Il s’appelle ici Christof, et donne son nom au dernier court-métrage haletant et ambitieux du réalisateur alsacien Émile Biegel. Mais il aurait pu s’appeler Aloyse, Édouard ou Rudi, comme les aïeuls des trois co-scénaristes. Leur point commun ? Avoir été des Malgré-nous. Et c’est pour raconter un bout de cette histoire, et faire vivre le cinéma local, que l’on nous donne rendez-vous le mercredi 22 janvier au cinéma Star Saint-Exupéry. À l’affiche ? Une projection gratuite de trois films produits dans le Grand Est. On t’en dit plus.
En Alsace, le cinéma a décidément autant de talent que d’audace. Nous te parlions récemment d’un projet de mini-série qui, bien que réalisée bénévolement pour le Nikon Film Festival 2025, n’était pas là pour faire les choses à moitié.
Avec les trois autres réalisations qui nous seront bientôt dévoilées le 22 janvier au cinéma Star Saint-Exupéry (la réservation est disponible en cliquant ici), il n’y a pas à dire : nos réalisateurs/rices ne sont pas là pour faire de la figuration. Et c’est parce qu’il est souvent difficile de faire vivre et voir un film local non produit pour un festival, qu’ils font aujourd’hui l’objet de cette projection à part, organisée par et pour les équipes elles-mêmes.
Commençons donc avec celui qui nous sera présenté en avant-première : Christof, d’Émile Biegel, réalisé hors du cadre des concours et des festivals, pour le plaisir simple de faire du cinéma auquel on croit.
Un court-métrage de 8 minutes, professionnel et auto-produit, tourné dans des conditions exigeantes. Un projet de cœur pour lequel le réal’ a réuni une équipe « incroyable » d’ « Avengers », tant du côté de la technique que du jeu, dans l’idée de créer un réseau alsacien.
Derrière ce projet ? Un réalisateur originaire de Centre-Alsace, ayant grandi à Strasbourg puis à Châtenois, et de retour dans la région.
Dans ses bagages : une expérience dans la réal’ depuis 10 ans, sur des projets d’envergure avec une carrière dans la publicité à gros budget (pour de grandes marques d’équipement de montagne), et un parcours international, après 5 ans d’études à l’étranger (Barcelone, Montréal, New York, etc.).
Un retour aux racines, une rencontre, et un scénar plus tard : « Christof »
Avec ce retour en Alsace, lui vient l’envie de recréer un réseau, et produire ses propres films avec sa boîte de prod’ (qui lui permet de garder son indépendance, et une liberté totale).
Et c’est lors du dernier Marathon 48h (de 2024) qu’il fait la connaissance de Fabien Fuhrmann, lui aussi venu présenter un film. Très vite, les deux veulent bosser ensemble. Et Christof arrive sur la table, à l’automne 2024.
Pour Fabien, qui se dit être « arrivé à un carrefour de [sa] vie » (avec l’envie de s’ouvrir à d’autres équipes, projets, et partenaires de jeu), la collaboration proposée par Émile tomba à point nommé. Avec en sus, un défi : celui de « changer de registre ».
Car si le comédien (et improvisateur à IMPRO Alsace) – bien connu des Strasbourgeois(es) – est apprécié pour son talent comique (mis à contribution dans plusieurs de nos vidéos Pokaa dont il est rapidement devenu l’égérie), il s’agit ici d’un rôle dramatique, lui permettant d’entamer un vrai « virage ». [À l’instar d’un Andy Samberg que l’on a dernièrement vu passer de Brooklyn Nine-Nine (sitcom iconique et humoristique) à reporter de guerre dans le biopic « Lee Miller » d’Ellen Kuras (2024), ndlr].
En parallèle de son interprétation, Fabien a rejoint Émile sur l’écriture de son scénario, aux côtés de Rudi Berschinski.
Et si à l’écriture de la V1 de son scénar, Émile, petit-fils de Malgré-nous se lance dans une histoire de la Seconde Guerre mondiale, il n’imaginait alors pas que l’histoire de son grand-père trouverait écho… dans celles des deux autres coauteurs, eux-mêmes descendants de Malgré-nous.
Car à la genèse de Christof, il y a juste… un moulin. Et c’est en découvrant à la mi-octobre « ce lieu sublime » que vient rapidement à Émile l’envie d’y tourner un film, et y raconter une histoire d’interrogatoire. Dans cette bâtisse bien conservée du 19e siècle, dénichée en Centre-Alsace, il y imagine les grandes lignes de ce qui sera ce film sur les Malgré-nous… Un bout d’histoire pas toujours connu, et pourtant largement partagé par de nombreuses familles de la région.
