Ils sont 12 apprentis chercheurs et ils sont sortis exceptionnellement de leurs laboratoires et de leurs bibliothèques pour participer à un concours national de vulgarisation scientifique. Le défi qu’ils doivent accomplir ? Présenter leur thèse en moins de 3 minutes dans un amphithéâtre rempli à craquer. C’est la finale alsacienne de « Ma Thèse en 180 secondes » organisé par le Jardin des Sciences.
Ils s’appellent Wifek, Mary-Ambre, Yves, Lucie, Romain, Florian, Nathaly, Clarisse, Santiago, Maxime, Camille et Arnaud. Ils sont tous doctorants des Universités de Strasbourg et de Haute-Alsace et ils doivent réussir à expliquer un truc compliqué (leur travail) en le rendant accessible à tout le monde. Pour cela, ils font deux représentations devant un amphi complet, d’abord devant des lycéens et ensuite devant le grand public. Alors que des hordes de lycéens mettent pour première fois le pied dans l’enceinte du bâtiment du Patio du Campus Central de l’Université de Strasbourg, les candidats sont reclus dans une petite salle de préparation.
Et oui Jamy! Ce n’est pas évident d’expliquer un sujet de thèse !
Maxime Sartori qui présente une thèse sur la maladie d’Alzheimer se sent confiant. « En plus de 4 mois de préparation, on a eu deux jours de formation, le premier autour du texte et de la vulgarisation de notre domaine de recherche et la deuxième plus sur la mise en scène et sur comment s’adresser à un public », explique-t-il. « Ce qui est super c’est qu’il y a un esprit d’entraide important, on travaillait en groupe, on a vu les présentations de chacun, on se donnait des conseils. Là, le stress va commencer à monter mais on a toujours des repères où regarder pour ne pas se déconcentrer etc. Normalement, à moins que les lycéens ne commencent à courir partout, il n’y a pas de raison que ça se passe mal ! On est bien préparés. »
Tendus, mais de bonne humeur, les éclats de rire se font nombreux. Pour se détendre avant de monter sur scène devant plus de 450 jeunes, ils font une dernière fois un petit exercice de groupe. Pour relâcher la pression, ils forment un cercle avec une animatrice et se passent des balles imaginaires.
Ils avaient 4 mois de préparation pour leur passage sur le devant de la scène
Pendant ce temps, les lycéens de différentes villes comme Saverne, Strasbourg ou encore Wissembourg commencent à s’installer sur les bancs de l’amphithéâtre Jean Cavailles. Ils sont interrompus par deux étudiants manifestants qui s’apprêtent à former un cortège pour rejoindre la mobilisation du service public qui partait de la place Kleber: « On est déjà dans un système scolaire inégalitaire, mais la loi sélection va encore plus exacerber la situation. Que ça soit la réforme du bac ou l’entrée à l’université, ça concerne directement les lycéens donc c’était important pour nous d’intervenir à ce moment-là », explique un des manifestants, étudiant en histoire.
La prise de parole des deux manifestants se déroule très calmement sans perturber le début de la cérémonie. Celle-ci commence peu de temps après par un discours du directeur de l’université Michel Deneken et de la rectrice de l’académie de Strasbourg Sophie Béjean :
« On fait tout pour que le passage du lycée à l’université soit de plus en plus harmonieux et que vous soyez toujours plus nombreux à embrasser la carrière de chercheur. En bon commercial de mon université, je compte sur les 12 doctorants pour mettre ParcoursSup encore plus sous tension en vous donnant encore plus envie de venir à l’université. »
Madame la rectrice de son côté, insiste sur la nécessité d’une plus grande présence féminine dans la recherche scientifique et la sous-représentation des femmes dans le milieu. Le manque de parité parmi les candidats est souligné. « N’hésitez pas à embrasser des carrières scientifiques, en particulier pour les jeunes filles. On est à l’Université de Strasbourg dans une université d’excellence, mais une excellence qui sait se faire inclusive et faire une place à chacun. »
Une sorte conférence TedX amateur en 3 minutes par des doctorants
La soirée est animée par Jean-Yves Marchal, médiateur scientifique pour le Jardin des Sciences. Il lance le premier candidat, Arnaud Zeller, qui travaille sur les interfaces informatiques et leur impact dans l’éducation et comment nous nous les approprions. Trois bips résonnent et il commence son intervention. Le compteur de temps passe dans le rouge, la présentation d’Arnaud se finit, le panneau affiche STOP et c’est au tour du prochain de se frotter au publique de lycéens qui applaudit sans hésiter.
