, grâce à un accord avec Ferdinand II, alors empereur du Saint-Empire romain germanique : si Strasbourg ne participe pas à la Guerre de Trente Ans, qui avait débuté en 1618, la ville obtiendra son université.
Banco du côté strasbourgeois, et le 14 août 1621, on célèbre l’inauguration en bonne et due forme. Un changement majeur pour la désormais faculté, qui enseignera le droit civil, le droit public, le droit féodal et même le droit international. Un programme complet qui a su attirer plusieurs pointures de l’époque au 18e siècle, notamment le jeune Goethe.
Une faculté entre France et Allemagne
Comme beaucoup d’autres institutions, l’université, et donc par extension sa faculté de droit, possède une histoire qui a oscillé entre la France et l’Allemagne entre les 19e et 20e siècles. Alors que la Révolution française avait fait disparaître l’université, il a fallu attendre 13 ans pour en revoir une autre à Strasbourg. Selon Les histoires de la faculté de droit de Strasbourg (1806-1950) de Céline Pauthier, une Université impériale est en effet créée par décret en 1806.
Le droit devient alors une faculté à part entière, et celle-ci se distingue par ses libertés prises avec l’enseignement du droit traditionnel ; elle innove dans ce qu’elle nomme des cours « libres » dispensés par des professeurs, majoritairement alsaciens. Néanmoins, la guerre de 1870 et la défaite française font mal à toute l’université, avec l’exode de l’immense majorité des enseignants.
Une autre faculté se reforme, cette fois-ci sous domination allemande. La Kaiser-Wilhelms-Universität intégre ses nouveaux bâtiments en 1884, ceux qui abritent aujourd’hui le Palais universitaire. Une fois la Première Guerre mondiale achevée, la faculté de droit se reconstitue progressivement dans la capitale alsacienne, portant ses enseignements sur des sujets tels que le particularisme alsacien dans les études juridiques, ou l’enseignement du droit local.
Et lorsque la Seconde Guerre mondiale arrive, toutes les facs de Strasbourg sont évacuées dans les locaux neufs de l’université de Clermont-Ferrand. En zone libre jusqu’en 1943, les cours continuent de s’exercer également en zone occupée, jusqu’à la Libération. Ce qui n’empêche pas les tragédies : durant cette période, des étudiants et des enseignants sont assassinés en plein locaux de l’Université, alors que d’autres sont déportés. Finalement, au mois d’octobre 1945, la fac de droit et l’université dans son ensemble se réinstallent dans les locaux du Palais U.
Une arrivée à l’Esplanade en 1962
À la fin des années 50, le nombre d’étudiants arrivant à Strasbourg augmente considérablement. Ainsi, le doyen de l’époque, Alex Weil, désire étendre le campus vers l’est et la nouveauté d’un quartier tout juste sorti de terre : l’Esplanade. En 1960, le projet global est alors confié à l’architecte Roger Hummel. Et sa première réalisation, avant l’emblématique Tour de chimie ou l’Institut Le Bel, sera bien la Fac de droit, de sciences politiques et de gestion, qui arrive le 22 novembre 1962, et qui existe toujours en 2023.
L’occasion donc de rentrer dans le vif du sujet : pourquoi ce choix de bâtiment ? Pourquoi ces couleurs ? Pourquoi… le tout en fait. Niveau style, il y a déjà une symbolique : le plan de la fac est en effet censé évoquer la balance de la Justice. D’un côté, la façade concave, en forme de croissant, que l’on aperçoit de plein pied côté campus.
De l’autre, un deuxième bâtiment, cette fois de forme polygonale, représente son socle côté rue. Là-dessus, rien à redire, l’architecture monumentale ressemble bien à sa symbolique – allez faire un tour sur Maps si vous n’êtes pas convaincu(e)s, ndlr. Par ailleurs, petit bonus en plus, l’auvent à l’entrée de l’édifice côté campus donne l’impression d’être au Japon.
Petit bémol en revanche : le bâtiment aux 4 amphis n’a jamais été agrandi, alors que les nouveaux étudiant(e)s arrivent toujours plus nombreux/ses. Mais surtout, la vraie question : pourquoi cette alternance de stores rouges criards et bleus rois ? Le mystère reste entier. Dans nos recherches, on n’a pas pu obtenir de réponses précises sur le sujet.
En tous les cas, il faut croire que ce style fonctionne, puisque le bâtiment est inscrit aux Monuments Historiques en 2005, et qu’une réhabilitation thermique en 2019 a voulu préserver l’aspect remarquable du bâtiment, jusque dans le détail même des fenêtres. Remarquable, la fac de droit l’est assurément. Que ce soit positivement ou négativement, c’est en revanche une question d’interprétation…
Je l’aime beaucoup ce bâtiment !
Mais si, ce bâtiment est chouette! Une grande courbure spectaculaire, des couleurs vives, et un espace devant forment une belle image. Quand vous êtes à Manhattan, vous trouvez ça moche, les buildings?
Selon la notice mérimée pour l’inscription, le bâtiment n’a pas été inscrit spécialement pour sa beauté intrinséque (toujours subjective et changeante selon les époques), mais plutôt pour la qualité de sa réalisation, conception et parcqu’il s’agit du premier bâtiment du campus, caractéristique des années 1960. A priori les couleurs (rouge/bleu) sont celles d’origines, je n’ai pas trouvé n’ont plus d’explication sur ces choix!
Une aquarelle datant de l’époque de la construction est visible ici :
https://www.archi-wiki.org/Adresse:Facult%C3%A9_de_Droit_(Strasbourg)
Précision : le stettmeister fondateur des écoles latines, s’appelait Jacques Sturm (de Sturmeck). Pour diriger le Gymnase, il fit venir son homonyme Jean Sturm, professeur à Paris. Ce dernier fit de l’école un établissement reconnu dans toute l’Europe et favorisa ainsi sa transformation en université.
La forme du bâtiment m’a toujours fait penser au four solaire d’Odeillo Font Romeu dans les Pyrénées Orientales…