Avant toute chose : qui sont les Malgré-nous ?
Remettons un peu de contexte. Qui sont les Malgré-nous ? De jeunes hommes originaires d’Alsace et de Moselle (souvent à peine majeurs), incorporés de force à la Wehrmacht (l’armée régulière allemande) voire même directement dans la Waffen-SS, à partir d’août 1942. Une décision qui fait suite à l’annexion de leurs régions en 1940, pour remplir les rangs allemands…
Après le retour d’un service militaire obligatoire pour ces jeunes conscrits – jusque-là Français et désormais sous autorité allemande –, ce sont 100 000 Alsaciens et 30 000 Mosellans qui se sont vus combattre dans les rangs ennemis (menacés, sinon, d’être déportés dans des camps de concentration).
Souvent envoyés sur le front de l’Est, face à l’armée russe, nombre d’entre eux y périssent dans l’anonymat de leur condition (méconnue à l’époque), ou finissent internés par les Soviétiques à Tambov, en Russie.
Si certains libérés plus tôt rejoindront l’armée de la France libre (en 1944 à Alger), d’autres devront attendre plusieurs mois que la France les réintègrent à la fin de la guerre, quand d’autres moins chanceux ne reverront jamais leur pays natal… Certains, considérés comme des traîtres, subiront l’épuration. Avant d’être reconnus par l’État et le peuple français, comme des victimes collatérales du régime nazi.
Des histoires de familles alsaciennes
De son grand-père Aloyse Biegel, décédé à 93 ans – à qui il dédie ce film –, parti il y a quelques années (avec quelques-uns de ses secrets), Émile Biegel garde de bons souvenirs, et une phrase de lui que son père lui rappelle parfois : « Chacun pour soi, il fallait sauver sa peau. »
Blessé au combat, mais rapatrié, il n’eut pas le même destin que l’arrière-grand-père de Fabien, Édouard Hirschmuller. Pour lui, l’histoire fut bien différente : disparu pendant la guerre, celui-ci n’a longtemps été qu’un point d’interrogation dans le récit familial nourri d’incohérences historiques, par un « père qui embellissait tout ».
Pour lever un voile sur ce mystère familial, Fabien s’est lancé en 2023 dans une enquête personnelle, apportant même des réponses inespérées à sa grand-mère (la fille de ce Malgré-nous).
S’il a fini par retrouver sa trace, il a également découvert que des avis de recherche continuaient à être publiés dans les journaux de Bischheim, deux ans après son décès en Pologne (où il fut enterré dans le plus grand secret). Preuve du cruel manque d’informations et de communication de l’époque. Une ère pré-internet.
Le point central du film, finalement. Le pitch ? Imaginer qu’un SS se fasse capturer par trois résistants, et qu’au courant de cet interrogatoire, ces derniers réalisent qu’il parle parfaitement français : « Pourquoi ? »
En face ? Un duo « good cop, bad cop ». Entre l’empathique qui croit et le sceptique qui n’y croit pas. Pour que nous nous posions nous-mêmes la question : qu’aurions-nous fait à la place de ces résistants ? Le film s’achève, nous dit-on, sur « une très bonne réplique de Fabien Fuhrmann ».
Le souci de la « véracité »
Il aura fallu huit versions de scénario au total depuis la première ébauche/idée, à la dernière mouture. Car au-delà du marqueur historique, les deux précisent que Christof n’est pas un film historique mais est « inspiré de faits réels ». Il reste avant tout un film de cinéma, avec une intrigue et une mécanique efficace, et une tension narrative.
Pour rester crédible et plausible dans cette histoire, il fallait toutefois s’appuyer sur un travail de recherche et un bagage culturel : ce fut celui de Fabien, « caution historique » du projet – dans lequel il s’est engagé pleinement et avec cœur.
Du costume au jeu, tout a été revu. En travaillant avec Ciné Régie pour les couleurs des uniformes, ou imaginer les galons que pouvait avoir un Malgré-nous, par exemple. Mais aussi reproduire les papiers officiels de l’époque.
Et pour l’interprétation, le choix de l’acteur principal, en prenant un comédien français parlant l’allemand parfaitement et paraissant aussi jeune que l’étaient les Malgré-nous : Thibaut Deschler, aujourd’hui Parisien mais Alsacien d’origine.
Une équipe d' « Avengers » et un tournage d'exception
Pour compléter son équipe, Émile a souhaité le meilleur de l’Alsace, afin de « créer des ponts ». Parmi ses technicien(ne)s qu’il remercie, il souligne le dévouement de Lucas Stoll [qui, pour l’anecdote, est l’un des cadreurs reconnus du youtubeur Squeezie, ndlr].