Ils n’ont le droit qu’un seul visuel projeté derrière eux et 3 minutes pas une seconde de plus, sinon disqualification ! Certains sont plus à l’aise que d’autres. Quelques candidats se risquent à des traits d’humour, d’autres jouent la carte de la sobriété pour pouvoir en dire le plus possible, et d’autres font même des petites scénettes en interprétant plusieurs personnages et des tons différents.
Tout le monde s’en sort bien et les lycéens semblent conquis. « C’était super intéressant. Vu que ça ne dure que 180 secondes, on n’a pas forcément le temps de s’ennuyer. Ça se voit qu’ils se sont vraiment démenés pour qu’on comprenne leur travail », admet un lycéen strasbourgeois. « J’ai bien aimé Santiago et Clarisse ! L’humour donne quand même plus de vie aux présentations », rajoute un autre. « On est tout de suite plus accroché. Leurs présentations étaient concises, ça va au but. Je pense que tout le monde dans l’amphi à compris ce qu’ils racontaient. »
Exemple de présentation de 2014
De l’importance de la transmission du savoir et de la connaissance
Ensuite, c’est l’heure du vote. En dehors de l’amphithéâtre, 12 boites sont alignées avec les photos des candidats, les lycéens reçoivent chacun un jeton de poker qu’ils misent sur la présentation qu’ils ont préféré, avant de retourner s’asseoir pour un moment d’échange avec les candidats. Leurs questions sont diverses, autant autour du statut de doctorant, que du parcours des candidats et leurs sujets de thèses qu’ils viennent de présenter.
Pour Maxime, ces temps d’échanges sont importants : « Quand on arrive à la fin du lycée sans forcément savoir où on veut aller, un aperçu comme celui-ci sur des parcours un peu obscurs où il faut faire 8 ans d’études … c’est toujours bon à prendre. De notre côté, savoir vulgariser nos travaux et communiquer l’importance de la recherche dans la société, c’est aussi primordial. » D’autres doctorants partagent son point de vue: « Beaucoup de personnes ne savent pas comment travaillent un doctorant ou un chercheur. Pour nous c’est un très bon exercice pour pouvoir expliquer plus tard ce qu’on fait aux gens qu’on rencontre. Ça paraît tellement plus passionnant quand c’est vulgarisé avec des mots de tous les jours. Surtout que le langage scientifique est souvent assez lourd et complexe. »
Contents et soulagés de leur bonne prestation, les doctorants prennent une grande pause-café avant de recommencer le soir pour leur deuxième représentation ouverte au publique. Les résultats des lycéens seront annoncés en même temps que le vote du grand public. « Dès les premiers mots prononcés, on voit que le public est réceptif et ça nous aide à nous détendre. Au final tout s’est bien passé pour tout le monde, mais vulgariser les recherches de quelques années en 180 secondes, c’est frustrant ! C’est comme si on ne montrait que le teaser d’un film. »
Une interruption de la deuxième représentation aux raisons obscures
Le soir venu, le deuxième passage se déroule sereinement devant près de 600 personnes, jusqu’à ce que la direction générale du service de sécurité du campus décide d’évacuer le Patio et donc d’annuler la remise des prix et virer le public, l’organisation et les candidats. La raison évoquée pour cette grosse déception ? « Mesure de prévention » vis-à-vis des étudiants qui avaient bloqué le Palais U (bien loin du bâtiment Patio donc) et qui étaient à ce moment-là en train de se faire dégager du lieu. Les étudiants manifestants se sont ensuite dirigés vers le centre-ville en passant par Gallia et ne se sont à aucun moment approché du bâtiment où avait lieu la finale alsacienne de Ma Thèse En 180 Secondes.
Quoi qu’il en soit, tous les doctorants ont pu présenter une deuxième fois leur thèse en 180 secondes. Le public a également eu le temps de voter et d’échanger avec les candidats. La remise des prix a donc été décalée au mardi 27 mars à 18h30 dans l’amphi 4 du Patio (ouvert au public dans la mesure des places disponibles). Le prix des lycéens, du public et du jury permettront à deux des 12 candidats à aller représenter l’Alsace lors de la demi-finale nationale du concours à Paris en avril prochain.