Celui-ci lui a fait un « cadeau formidable », « peu avant Noël », en lui proposant à la fin d’un tournage nocturne et éreintant… de monter le film. Une chose rare dans le métier, où la tâche (ingrate et laborieuse) est souvent confiée au réalisateur. Ici, après avoir eu plaisir à tourner, il a proposé une V1 déjà très aboutie, à peine quelques jours plus tard.
S’entourant aussi de Tim Rigaud (pour un « étalonnage incroyable ») et d’un chef op’ avec qui il rêvait de bosser – Bruno Fagotti –, il compose ainsi un trio efficace, avec l’envie de monter deux équipes de deux caméras.
Des conditions de grosse équipe de cinéma. Avec plus d’une vingtaine de personnes réunies sur le tournage.
Et surtout : un tournage de nuit (avec la fatigue et les contraintes qui vont avec) pour créer un faux-jour. Une opération qui demande beaucoup de matériel, de logistique pour qu’à l’écran, on n’y voit – et croit à – « un petit matin brumeux d’hiver ».
Pour obtenir ce « mood bien précis » : des lampes puissantes sur six fenêtres, à gérer avec une pluie qui tombe à 2h du matin sur les équipes de technicien(ne)s, à l’extérieur. À la fin : un résultat léché, une lumière maîtrisée… Comme si c’était vrai : la magie du cinéma, quoi.
Une soirée pour les réunir tous
Et c’est pour remercier cette équipe, et célébrer le cinéma local, qu’Émile organise cette projection publique et gratuite où nous sommes convié(e)s, le 22 janvier.
Car il est difficile de donner de la visibilité à des projets de cette ampleur, d’autant plus au niveau local, lorsqu’ils sont tournés en-dehors de concours de courts-métrages, ou de cercles de diffusions que sont les festivals.
Cette soirée sera l’occasion pour nous, comme pour les équipes du film, de découvrir Christof en avant-première, ainsi que son premier film Absumo, et 29 août : le jour de la Saulx de Justine Boschiero en exclusivité. Tous trois, des « projets de cœur » à fort « investissement artistique » produits localement et pourtant : jamais diffusés à Strasbourg.
Deux autres courts-métrages à découvrir : « Absumo » et « 29 août : le jour de la Saulx »
Avant Christof, pour Émile Biegel, il y a en effet d’abord eu Absumo, sorti en 2024. Un premier court-métrage auto-produit, déjà très ambitieux, et réunissant des centaines de figurant(e)s et des cascadeurs/ses pro’.
Si ce court-métrage muet jouit d’une réelle consécration avec une vingtaine de prix remportés à l’internationale dans des festivals dédiés, il s’agira de la première projection à Strasbourg. Alors même qu’il a été applaudi de Milan à New York ou Los Angeles, en passant par la sélection officielle de « Cannes Short Film Festival ».
Et puis, pour compléter l’affiche, aux côtés des deux réalisations d’Émile Biegel : sera donc projeté 29 août : le jour de la Saulx, le film de la Meusienne Justine Boschiero (et co-écrit avec sa sœur Léa Boschiero). De ce film, Fabien Fuhrmann y voit un parallèle avec Christof : « Les deux histoires se rencontrent, quelque part dans le monde en même temps. »
Tourné lui aussi dans le Grand Est (avec aux manettes une équipe strasbourgeoise menée par la réalisatrice originaire de Verdun), ce huis clos d’une vingtaine de minutes raconte un autre drame. Celui d’une vallée martyre.
En toile de fond de l’histoire qui nous est montrée, se déroule un autre chapitre sanglant : celui du 29 août 1944. Alors que la France se fait libérer, les troupes allemandes ont lancé pendant trois jours des exécutions de masse, en représailles d’actes de résistance dans la vallée de la Saulx (dans la Meuse, non loin de Bar-le-Duc).
Réalisé en 2024, il marque les 80 ans de ce drame local, lui aussi souvent méconnu. Rendez-vous le 22 janvier pour se plonger dans ce morceau d’histoire et de cinéma !
Événement
La soirée ciné : « Christof », « Absumo » et « 29 août : le jour de la Saulx »
Quoi ?
Projection gratuite de trois courts-métrages locaux
Quand ?
Mercredi 22 janvier, à 18h (ouverture des portes à 17h30)
où ?
Au cinéma Star Saint-Exupéry, 18 rue du 22-Novembre, à Strasbourg
Plus d'infos ?
Billetterie (gratuit mais réservations recommandées)
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